Depuis la mobilisation contre la constitution européenne, la Ligue Communiste Révolutionnaire ne cesse de prôner une démarche « unitaire » vis-à-vis du PCF. Par rapport à son attitude envers le PCF jusqu’en 2004, cette nouvelle approche constitue un revirement de 180°. La LCR aurait-elle « tiré les leçons de ses erreurs » sectaires, comme on l’entend parfois de la bouche de ses militants ? Pas du tout. En grattant la mince couche de vernis « unitaire », on retrouve les vieilles tendances de la LCR à diviser la gauche sur le plan électoral, au risque de favoriser le passage des partis de droite.

Aux élections présidentielles de 2002, la LCR espérait profiter du rejet du gouvernement de Lionel Jospin, qui sur toutes les questions essentielles avait axé sa politique sur la défense des intérêts capitalistes. Les quelques réformes positives qu’il a mises en œuvre n’ont pas suffi à inverser la régression sociale des années 1997-2002, et ce malgré la croissance relativement forte de l’économie française au cours de cette période. L’emploi précaire a connu un essor spectaculaire, et la grande pauvreté s’est aggravée.

Ce sont les dirigeants du Parti Socialiste qui, les premiers, portent la responsabilité de cette politique. Mais la direction du PCF avait, elle aussi, sa part de responsabilité. Tout au long de ces années, au nom de la solidarité gouvernementale, les dirigeants du parti n’ont opposé de résistance sérieuse ni à la politique de privatisation massive, ni à une politique étrangère réactionnaire - dont le bombardement de la Serbie, puis la participation, aux côtés de l’impérialisme américain, à l’invasion de l’Afghanistan.

Pour la LCR, cette situation fournissait une occasion en or de profiter du « vote sanction ». Quand on relit les tracts et les discours de la LCR lors de la campagne présidentielle de 2002, l’idée de sanctionner la gauche est un thème omniprésent. Sa stratégie consistait à s’attaquer principalement au PCF, qu’elle considérait comme son principal concurrent. Le 8 mars 2002, par exemple, dans une réunion publique à Antibes, Olivier Besancenot a déclaré que l’élection « permettra de sanctionner la gauche plurielle et le Parti Communiste qui, au gouvernement, n’a pas fait la démonstration qu’il pouvait infléchir la politique sociale ».

La volonté de la LCR de ramener les scores du PS et du PCF au plus bas ne se limitait pas au seul premier tour. D’accord avec LO, elle avait annoncé d’avance qu’elle ne donnerait aucune consigne de vote pour le deuxième tour. Elle rejetait catégoriquement la nécessité de faire barrage à la droite en votant pour le candidat de gauche, et expliquait que la gauche plurielle et la droite étaient « la même chose ». La LCR - avec LO et le PT - portent ainsi une part de responsabilité non négligeable dans le passage de Le Pen au deuxième tour des présidentielles de 2002. L’ironie de l’histoire, c’est qu’au lendemain du 21 avril 2002, après avoir refusé d’avance de soutenir le « moindre mal » Jospin, la LCR a fini par appeler à voter pour un autre « moindre mal » du nom de Jacques Chirac !

Aux législatives de 2002, la LCR a adopté la même stratégie. Elle n’a donné aucune consigne de vote aux seconds tours, et expliquait à qui voulait l’entendre qu’un candidat PS ou PCF d’un côté, et un candidat UMP ou UDF de l’autre, c’était « blanc bonnet et bonnet blanc. »

La victoire de la droite a ouvert une période particulièrement noire dans l’histoire sociale de la France. Elle a donné lieu, de la part du gouvernement et du MEDEF, à une offensive majeure contre les conditions de vie des travailleurs, des jeunes et des retraités. Le gouvernement Raffarin était sans aucun doute le gouvernement le plus réactionnaire que la France ait jamais connu depuis le régime de Vichy, à l’époque de l’occupation allemande.

Cependant, le résultat relativement élevé de la LCR aux présidentielles de 2002 a convaincu ses dirigeants qu’ils avaient enfin la possibilité de supplanter le PCF, qu’ils considéraient alors en plein « déclin historique ». C’est dans ce contexte que l’alliance LO-LCR a été conclue pour les élections européennes et régionales de 2004. Mais après l’expérience de deux ans de droite au pouvoir, et notamment la grande mobilisation contre la réforme des retraites, l’électorat de gauche a voté massivement pour le Parti Socialiste, non tant par réelle adhésion au programme des dirigeants socialistes que pour infliger une défaite majeure à la droite. Le PCF en « déclin historique » a, lui, gagné plusieurs points par rapport à son score de 2002, laissant loin derrière lui l’attelage LO-LCR.

L’électorat de gauche, dans son immense majorité, ne voulait plus jouer le jeu de la division et du « vote sanction ». La remontée spectaculaire du vote socialiste et le très faible score des listes LO-LCR ont été qualifiées de « pire des scénarios possibles » par Arlette Laguiller. Quant à Olivier Besancenot, il a soudain réalisé que la LCR avait, pour reprendre son expression, « payé plein pot l’effet du 21 avril 2002 ». Effectivement, le 21 avril 2002 était une leçon particulièrement sévère pour l’électorat de gauche, et une leçon dont il se souviendra lors des prochaines présidentielles et législatives.

Cependant, la LCR et LO sont complètement incapables de comprendre les véritables leçons de ces événements, qui détruisent d’un trait non seulement leur stratégie électorale du moment, mais aussi toute leur raison d’être en tant qu’organisations « révolutionnaires » visant à concurrencer le PS et le PCF.

Bien avant les élections régionales et européennes de 2004, nous avions prévu et expliqué d’avance la victoire de la gauche. Dans un texte publié en octobre 2002, nous écrivions : « Le gauchiste est constamment désappointé par le fait que les travailleurs, malgré tout ce qu’ils ont vécu, " ne comprennent toujours pas " qu’il faut abandonner le PS et le PCF, et se mettre sous ses ordres à lui. Cette irritation permanente peut parfois le rendre quelque peu hystérique. Il est incapable de comprendre que les travailleurs, face aux énormes moyens de leurs adversaires, et même quand ils sont profondément déçus par leurs organisations traditionnelles, ne peuvent pas se permettre de chercher l’adresse de tel ou tel groupement marginal et " tout recommencer ". Dans la pratique, ils n’ont pas d’autre choix que de se tourner vers le PS, le PCF et les organisations syndicales les plus importantes et représentatives, vers des drapeaux visibles et reconnus par des forces suffisamment importantes pour infliger une défaite à l’ennemi. C’est ce qui s’est produit en 1997 et, n’en déplaise à l’extrême gauche, c’est ce qui se reproduira inévitablement aux prochaines élections.

Dès lors qu’ils s’engagent dans une lutte sérieuse et de grande échelle contre leurs adversaires, que ce soit à travers des grèves ou sur le plan électoral, les travailleurs sentent instinctivement la nécessité de la plus grande unité possible, et considèrent ceux qui empêchent cette unité comme un obstacle. Ainsi, au lieu d’abandonner les organisations de masse en faveur d’une secte marginale, le mouvement social exerce une pression sur ces grandes structures afin de les transformer pour les soumettre aux exigences de sa lutte. Pour tous ceux qui ont des yeux pour voir, ce processus est déjà engagé, dans le PS, dans le PCF et dans les syndicats, et prendra nécessairement une ampleur et une puissance beaucoup plus grandes à l’avenir. »

Ces perspectives de La Riposte concernant les élections ont été entièrement confirmées. Les groupements d’extrême gauche comme la LCR peuvent momentanément accroître leur soutien électoral, surtout lorsque le PS et le PCF subissent un revers important. Cependant, en dehors des scores électoraux, il faut garder à l’esprit que la LCR est une organisation minuscule par rapport au PCF, non seulement en terme de nombre d’adhérents (les effectifs de la LCR représentent à peu près 3% de ceux du PCF), mais surtout en terme de réserves sociales. Malgré toutes les difficultés que le PCF a affrontées au cours de la dernière période, aucune organisation politique en France ne peut se vanter d’une capacité de mobilisation aussi importante. Et même sur le plan électoral, le fait que la LCR, profitant de circonstances politiques particulières, puisse dépasser le PCF, ou que tel ou tel sondage place Besancenot « au-dessus » de Marie George Buffet, est à prendre avec précaution. Le PCF est loin, très loin, de réaliser sa véritable puissance organisationnelle, alors que LO et la LCR, pour atteindre momentanément 5% ou 6%, ont dû puiser jusqu’au fond leurs réserves. Comme le dit le vieux proverbe russe, « il arrive que l’aigle vole plus bas que la poule ».

Pour justifier leur attitude sectaire envers le Parti Socialiste et le Parti Communiste, les dirigeants de l’extrême gauche avancent souvent l’argument suivant : « si l’on ramène la gauche au pouvoir, elle va se contenter de gérer le capitalisme. A quoi ça sert ? » C’est là le raisonnement typique de gens qui déterminent leur « stratégie » en fonction de leur appréciation personnelle des dirigeants de gauche, sans tenir compte de l’attitude et du niveau de conscience de la masse des travailleurs. A l’inverse de ces « théoriciens » sectaires qui se contentent d’avoir eux-mêmes « compris », le marxiste se donne pour objectif de faciliter l’évolution de la conscience de la masse des travailleurs quant à la faillite du réformisme. Or cette évolution de la conscience du salariat ne se réalise pas dans des petits cercles de discussion, mais uniquement dans la grande école de l’expérience pratique et collective. C’est précisément en faisant l’expérience de la gauche au pouvoir que les travailleurs et la jeunesse apprennent le plus vite. Quand les chefs du Parti Socialiste sont au gouvernement, ils ne peuvent plus redorer leur blason au moyen de critiques contre la droite ou de promesses creuses. Les travailleurs les voient à l’œuvre et les jugent sur pièce.

A cet argument, on répond souvent que cette expérience a « déjà été faite », et que cela « n’a rien changé ». Mais c’est complètement faux. Bien sûr, l’impact de l’expérience du réformisme au pouvoir sur la conscience des travailleurs et des jeunes n’est pas uniforme. La conscience de tous les salariés n’en est pas affectée au même degré, et ne se développe ni à la même vitesse, ni dans la même direction. Certains travailleurs, dégoûtés par le comportement des dirigeants de gauche lorsqu’ils sont au pouvoir, peuvent même en tirer des conclusions réactionnaires. Par exemple, c’est l’abandon de la politique de réformes sociales du gouvernement PS-PCF, à partir de 1982, qui a favorisé la montée du Front National. Mais le processus s’est également développé dans l’autre direction, c’est-à-dire vers la gauche. Ainsi, l’autorité morale et politique des dirigeants réformistes a été minée par les expériences successives de la gauche au pouvoir. Les 42% de militants socialistes favorables au « non » lors du référendum interne du PS, et la crise actuelle dans ce parti, en sont une expression évidente. Certes, pour ceux qui adhèrent aux raisonnements des dirigeants de la LCR, de LO ou du PT, tout ceci ne va pas assez vite. Cependant, une approche marxiste envers la question des partis de masse ne doit pas se fonder sur une impatience subjective, mais sur une évaluation sérieuse du cours réel des choses.

La nouvelle démarche de la LCR

Les résultats des régionales de 2004 ont donc réduit à néant les fausses perspectives sur lesquelles LO et la LCR avaient construit leur stratégie, et l’alliance a été rompue au milieu des récriminations mutuelles. Le réveil était rude - y compris sur le plan financier. Depuis quelque temps déjà, les ristournes électorales de l’Etat constituent la principale source du financement de la LCR, ce qui lui permet d’ailleurs de s’offrir un profil « grand public » sans commune mesure avec ses forces réelles. Avec le recul du vote de l’extrême gauche aux élections de 2004, elle a sombré dans l’endettement. Après la rupture avec LO et devant la précarité de sa situation politique et financière, la LCR est aujourd’hui à la recherche d’un allié de substitution. D’où la volte-face récente vis-à-vis du PCF.

Tout d’un coup, le simple fait que la LCR se soit trouvée dans le même camp que le PCF, sur la question du référendum européen, est devenu le socle d’une spirale d’argumentation en faveur d’une alliance électorale avec un parti qui, il y a à peine plus d’un an, ne valait pas mieux que la droite ! L’hostilité que, jusqu’en 2004, les dirigeants de la LCR déversaient sur le PS et le PCF, est maintenant réservée aux dirigeants du PS partisans du « oui » - ainsi que les Fabiusiens, semble-t-il. Selon l’échafaudage « théorique » qui est supposé convaincre le PCF de donner une réponse favorable aux avances de la LCR, il y aurait désormais « deux gauches » en France : une vraie, dans laquelle se trouve, entre autres, la LCR et le PCF - et une fausse, dont l’aile « sociale libérale » du Parti Socialiste. Dès lors, les forces du « non de gauche » devraient tenir compte de « ce clivage qui ne correspond pas aux frontières actuelles des partis », selon une formule de la Ligue, et refuser tout soutien à la « fausse gauche ». Dans le Rouge du mois de juin 2005, Alain Krivine expliquait : « Nos camarades du PCF vont avoir à choisir entre une coalition de toute la gauche, incluant les artisans d’une Constitution libérale, et le front des forces anticapitalistes qui a commencé à émerger dans la campagne unitaire du non. »

La grande majorité des militants du PCF ont accueilli le tournant « unitaire » de la LCR avec une bienveillante indifférence. Il est vrai qu’il y a un an à peine, la Ligue prophétisait et tentait d’accélérer l’effacement du PCF. Mais à quoi bon être rancunier ? Le problème, c’est que cette posture « unitaire » est assortie d’un certain nombre d’exigences - et non des moindres.

Concernant les prochaines élections présidentielles, il ne serait pas déraisonnable de supposer que la LCR, compte tenu de sa taille réduite par rapport au PCF, accepte de soutenir le candidat présidentiel de ce dernier. Mais visiblement, son enthousiasme « unitaire » ne va pas jusque là. N’écoutant que son audace, elle suggère aux militants du PCF de ne pas présenter un candidat de leur parti, au profit d’une « personnalité » plus proche de LCR !

En ce qui concerne les législatives, la LCR insiste également sur le fait que le PCF devrait refuser de s’associer aux socialistes partisans du « oui », aux premiers comme aux deuxièmes tours.

Les avantages de ces propositions, du point de vue de la LCR, sont évidents. Cependant, du point de vue de la lutte pour chasser la droite, et du point de vue du PCF, elles auraient des conséquences extrêmement négatives et doivent, à ce titre, être rejetées par les communistes. La direction du PCF, estimant qu’il n’y avait pas de raison de se laisser imposer un candidat présidentiel « alternatif », a dores et déjà rejeté cette proposition fantasque. Par ailleurs, le refus de passer des accords électoraux avec le PS ne ferait que diviser la gauche, favorisant directement la droite. Au passage, il mènerait à l’élimination quasi totale de la représentation parlementaire du PCF. Cette perspective ne déplairait peut-être pas aux dirigeants de la LCR, mais ils devraient pouvoir aisément comprendre que les militants communistes soient beaucoup moins enthousiastes.

Le caractère de classe du Parti Socialiste

Après avoir œuvré à la défaite du PS et du PCF en 2002, sous prétexte de sanctionner le gouvernement Jospin, la LCR semble disposée à commettre la même faute lors des prochaines élections, en refusant cette fois-ci de soutenir les candidats socialistes qui étaient partisans du « oui » à la Constitution. Soyons clairs : cette démarche favoriserait directement les ennemis de tous les électeurs et militants du PS et du PCF, à savoir les partis de droite. Ceci n’importerait guère aux dirigeants de la LCR, qui nous expliquent depuis des années que le PS et la droite, « c’est la même chose ». Mais cette dernière affirmation est complètement fausse. Le Parti Socialiste est un parti du salariat, et ce malgré le fait que sa direction actuelle soit composée d’individus qui n’ont rien à voir avec le socialisme, et qui sont en fait les agents plus ou moins conscients des intérêts capitalistes dans le mouvement ouvrier.

Malgré les efforts déployés par la direction du PS pour imposer le « oui » lors du référendum interne, 42% des militants ont tout de même voté non. Si ce vote avait eu lieu plus tard, le pourcentage du « non » aurait très certainement été encore plus élevé. C’est là une manifestation évidente, au sein du PS, de la pression du mouvement social et de la prise de conscience des travailleurs. Dans l’électorat socialiste, une très nette majorité a refusé de suivre les consignes de la direction du PS. Autrement dit, une large partie des adhérents du PS est plus à gauche que sa direction, et l’électorat du PS est lui-même plus à gauche que ses adhérents.

Qualifier le PS de « parti capitaliste » sur la base de la politique pro-capitaliste de sa direction actuelle relève d’une approche complètement anti-dialectique et anti-marxiste. Pour déterminer la nature d’un parti, il ne suffit pas de caractériser les idées politiques qui y dominent à un moment donné. Il faut prendre en compte sa fonction historique dans le processus vivant et dynamique de la lutte des classes. Historiquement, le Parti Socialiste a émergé comme l’expression politique du salariat en tant que classe - non pas du salariat sous la forme idéalisée et abstraite telle qu’elle figure dans la tête d’un « révolutionnaire » d’extrême gauche, mais du salariat tel qu’il est réellement, c’est-à-dire traversé par toutes sortes d’idées, non seulement réformistes, mais aussi réactionnaires.

Marx expliquait déjà que dans les périodes historiques « normales », les idées dominantes sont celles de la classe dirigeante. Ainsi, à côté des aspirations progressistes exprimées plus ou moins confusément, on trouve dans la conscience du salariat toutes sortes de préjugés, de doutes et d’hésitations. La pression de la classe capitaliste s’exerce tout particulièrement sur la direction du PS - sur les députés, les sénateurs, les élus et les divers technocrates. Mais cette pression se heurte à celle, de sens opposé, qui exprime les intérêts et les aspirations du salariat. Ainsi, à des moments différents de son histoire, le Parti Socialiste a sombré dans le chauvinisme et la défense des intérêts impérialistes - comme pendant la guerre de 14-18, ou encore la Guerre d’Algérie. Mais à d’autres moments, il a été brusquement propulsé vers la gauche, comme par exemple dans la foulée du mouvement révolutionnaire de mai-juin 1968.

De Trotsky aux « trotskistes »

La LCR est généralement considérée comme une organisation « trotskiste ». Mais en réalité, son programme et ses méthodes n’ont rien à voir avec les idées défendues par Trotsky lui-même. A cet égard, Olivier Besancenot a eu l’honnêteté de reconnaître publiquement qu’il n’entendait pas grand chose au marxisme et se sentait plus proche des idées de l’anarchiste Bakounine, contre lesquelles Marx a dû lutter à de nombreuses reprises.

Des décennies de calomnie stalinienne à l’encontre de Trotsky - y compris après son assassinat par un agent de Staline, en 1940 - pèsent, aujourd’hui encore, sur sa réputation politique. Mais les agissements des différents groupes et organisations se réclamant de Trotsky - comme LO et la LCR - expliquent aussi, pour une part non négligeable, la mauvaise presse du grand révolutionnaire russe auprès de nombreux militants communistes.

Pourtant, s’ils prenaient le temps d’étudier les écrits de Trotsky, ils y trouveraient un véritable trésor théorique, qui permet de comprendre les idées du marxisme révolutionnaire dans toute leur richesse. Or, c’est vrai non seulement dans le domaine de l’application de la méthode marxiste à un très large éventail de questions économiques, politiques et philosophiques, mais aussi en ce qui concerne l’attitude des marxistes vis-à-vis du mouvement ouvrier et de ses organisations de masse - attitude qui n’a rien à voir avec le sectarisme ultimatiste des groupes dits « d’extrême gauche ».

Nous pourrions citer des dizaines de cas où Trotsky oppose les méthodes du marxisme à celles du sectarisme. Nous nous contenterons ici d’un seul, qui présente une claire analogie avec la position actuelle de la LCR. En 1935, en Grande-Bretagne, le Parti Travailliste Indépendant (ILP), qui était plus à gauche que le principal parti de la classe ouvrière britannique, le Parti Travailliste, avait opéré une distinction entre les candidats travaillistes selon l’attitude qu’ils prenaient sur la question de la guerre. Les dirigeants de l’ILP avaient décidé de ne soutenir, aux élections législatives, que les candidats travaillistes qui ne s’étaient pas alignés sur la politique impérialiste de la Société des Nations, notamment sur la question des « sanctions » consécutives à l’invasion de l’Ethiopie par l’Italie.

Dans une interview où il fut demandé à Trotsky s’il jugeait cette politique correcte, il répondit clairement que non : « L’ILP aurait dû accorder son soutien critique à tous les candidats du Parti Travailliste là où il ne se présentait pas lui-même. J’ai lu dans le New Leader que votre secteur de Londres [de l’ILP] était d’accord pour ne soutenir les candidats Parti Travailliste que quand ils étaient contre les sanctions [militaires]. C’est faux aussi. Il fallait donner un soutien critique au Parti Travailliste non pas parce qu’il était pour ou contre les sanctions, mais parce qu’il représentait les masses ouvrières. [...] La crise de la guerre ne change pas le fait que le Parti Travailliste soit un parti ouvrier. » Cet argumentation s’applique parfaitement aux prochains élections, en France. En refusant d’avance de soutenir les candidats socialistes qui se sont prononcés pour le « oui » à la Constitution européenne, la LCR commet la même erreur que l’ILP britannique.

Quant à Lénine, il a consacré un livre à cette même question : Le « gauchisme », ou la maladie infantile du communisme. En réponse au communiste écossais Willie Gallagher, qui, aux élections, refusait de soutenir le Parti Travailliste en raison de la trahison de ses dirigeants, Lénine écrivit :« Que les Henderson, les McDonald et les Snowden [l’équivalent de Hollande, Strauss-Kahn, etc.] soient irrémédiablement réactionnaires, cela est exact. Il n’est pas moins exact qu’ils veulent " administrer " selon les vieilles règles bourgeoises et se comporteront forcément, une fois au pouvoir, comme les Scheidemann et les Noske. Mais il ne suit point de là que les soutenir, c’est trahir la révolution. Il s’ensuit que les révolutionnaires de la classe ouvrière doivent, dans l’intérêt de la révolution, accorder à ces messieurs un certain soutien parlementaire. » Si les communistes veulent porter leurs idées à l’attention de la classe ouvrière, écrivait Lénine, « faute de quoi nous risquons de n’être plus que des bavards, nous devons d’abord aider Henderson ou Snowden à battre Lloyd George et Churchill [l’équivalent de Chirac, Sarkozy, de Villepin, etc.] »

Qu’y a-t-il de commun entre l’attitude de Lénine et Trotsky et celle de la LCR vis-à-vis du PS ? Absolument rien. D’un point de vue marxiste, soutenir les candidats du Parti Socialiste contre ceux de la droite - y compris par des accords de désistements réciproques - est non seulement admissible, mais même tout à fait indispensable. La LCR tance le PCF en l’exhortant de ne pas « refaire l’erreur de 1997 ». Mais de quoi parle-t-on, exactement ? Ce qui a porté préjudice au PCF, en 1997, ce n’est pas le fait d’avoir conclu des accords électoraux avec le PS. « L’erreur à ne pas refaire », de la part du PCF, c’était de ne pas avoir défendu une politique indépendante et réellement communiste, et d’avoir accepté de participer à un gouvernement sur la base d’un programme de privatisations et d’alignement sur les intérêts de la classe capitaliste.

La position de La Riposte est parfaitement claire sur ce point. Nous expliquons la nécessité de doter le PCF d’un programme réellement communiste, qui associe la lutte immédiate pour la défense des acquis sociaux et l’amélioration des conditions de vie de la masse de la population à la nécessité de nationaliser les grands groupes industriels et bancaires, qui doivent être placés sous le contrôle et la gestion démocratique des travailleurs, dans le cadre d’une planification démocratique de l’économie. Ce n’est que par la réalisation du socialisme que les travailleurs peuvent s’émanciper de l’exploitation et mettre un terme définitif à la régression sociale. Faits, chiffres et arguments à l’appui, La Riposte s’efforce de convaincre les militants du PCF de la justesse de ce programme. Mais en même temps, pour le moment, ce programme n’a pas acquis le soutien d’une majorité dans le PCF, et encore moins dans le PS. Alors, que faire ? Est-ce que l’on doit se tenir à l’écart et passer notre temps à dire que tant que les socialistes et les communistes n’adoptent pas nos idées, nous refusons de les soutenir face à la droite ? Non. Le devoir des marxistes, c’est de participer activement et loyalement à tous les combats contre les capitalistes et les partis de droite, tout en expliquant patiemment et fraternellement leurs idées.

Il est vrai que la ligne « anti-socialiste » de la LCR coïncide avec l’attitude de certains militants du PCF, qui sont exaspérés par les arrangements au somment entre le PS et le PCF, et ont le sentiment que le PCF se fait « piéger » par de tels accords. Mais nous conseillons à ces camarades de faire la distinction entre la conclusion d’accords stratégiques avec un autre parti de gauche et la dilution du programme du parti sous prétexte de ces accords. Ce sont deux questions séparées. Un accord de désistement réciproque entre le PS et le PCF et un engagement à mener campagne, au deuxième tour, pour la victoire du candidat de gauche le mieux placé, c’est une chose. Mais faire des concessions politiques aux dirigeants socialistes dans le but de décrocher des postes ministériels en est une autre. Rappelons qu’en 1997, Robert Hue est allé jusqu’à déclarer que, pour les communistes, la privatisation n’était plus un « tabou ». Il s’agissait alors de faciliter l’entrée du PCF dans le gouvernement Jospin.

Un tel scénario doit bien évidemment être exclu à l’avenir. Mais le seul moyen, pour le PCF, de se dissocier du réformisme insipide défendu par la direction du PS, ce n’est pas de rejeter d’avance tout accord avec le PS, mais d’adopter un programme véritablement communiste. C’est le problème central sur lequel les militants du parti doivent se pencher. Soit dit en passant, les militants de la LCR feraient bien, eux aussi, de s’intéresser à ce genre de question, étant donné qu’on ne trouve pas trace, dans leur journal, leurs tracts et leurs interventions publiques, des idées et du programme du socialisme. Ce qui a caractérisé le travail « unitaire » de la LCR avec le PCF, lors de la campagne sur le référendum, c’est précisément le fait de n’avoir pas avancé un seul mot d’ordre et une seule idée se distinguant de ceux, clairement réformistes, de la direction du PCF.

Les conditions que met la LCR à sa démarche « unitaire » envers le PCF auraient pour conséquence d’affaiblir considérablement ce dernier, s’il les acceptait. Elles doivent être rejetées par les communistes. Toute cette histoire d’« unité » est d’autant plus absurde que, par rapport au PCF, à son implantation sociale et son potentiel électoral, la LCR ne représente qu’une force minime. La petite organisation propose l’« union » avec la grande et lui dicte solennellement ses conditions. Mais le PCF n’a nullement besoin de la « poule » de notre proverbe russe pour avancer à grands pas. Ce dont il a besoin, par contre, c’est de retrouver son identité révolutionnaire, c’est-à-dire de renouer avec le programme et les idées du marxisme. C’est en présentant une véritable alternative au capitalisme que le PCF s’élèvera enfin au niveau de sa mission historique : la transformation socialiste de la société.

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