L’année dernière (2000), au lendemain du recul du gouvernement sous la pression des enseignants et des salariés du Ministère des Finances, La Riposte a publié un article intitulé Danger ! La droite peut revenir ! dans lequel nous écrivions : "La vaste majorité des grévistes était certainement composée d’électeurs PS ou PCF. Cependant, les attaques répétées du gouvernement contre les hôpitaux, contre l’Éducation nationale et contre les services publics en général, conjuguées avec l’exaspération des salariés qui, comme ceux de La Poste ou des Aéroports de Paris, se trouvent face aux insuffisances de la loi sur les 35 heures, auront inévitablement des conséquences sur le plan électoral."

"Le gouvernement, à force de s’aligner sur les intérêts capitalistes, est en train de miner ses propres bases, de renforcer la droite et de préparer de nouvelles crises. Une fois le gouvernement suffisamment affaibli électoralement, il sera balayé à la première occasion."

A l’époque, pourtant, la droite, profondément divisée et minée par des scandales à répétition, était encore sous le choc de sa défaite de 1997. Jospin et son gouvernement semblaient voués à rester au pouvoir très longtemps, et ce quelle que soit la politique qu’ils mettraient en œuvre. Mais aujourd’hui, après le revers important subi par la gauche aux municipales, le retour de la droite aux prochaines législatives s’impose à tous, sinon comme une certitude, du moins comme un danger bien réel.

Implacable quand il s’agit de résister aux revendications des salariés du secteur public, intransigeant face aux protestations des chômeurs, passif à l’égard des licenciements, Jospin n’ose pas défier les banques, les grands groupes privés et leur sacro-sainte "loi du marché".

Le Conseil National du Parti Socialiste, qui s’est réuni pour "dégager les enseignements" des élections municipales, s’est déroulé comme si les différents intervenants s’étaient entendus d’avance pour ne rien y dire de pertinent. François Hollande, secrétaire général du PS et grand spécialiste de platitudes insensées, a cru déceler chez l’électorat un désir de voir le gouvernement "approfondir et amplifier le mouvement", ou encore "accélérer le rythme" de son action. A croire que lorsque des électeurs sont particulièrement satisfaits des orientations du parti pour lequel ils ont voté précédemment, ils l’expriment aux élections suivantes en s’abstenant massivement ou en votant pour ses adversaires ! En tout cas, dit Jospin, "le gouvernement ne changera pas de cap". Les privatisations se poursuivront, la précarité de l’emploi s’aggravera, les salaires seront freinés et les dépenses militaires seront toujours largement supérieures aux ressources consacrées aux chômeurs et aux plus démunis.

Le but de Jospin est de donner à l’électorat et à la base du parti l’impression d’un "coup de barre à gauche", sans pour autant rien changer des orientations fondamentales du gouvernement. Son indignation face au comportement de Marks et Spencer et ses remarques à propos de Danone ne mangent pas de pain, et les mesures qu’il a annoncées mi-avril sont d’une portée très limitée. Il s’agit là d’une opération comparable à celle qui a été effectuée en mars 2000. A l’époque, il avait nommé Jean-Luc Mélenchon, l’un des dirigeants de la Gauche Socialiste et assurément le ministre le plus silencieux du gouvernement. Cette fois-ci, c’est Marie-Noëlle Lienemann, une autre dirigeante de la Gauche Socialiste, qui a été nommée secrétaire d’État au logement. Mais, derrière les changements de façade, des processus beaucoup plus significatifs sont à l’œuvre.

Jusqu’à présent, la reprise économique et la forte augmentation des recettes fiscales qui en résulte à permis le maintien au gouvernement d’un éventail allant du PCF et de la Gauche Socialiste jusqu’aux représentants du capitalisme les plus endurcis, comme Fabius ou, avant lui, Strauss-Kahn. Jospin s’est servi des dirigeants du PCF et de la Gauche Socialiste, blottis contre son flanc gauche, pour tenter de contenir les mouvements sociaux et pour atténuer quelque peu les pressions exercées par Fabius. Cependant, le ralentissement de l’économie mettra cet arrangement à très rude épreuve. La baisse des profits et des cours boursiers se traduira par des pressions infiniment plus fortes de la part des milieux capitalistes en faveur d’une politique plus marquée à droite. Les capitalistes profiteront de la dégradation de la conjoncture économique pour faire du chantage au gouvernement, brandissant la menace d’une remontée du chômage pour obtenir la baisse des charges et des impôts, davantage de ristournes financières, la "déréglementation" du marché du travail et le démantèlement complet des services publics.

Les éléments les plus droitiers de la direction du PS, autour de Laurent Fabius, considèrent que, de leur point de vue, l’alliance électorale avec le Parti Communiste est en train de perdre son utilité. Les déclarations de Fabius selon lesquelles "les élections se gagnent au centre" ne signifient pas autre chose. Pour des politiciens de carrière comme lui, le choix de s’appuyer sur le PCF afin de profiter à la fois des voix de son électorat et de la docilité de ses dirigeants, ou alors de rompre avec le PCF une fois celui-ci affaibli, n’est qu’une simple question tactique. Fabius estime que le PCF, transformé par Robert Hue en une cinquième roue du carrosse gouvernemental, dépend de l’appareil du PS au point que l’heure pourrait bientôt venir de le jeter comme un vieux soulier.

A ce stade, la rupture de l’alliance électorale et gouvernementale avec le Parti Communiste serait trop risquée pour les dirigeants du PS. Mais, à l’avenir, la droite du PS pourrait bien opter pour une telle stratégie. La nouvelle récession éliminera les bases économiques du "jospinisme" et entraînera un nouveau décalage vers la droite de la direction du Parti Socialiste. Cependant, il n’en sera pas de même à la base du parti. Le dernier congrès a déjà enregistré une forte progression des voix portant sur les motions de gauche, passant, depuis le congrès précédant, de 10% à 27% des voix de l’ensemble des militants. La contestation de la politique gouvernementale aura tendance à se renforcer, ouvrant la perspective d’un éviction de l’aile droite qui domine à l’heure actuelle les instances dirigeantes du PS.

Malheureusement, les dirigeants de la Gauche Socialiste, plutôt que de s’appuyer sur ce développement pour lutter avec fermeté contre les aspects pro-capitalistes de la politique du gouvernement, ne sont que trop heureux de participer, sur leurs bancs ministériels, à la mise en œuvre de ceux-ci. Julien Dray s’irrite d’être encore sur la touche, et ne rate aucune occasion de rappeler sa candidature au souvenir du Premier Ministre. Au Conseil National du PS, il a déclaré que si le PS avait perdu du terrain lors des municipales, c’était parce que certains candidats "n’avaient plus le réflexe de rappeler qu’ils étaient adossés à la politique gouvernementale et à ses succès". Décidément, au PS, avec de pareils dirigeants "de gauche", on n’a plus tellement besoin des dirigeants de droite !

La pusillanimité des dirigeants de la Gauche Socialiste, qui va de pair avec l’extrême timidité du programme de ce courant, aura tendance à entraver l’émergence d’un courant oppositionnel fort. Cependant, malgré ceci, les mouvements sociaux dans les secteurs publics et privés auront inévitablement des répercussions au sein du Parti Socialiste, et finiront par jeter l’aile droite du parti sur la défensive.

La faillite politique de Mélenchon, Lienemann et Dray n’a d’égale que celle de la direction du Parti Communiste, autour de Robert Hue. Sonné par les résultats des municipales, Hue, comme Jospin, veut donner à l’électorat des "signes" d’une politique plus à gauche, plus attentive aux aspirations des travailleurs. Hue "s’interroge" sur la signification de la déroute électorale du PCF. L’explication est pourtant simple : ce que les électeurs du PS n’acceptent pas de la part des dirigeants socialistes, les électeurs du PCF l’acceptent encore moins de la part de dirigeants qui se disent "communistes". Tout au long de l’histoire du PCF, malgré toutes les trahisons perpétrées par ses dirigeants, malgré l’horreur du stalinisme dont ceux-ci faisaient l’apologie, ce qui motivait les électeurs et les militants du Parti Communiste était la nécessité d’en finir avec le capitalisme. Or, Robert Hue et la direction du PCF se sont efforcés de faire comprendre à tous que le PCF n’avaient plus rien de "communiste" ou de "révolutionnaire". Dans la pratique, tout le monde a pu voir qu’il n’y a aucune différence importante, au sein du gouvernement, entre les représentants du PCF et ceux du PS. Le "recentrage du parti sur les mouvements sociaux" qu’annonce Hue, s’il devait être suivi d’effets et traduit dans le programme et la pratique de sa direction, reviendrait à remettre en cause la participation gouvernementale du PCF. Ce que Hue refuse catégoriquement.

Sur toutes les questions fondamentales, Jospin a pu compter sur le soutien des députés du PCF, à l’Assemblée nationale, y compris pour les privatisations et pour le bombardement de la Serbie, en 1999. Un électorat de gauche qui doit choisir entre deux partis dont les politiques sont quasiment identiques, aura tendance à opter pour le plus grand des deux. Depuis les municipales, le PCF ne se trouve plus à la tête d’aucune ville de plus de 100 000 habitants. Les adhérents quittent le parti massivement, les militants se démobilisent.L’Humanité risque de disparaître. De toute évidence, le maintien des orientations désastreuses de Robert Hue pourrait menacer à terme le PCF d’extinction totale. La survie du PCF dépend de la capacité de ses militants à réorienter le parti vers sa vocation d’origine : lutter pour la défense des intérêts des salariés et de la jeunesse, et faire comprendre la nécessité de rompre avec le capitalisme sur la base d’un programme audacieux et révolutionnaire.

Malgré ses victoires, à Paris et à Lyon, les municipales indiquent clairement que la gauche est en recul sur le plan électoral. La politique du PS et du PCF ne suscite aucun enthousiasme chez les salariés. Une bonne partie des travailleurs, des jeunes ou des retraités se sont abstenus de voter. D’autres, souvent brûlant d’indignation face au blocage des salaires, à la dégradation des conditions de travail, à la remise en cause des retraites ou au démantèlement des services publics, ont voté à gauche pour faire barrage à la droite. Aux présidentielles de l’année prochaine, si Jospin l’emporte contre Chirac, ce sera "par défaut", compte tenu des démêlés de ce dernier avec la justice. Cependant, aux législatives, la droite pourrait bien augmenter le nombre de ses députés au détriment de la gauche, et l’on ne saurait exclure qu’elle obtienne une majorité.

Face à cette sombre perspective, c’est la même tâche qui s’impose dans les partis socialiste et communiste. François Hollande a récemment déclaré que le PS "a toujours été le parti des classes moyennes", ce qui prouve qu’il ignore - ou feint d’ignorer - l’histoire du parti qu’il est supposé diriger. Le Parti Socialiste et son prédécesseur, la SFIO, comme le Parti Communiste, ont été créés au cours des luttes des travailleurs français dans le but de donner une expression politique à leurs intérêts spécifiques et pour en finir avec le capitalisme. Ceux qui en doutent peuvent se référer aux textes fondateurs des deux partis, adoptés au Congrès de Tours en 1920 pour le Parti Communiste, et, pour le Parti Socialiste, au Congrès d’Épinay de 1971. Non, le PS, pas plus que le PCF, n’est pas un parti des classes moyennes. Ce qui est vrai, par contre, c’est qu’au cours de leur développement, les instances dirigeantes des deux partis sont passées sous le contrôle d’éléments qui proclament ouvertement leur soutien au capitalisme, et se contentent de le "gérer" dans l’intérêt de la Bourse et des grands groupes, tout en profitant personnellement des avantages et conforts que ce système leur propose en échange de leurs bons et loyaux services.

La politique menée par Lionel Jospin ne peut apporter que de nouvelles déceptions et de nouvelles défaites. En s’alignant sur les intérêts de la Bourse et le MEDEF, le gouvernement ne pourra pas empêcher la régression sociale. Il faut que les travailleurs et la jeunesse se réapproprient leurs partis et leurs organisations syndicales, qu’ils les investissent, qu’ils les transforment en des instruments efficaces et fiables dans la lutte contre le capitalisme. C’est dans cette optique que La Riposte s’adresse à tous les militants de ces partis, à tous les participants et sympathisants des mouvements sociaux, aux jeunes lycéens et aux étudiants, afin qu’ils la rejoignent dans son combat pour rétablir les idées et le programme du socialisme dans la gauche française.

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