Les résultats du vote dans les sections du Parti Socialiste sur les motions présentées au congrès de Grenoble témoignent d’une désaffection croissante vis-à-vis de la politique menée par Lionel Jospin. Avec 27% des voix portant sur les deux motions oppositionnelles, celle présentée par la Gauche Socialiste et celle d’Henri Emmanuelli, ce vote constitue le score le plus élevé jamais enregistré par l’aile gauche du PS depuis les années 70.

Le fait que ce résultat intervienne à la veille d’une série d’échéances électorales, c’est-à-dire dans une période où la nécessité de se rassembler autour de la direction nationale se fait fortement sentir auprès des militants, ne fait que renforcer sa signification. Dans les débats préalables au vote, les adhérents votant pour la motion Hollande-Jospin ont souvent exprimé de vives inquiétudes au sujet des orientations du gouvernement, dans lesquelles ils ont du mal à se reconnaître. La baisse très marquée (-10%) du taux de participation au vote souligne davantage le manque d’enthousiasme que ressentent les adhérents pour l’action gouvernementale.

Face aux privatisations, à la précarité grandissante et aux contre-réformes sociales mises en oeuvre par le gouvernement, l’opposition enregistrée lors du vote dans les sections socialistes aurait été plus marquée encore si la gauche du parti avait présenté une alternative crédible. Emmanuelli a touché une corde sensible en critiquant la "dérive libérale" du gouvernement et en insistant sur la nécessité que le parti ne soit pas considéré comme un simple relais de la politique gouvernementale. Cependant, dans sa motion, on ne trouve rien, sur les grandes questions sociales et économiques, qui puisse ressembler à un programme alternatif sérieux.

Quant à la motion de la Gauche Socialiste, elle traduit toute la mollesse et la confusion politique qui caractérisent les dirigeants de ce courant. Ils sont favorables à l’économie de marché, mais regrettent les conséquences de celle-ci. Ils réclament une "réforme constitutionnelle", mais ne veulent pas supprimer le Sénat. Ils critiquent le "libéralisme" et le "modèle anglo-saxon", mais chantent les vertus d’économistes réactionnaires comme James Tobin et Lord Keynes. (Pendant la guerre froide, Tobin était l’un des architectes de la politique étrangère américaine et Lord Keynes, viscéralement hostile au socialisme, était l’administrateur de la Banque d’Angleterre et un membre éminent du Parti Libéral). Enfin, à l’heure de la chute de l’économie américaine, de l’effondrement des Bourses et d’un ralentissement de la croissance en France, ils proclament à cor et à cri, sans sourciller, que "la crise est finie" et que l’économie française est installée dans une "onde longue" de croissance, capable d’assurer durablement le plein emploi et le progrès social.

Pour toute réponse, François Hollande a pris note des critiques formulées à l’encontre de la politique du gouvernement, tout en constatant "avec plaisir" que le Ministre Jean-Luc Mélenchon n’en participait pas moins activement à sa mise en application.

Lors des congrès précédents, les dirigeants de la Gauche Socialiste ont toujours accepté de faire une "motion de synthèse" avec la droite du parti. Mais l’humeur des délégués et des militants du courant leur interdisait de renouveler cette manœuvre à Grenoble. Il fallait arracher une concession, aussi minime soit-elle, pour justifier une capitulation. En échange d’une synthèse, les dirigeants de la Gauche Socialiste ont demandé à Hollande d’accepter la proposition d’une conférence sur les salaires, courant 2001. Mais la direction ne voulait pas accéder à cette demande, sachant que, dans le contexte actuel, une telle conférence pourrait constituer un point focal pour les nombreuses mobilisations et grèves sur cette question. Ce refus rendait la synthèse impossible.

Malgré les carences dans le programme de la Gauche Socialiste et dans le comportement de ses dirigeants, la gauche du parti continuera de progresser dans les mois et les années à venir. Le vote des militants constitue un désaveu de la politique menée par Jospin, et s’inscrit dans un processus de fond qui confirme de manière éclatante les perspectives élaborées par La Riposte.

A la différence de ceux qui, de l’extérieur, voyaient dans l’évolution droitière de la direction la preuve définitive que le PS était un "parti capitaliste", nous avons expliqué qu’il ne s’agissait là que d’une seule face du processus à l’œuvre. Un parti aussi enraciné dans l’histoire et dans la conscience collective que le Parti Socialiste n’existe pas dans le vide. Les pressions du capitalisme s’exercent fortement sur lui, et notamment sur ses échelons supérieurs, où l’attrait des privilèges, de l’argent, du prestige et des honneurs ont finit par sceller la dégénérescence politique - et parfois morale - des personnalités dirigeantes du parti, au point d’en faire des alliés conscients de la classe capitaliste elle-même.

Cependant, le Parti Socialiste ne se réduit pas - fort heureusement - à ses seuls dirigeants. Il repose sur d’énormes réserves sociales et, en parallèle, depuis 1920, avec le Parti Communiste, a émergé au cours son l’histoire comme l’expression politique du salariat et de la jeunesse. C’est pourquoi nous pensions qu’une recrudescence des mouvements sociaux aurait d’inévitables répercussions au sein du PS et du PCF. Au Parti Communiste, la dérive, impulsée par Robert Hue, vers des positions de plus en plus ouvertement pro-capitalistes a déjà plongé le parti dans une crise particulièrement aiguë. Au Parti Socialiste, également, le ralliement de sa direction à la cause du capitalisme, dans une époque où ce système ne peut survivre qu’au détriment de la vaste majorité de la population, signifie que le PS se dirige vers une crise, où plus exactement une longue série de crises, dont les développements récents ne sont qu’un signe avant-coureur.

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