Les attaques contre le système de santé et contre l’hôpital public sont anciennes, mais deviennent ces dernières années particulièrement violentes. C’est notamment le cas de l’AP-HP, l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, qui sous le gouvernement de Nicolas Sarkozy a été victime d’un plan de réorganisation, lequel a conduit à la suppression de plus de 4000 emplois en 4 ans.

Le gouvernement change, mais pas la politique ni les hauts-fonctionnaires

La loi Bachelot de juillet 2009 a achevé de transformer l’hôpital en entreprise et a consacré l’association du mercantilisme et du bureaucratisme. Comme l’explique le Dr Grimaldi (Chef de service à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris) : « Les partenariats public-privé se multiplient.  [...]La division des tâches y est simple : au public, les urgences, la gériatrie, la psychiatrie [ndlr : les soins les plus coûteux] ; au privé, la chirurgie programmée [ndlr : les soins les plus « rentables »]. Le seul objectif fixé à cette immense machine bureaucratique est celui de la rentabilité promue par la généralisation de la tarification à l’activité (T2A). L’augmentation des activités « rentables » est  devenue l’obsession partagée des directeurs et des médecins gestionnaires. La T2A pousse à augmenter l’activité (qu’elle soit utile ou inutile), à "optimiser" le codage (c’est-à-dire à augmenter la facture à la Sécurité sociale), à sélectionner les patients jugés rentables (ceux qui bénéficieront d’un acte technique programmé), à raccourcir les séjours, quitte à les multiplier. Versant bureaucratie, le codage devient de plus en plus sophistiqué, nécessitant un temps de médecins et de secrétaires de plus en plus important. On en vient à embaucher des codeurs professionnels. »

Or que ce soit la loi Bachelot ou les hauts-fonctionnaires, aucune remise en question ni aucun changement n’est intervenu depuis l’élection des socialistes. François Hollande n’a pas stoppé cette politique de démantèlement. La directrice de l’AP-HP, Mme Mireille Faugères, a été maintenue dans ses fonctions et a, de facto, gardé la même feuille de route que sous le gouvernement Fillon. Auparavant cadre de la SNCF, c’est elle qui, à l’époque, avait participé à sa privatisation. Ancienne élève d’HEC, elle est membre du Comité Directeur de l’institut Montaigne : un think-tank [1] financé par des entreprises privées qui livre son « expertise » sur les politiques publiques, en défendant l’ultralibéralisme. Cela donne le ton du « management » qu’elle peut mener à l’AP-HP.

L’hôpital de l’Hôtel-Dieu en lutte depuis bientôt 10 ans

Situé dans le 4ème arrondissement de Paris, sur l’île de la Cité, l’Hôtel-Dieu est le plus vieil hôpital d’Europe. Fondé au Moyen-âge (en 651), il permettait aux bourgeois et aux nobles de racheter leur conscience en finançant, par des dons, la prise en charge thérapeutique des pauvres. Et depuis 12 siècles, sa mission n’a pas changé : l’hôpital soigne en plein cœur de Paris les plus démunis, mais aussi les touristes, les victimes d’agression et les gardés à vues.

Entre la Préfecture de police et la Cathédrale Notre-Dame, l’hôpital rayonne sur 9 arrondissements, soit 370 000 parisiens, et prend en charge plus de 110 000 patients au minimum chaque année. En 2010, l’hôpital enregistrait 226 000 consultations et 29 100 hospitalisations.

L’AP-HP regroupe actuellement 37 hôpitaux et 676 services cliniques. D’ici à 2020, des regroupements d’hôpitaux sont prévus, entraînant la fermeture de nombreux services et de plusieurs sites, sous prétexte de « mutualisation » et d’« économies ». Les personnels professionnels, leurs syndicats et la population sont mis devant le fait accompli des décisions de fermeture. Aucune concertation ni transparence n’existe.

Menacé de fermeture depuis 2004, les agents sont en lutte et ont réussi, par leur résistance, à maintenir l’Hôtel-Dieu en activité. Face à la mobilisation du personnel, la stratégie de la direction est de « déshabiller » l’hôpital. Peu à peu, des services entiers sont transférés à l’hôpital Cochin ou Broca. Mais, étant déjà eux-même complètement saturés (avec plus de 8h d’attente en moyenne dans leurs urgences), ces deux autres hôpitaux ne sont absolument pas en capacité d’absorber le flux de patients de l’Hôtel-Dieu.

Le service des urgences de l’Hôtel-Dieu subit en particulier une pression d’une rare violence : le but est clairement de mettre le personnel en difficulté afin de le faire « craquer ». En supprimant les astreintes de chirurgie et les gardes de radiologie en novembre 2011, sans compter le départ des services d’analyses biologiques en 2010, le service fonctionne quasiment sans plateau technique, faisant courir des risques quotidiens aux patients et faisant vivre une pression constante aux soignants.

En mai dernier, par la presse, le personnel de l’hôpital a appris la fermeture définitive de ses urgences prévue pour le 4 novembre 2013. Pour avoir pris position contre cette fermeture dans les médias et s’opposant ainsi à sa hiérarchie, le Dr. Gérald Kierzek responsable des urgences, a été démis de ses fonctions durant l’été. Et les déménagements de machines et de matériels médicaux se sont multipliés.

Face au mépris affiché de la direction de l’AP-HP, au silence retentissant de la ministre de la santé, aux pressions et à la répression financière de la direction de l’hôpital, et afin d’empêcher ce déménagement forcé du matériel, le personnel a décidé d’occuper physiquement les urgences.

Depuis le 3 septembre, les pompiers ont reçu la consigne de ne plus orienter de patients vers l’hôpital. « Le but est simple : réduire l’Hôtel-Dieu à une coquille vide pour plaider ensuite l’insuffisance d’activités et de moyens. Pour dire ensuite qu’une fermeture totale s’impose d’elle-même » explique le Dr. Kerziek.

Une opération immobilière juteuse en toile de fond

L’emplacement de l’Hôtel-Dieu et son architecture attirent les convoitises. Situé près du parvis de Notre-Dame, un flux de près de 13 millions de touristes par an et plus de 750 000 voyageurs par jour passe devant.

Les villes de Marseille et de Lyon possédaient chacune à une époque leur Hôtel-Dieu. Ces derniers seront désormais transformés en hôtels de luxe. L’Hôtel-Dieu de Paris serait donc une affaire juteuse pour des investisseurs privés.

Or, il est strictement interdit par la loi de vendre un patrimoine immobilier dans lequel se trouve un hôpital en activité. Le déménagement à marche forcée de ses services et sa reconversion en centre de diagnostic, et en siège administratif de l’AP-HP (avec logements de fonction !) pourrait donc n’être qu’une étape transitoire avant sa mise en vente, au même titre que ce qui s’est passé à Marseille et à Lyon. « Les Qatari ont déjà dû poser une option dessus ! » ironise la secrétaire générale USAP CGT Rose-May Rousseau, que nous avons interviewée [2].

Cette réorganisation est en réalité une vaste opération financière et immobilière qui diminue l’offre de soins et réduit les effectifs. Or, à Paris, il est aujourd’hui quasiment impossible de trouver un médecin ne pratiquant pas de dépassements d’honoraires – ce qui est scandaleux et inadmissible.

Propagande médiatique

La situation est tellement tendue que l’AP-HP a décidé de s’adjoindre les services d’une société de communication pour revaloriser son image et faire accepter ce démantèlement scandaleux à la population. A coup de 7000 € par mois, Robert Zarader et son agence Equancy & Co - qui conseille également François Hollande - produit des notes censées rassurer les usagers et les personnels avec un langage fumeux qui défie la chronique. Voici un exemple de ses recommandations de présentation du projet : « L’Hôtel-Dieu transformé sera un lieu de rassemblement réunissant de multiples populations [...], un lieu faisant le lien entre le passé et le futur. »

Prenant part également au débat médiatique, les positions du Mouvement pour la Défense de l’Hôpital Public sont assez surprenantes. Cette association a été créée il y a quelques années par plusieurs grands professeurs. Le docteur Grimaldi que nous avons cité plus haut en était le président. Récemment, un changement de présidence s’est opéré. C’est désormais le professeur Granger, professeur à l’Université René Descartes (Paris) et responsable du service psychiatrie de l’hôpital Tarnier, qui en a pris la gouvernance.

Régulièrement, ce professeur écrit dans le Huffington Post, intervient sur les plateaux télés ou fait des passages à la radio. Mais loin de soutenir les personnels en lutte de l’Hôtel-Dieu, il les décrit de manière méprisante comme une « poignée d’irréductibles transformée en troupe d’occupation ». Il pratique également la désinformation en répétant ad nauseum que les urgences y sont vétustes - alors qu’il y a moins de 4 ans, elles ont été refaites à neuf à hauteur de 5 millions d’euros. C’est à se demander si ce cher professeur, en plus de ses consultations privées pratiquées au sein de l’hôpital public de Cochin, perçoit, tout comme  Equancy & Co, une rétribution de la part du cabinet de Mme Faugères.

Le secteur de la santé ne doit pas être lucratif !

L’Hôtel-Dieu est devenu désormais le symbole de la résistance aux fermetures et aux coupes sombres. La détermination, le courage, et le dévouement à leur métier dont font preuve ces hommes et ces femmes sont exemplaires. Nous leur apportons tout notre soutien. Tous les militants syndicaux et politiques de gauche se doivent de les soutenir.

Mais cela n’est pas suffisant. Les attaques contre notre système de santé ne s’arrêteront pas, tant que le secteur de la santé sera une porte ouverte au profit. Comme nous l’avons déjà écrit dans Le capitalisme et la santé – L’état des lieux, notre programme, « le seul moyen de mettre fin à la logique infernale du système est de mettre fin au secteur privé. Cela passe par la nationalisation de l’ensemble des cliniques et des structures de soins privées pour les inclure dans un seul et même service public de la santé, dans lequel chaque structure serait soumise au contrôle démocratique des salariés et de la population. Le ministère de la santé aurait en charge la planification des soins sur l’ensemble du territoire – lits hospitaliers, mais aussi maisons médicales. L’objectif prioritaire ne serait autre que de prodiguer des soins de qualité à tous ceux qui en ont besoin, sans contrepartie financière directe : les soins hospitaliers doivent être gratuits. De plus, parmi les millions de chômeurs on trouverait rapidement suffisamment de volontaires prêts à suivre une formation paramédicale pour mettre fin aux sous-effectifs. Enfin, les hôpitaux et les cliniques font de plus en plus appel à des prestataires de service : restauration, blanchisserie, location de matériel, etc. Or, il n’y a pas de raison que des entreprises privées s’enrichissent avec de l’argent public. L’ensemble de la sous-traitance doit être également nationalisée et intégrée au service public de la santé. »

Contre la casse l’hôpital public et de l’AP-HP !
Contre l’austérité dans la santé !
Pour des soins gratuits pour tous !

Notre programme :
* Nationalisation de l’ensemble des cliniques et structures de soins privées et intégration de celles-ci dans un seul et même service public de la santé.
* Gestion des hôpitaux sous le contrôle des salariés et de la population.
* Plan d’embauche pour mettre fin au sous-effectif chronique.
* Pas de secteur privé, pas de dépassement d’honoraires. Fin des consultations privées par les médecins hospitaliers au sein des hôpitaux.
* Nationalisation des prestataires de service et intégration au secteur de la santé publique.


Site de l’association Hôpital pour tous : http://hopitalpourtous.blogspot.fr/
Site de la CGT Assistance Publique - Hôpitaux de Paris : http://usap-cgt.org/

[1] Think-tank : club de réflexion privé qui délivre des « expertises » le plus souvent sur les politiques publiques en prônant l’ultralibéralisme