Ce texte est le document d’orientation qui a été adopté lors du Congrès national de La Riposte, début avril.


Les perspectives occupent une place primordiale dans le travail de La Riposte. Un mouvement révolutionnaire doit s’efforcer d’identifier et d’expliquer les processus fondamentaux à l’œuvre dans la société, de façon à tenter d’anticiper le cours des événements, dans la mesure du possible. Si nous négligions cet aspect de notre travail, nous nous rendrions vulnérables aux impressions qu’induisent des développements superficiels et épisodiques. Nous serions alors incapables de maintenir une orientation politique correcte.

L’élaboration de perspectives est une science, mais ce n’est pas une science exacte. Nos perspectives ont nécessairement un caractère général et conditionnel. Des erreurs d’appréciation sont inévitables, sur telle ou telle question. Sur la base de notre expérience collective et du cours réel des événements, il faut soumettre nos perspectives à un examen critique, les corriger et les affiner.

Les réformistes et les bureaucrates qui dominent le mouvement ouvrier, de nos jours, n’ont pas besoin de théorie. Ils méprisent les « idéologies ». Ils réagissent aux événements de façon empirique, suivant leurs objectifs immédiats et étriqués. L’un des traits psychologiques du réformisme et de l’opportunisme, c’est, au fond, un certain fatalisme, une capitulation face aux « réalités » du moment. A l’inverse, la théorie marxiste est à la base de toute notre activité. Notre analyse des processus à l’œuvre dans la société n’est pas un exercice académique. Les bases théoriques de notre organisation sont un guide pour l’action, un résumé de l’expérience collective de la classe ouvrière et des enseignements qui en découlent. Sans théorie révolutionnaire, il ne peut pas y avoir d’action révolutionnaire conséquente.

L’arrière-plan économique et la position mondiale de la France

Marx et Engels ont découvert que ce sont les rapports de production et la structure sociale correspondante qui forment, à chaque époque historique, la base de l’histoire sociale, politique et intellectuelle de cette époque. Les rapports qui s’établissent entre les hommes et entre les classes sont déterminés, en dernière analyse, par leurs rapports économiques. En conséquence, une élaboration scientifique des perspectives doit commencer par un examen de la situation économique.

A l’échelle mondiale, le volume des échanges commerciaux s’est fortement contracté, au cours de la dernière période (–10% en 2009). La cause fondamentale de cette contraction est la surproduction de marchandises par rapport à la demande. Cette surproduction concerne pratiquement tous les secteurs de l’économie. Si tous les pays du monde ne sont pas entrés en récession, le ralentissement de la production a été général, y compris en Chine. En conséquence, les capitalistes s’efforcent de sauvegarder leurs profits en détruisant des moyens de production, en supprimant des emplois et en baissant les coûts salariaux. Les gouvernements mènent une politique de contre-réformes sans précédents depuis la Grande Dépression des années 30. Dans les pays européens, la férocité de l’offensive menée contre l’emploi, les conditions de travail, les salaires et les services publics provoque une dégradation importante du niveau de vie des travailleurs. Les conditions de logement se dégradent. Les systèmes de retraite, de sécurité sociale, de santé et d’éducation publiques sont constamment attaqués.

La position mondiale du capitalisme français est en recul depuis plusieurs décennies. Ce déclin est particulièrement marqué depuis le milieu des années 90, comme en témoigne la détérioration constante du solde de ses échanges internationaux. D’un excédent de 24 milliards en 1997, le solde du commerce extérieur français est passé à un déficit de 55 milliards en 2008. Il sera du même ordre en 2009. Le problème du capitalisme français n’est pas tant celui de la production que celui de l’écoulement de ses marchandises. La part du capitalisme français dans le marché mondial se rétrécit d’année en année. Entre 1998 et 2008, elle est passée de 5,3% à 4,1%.

La récession s’est traduite par une accélération brutale du déclin industriel du pays. La capacité productive existante n’est utilisée qu’à 70%. Pendant les 7 premiers mois de 2009, les exportations françaises ont chuté de 25%. La production d’automobiles a baissé de 20%, en 2009. La construction navale a reculé 27%, la sidérurgie de 40%. La chimie, le papier carton, les plastiques, le textile et l’habillement ont reculé de 14% à 16%. La baisse des investissements sont l’une des conséquences du recul de la France sur les marchés intérieur et extérieurs. Globalement, l’investissement a reculé de 8%, en 2009. Mais la baisse de l’investissement industriel est beaucoup plus importante (–23%). Cette contraction des investissements ne peut qu’accentuer, à son tour, l’affaiblissement de la position mondiale de la France.

Les entreprises françaises perdent du terrain non seulement sur les marchés extérieurs, mais aussi sur le marché intérieur. Dans pratiquement tous les secteurs, la pénétration de marchandises étrangères augmente au détriment de la production nationale. Les importations en provenance des autres pays de l’UE ont augmenté de 3,4 %, pour atteindre 285 milliards de dollars, en 2008. Dans le même temps, les exportations vers les pays de l’UE – soit 65 % de l’ensemble des exportations françaises – ont reculé de 0,7 %, pour s’établir à 206 milliards d’euros. Le déficit commercial de la France avec les pays de l’UE est donc passé de 16 milliards, en 2007, à 26 milliards en 2008.

Les capitalistes prêchent « moins d’Etat » pour justifier les privatisations. Mais dans le même temps, ils se tournent vers l’Etat pour obtenir des subventions directes ou pour qu’il soutienne la demande intérieure avec de l’argent public. Par exemple, la « prime à la casse » est une forme de subvention publique au profit de l’industrie automobile. Le « plan de sauvetage » des banques françaises a injecté 173 milliards d’euros dans les coffres des banques. La flambée des dépenses pour subventionner les capitalistes et soutenir la demande intérieure s’est traduite par une augmentation massive de l’endettement public, qui s’élève désormais à 80% du PIB annuel, soit près de 1500 milliards d’euros. L’addition sera présentée aux travailleurs et aux classes moyennes. Le déficit colossal de l’Etat sera payé par la destruction de ce qui reste des services publics, le gel des salaires, l’augmentation des impôts, la remise en cause de toutes les conquêtes sociales du passé – en somme, par l’appauvrissement matériel et culturel de la masse de la population.

En Grèce, la faillite financière de l’Etat a été évitée de justesse (et pour combien de temps ?), au moyen d’un « plan de sauvetage » européen. Au Portugal et en Espagne, la dette publique pourrait bien atteindre des niveaux comparables. « Sauver » un petit pays comme la Grèce, c’est une chose. Mais qui sauverait l’Espagne ? A terme, l’Etat français pourrait se trouver, lui aussi, au bord de la faillite.

Offensive capitaliste contre les travailleurs

Pour défendre les profits et compenser la perte de marchés, le gouvernement Sarkozy et la classe dirigeante se sont montrés absolument implacables dans leur volonté de détruire tout ce qui fait obstacle à la rentabilité du capital. En 2009, 480 000 emplois ont été détruits. Les conquêtes sociales du passé dans le domaine de la santé, de l’éducation, du logement, des retraites, etc., sont toutes démantelées ou en voie de l’être. L’exploitation accrue des salariés se traduit par des pressions de plus en plus fortes. Les travailleurs doivent donner constamment plus, pour recevoir de moins en moins en retour. Les 32 salariés de France Télécom qui se sont suicidés, en 2009, ne sont que l’expression la plus dramatique d’un accroissement du stress que l’ensemble des salariés dans cette entreprise ressent. Les mêmes pressions s’exercent dans tous les secteurs de l’économie, ainsi que dans les administrations et les services publics.

Les capitalistes délocalisent des entreprises pour profiter des salaires de misère qui ont cours en Chine, en Europe de l’Est et ailleurs. Le secteur productif est délaissé. C’est que la base industrielle et commerciale de la France est trop grande par rapport à sa part du marché mondial. Quels que soient les sacrifices imposés aux travailleurs, le capitalisme français ne parviendra pas à empêcher le rétrécissement de ses parts de marchés en France, en Europe et dans le reste du monde. Il n’existe aucun moyen, sur la base du capitalisme, qui permettrait d’inverser ce processus du déclin.

Les bases matérielles et psychologiques de la révolution

Karl Marx expliquait que dans un système économique et social donné, les moyens de production finissent par se heurter aux limites qu’imposent les rapports de production de ce même système. Aujourd’hui, le déclin économique, l’accroissement massif de la dette publique et la réaction capitaliste dans les entreprises sont autant de preuves que la propriété privée des banques, de l’industrie et de la grande distribution est devenue un obstacle infranchissable au progrès économique et social. Le capitalisme signifie la régression sociale permanente. Or, aucun ordre social ne peut continuer indéfiniment sur cette pente. Tôt ou tard, une rupture de l’équilibre entre les classes est inévitable. La contradiction entre les forces productives existantes et la capacité du capitalisme à les soutenir constitue la prémisse fondamentale sur laquelle repose nos perspectives révolutionnaires.

Au fond, la lutte des classes est une lutte pour le partage des richesses crées par les salariés. Le profit, c’est le travail impayé de la classe ouvrière. La contraction de l’activité économique modifie substantiellement la situation des classes antagoniques. L’intensité extrême qui a caractérisé la lutte des classes en Amérique latine, au cours de la dernière décennie, se déplacera vers l’Europe. La lutte des classes en France et en Europe prendra un caractère extrêmement aigu. Comme c’est le cas en Amérique latine, le processus révolutionnaire aura une dimension continentale, et la France n’y occupera certainement pas la dernière place. L’histoire du mouvement ouvrier français est jalonnée de luttes révolutionnaires. Dans le contexte économique et social de notre époque, avec l’impossibilité d’échapper à la régression sociale sur la base du capitalisme, ces grandes traditions du mouvement ouvrier français referont surface. Il y aura un regain d’intérêt pour les idées du marxisme, une soif d’explications, de théorie.

Nous savons que ce sont les conditions matérielles d’existence qui déterminent la conscience. Mais cette détermination n’est pas immédiate et mécanique. La conscience – et non seulement celle des travailleurs – retarde toujours sur la situation objective. Le passé pèse sur le présent. C’est ce retard de la conscience sur les conditions objectives qui explique le retard de la révolution socialiste elle-même. La révolution socialiste suppose, dans les masses, un haut degré de développement de la conscience politique, et ceci nécessite une « longue préparation », comme disait Engels. Ce n’est que sous l’impact de grands événements, lorsque l’impasse d’un ordre social entraîne des modifications brusques et profondes, dans les conditions sociales, que les travailleurs sortent de leur torpeur et que mûrissent chez eux des idées révolutionnaires. Le retard de la révolution socialiste ne s’explique nullement par des conditions objectives, mais par des conditions subjectives.

En temps « ordinaires », la conscience de la majorité des travailleurs est toujours sous l’influence idéologique des exploiteurs. Mais justement, la période qui s’ouvre n’aura rien d’ordinaire. L’impasse du capitalisme modifie la psychologie politique des travailleurs. Cependant, ce n’est pas un processus linéaire. Les travailleurs apprennent à partir de leur expérience, mais à des vitesses différentes, de façon chaotique et contradictoire. Ils peuvent parfois en tirer des conclusions réactionnaires, nationalistes, racistes, etc. Mais de manière générale, la mollesse, la passivité, l’esprit de compromis, les illusions dans le parlementarisme et le réformisme cèderont la place à une mentalité plus combative, plus dure, plus révolutionnaire.

Impact de la récession

L’avènement de la récession était une confirmation éclatante des perspectives que La Riposte avait élaborées dans la période précédente. La soudaineté de la crise a surpris les travailleurs, d’autant que les dirigeants du PS, du PCF et des organisations syndicales n’avaient rien fait pour les prévenir.

La récession et la brusque montée du chômage n’ont pas donné lieu à une vague de grèves importantes. Ce n’est pas difficile à comprendre. Le capitalisme établit une lourde dépendance des travailleurs par rapport au capital. Leurs conditions d’existence sont largement suspendues à la « marche des affaires ». Ils ressentent cette dépendance de façon d’autant plus aigue en période de contraction économique. Le plus souvent, une baisse brutale de l’activité économique n’incite pas à la révolte, dans un premier temps – mais tend, au contraire, à intimider les travailleurs. La crise rappelle brutalement au salarié qui est le maître et qui est l’esclave. Les mesures superficielles que proposent les réformistes – des mesures fiscales, des subventions, des taxes prétendument dissuasives etc. – n’ont que peu d’attrait, pour les travailleurs. Ils comprennent confusément qu’il faudrait bien plus que quelques ajustements techniques pour résoudre les problèmes qui existent. Lorsqu’ils entendent les dirigeants du PCF ou de la CGT expliquer qu’il faut taxer davantage les capitalistes, restreindre leurs opérations boursières et leur imposer des contraintes diverses – en un mot, s’attaquer au profit, sans abolir le système de profit –, beaucoup de travailleurs se disent que tout cela risquerait de leur retomber dessus. Et ils n’ont pas tort, dans le fond.

Le fait que les travailleurs ne se sentent pas immédiatement en position de force ne les empêche pas de réfléchir. Pour ce qui est de la couche la plus militante des travailleurs, son attitude envers les directions syndicales – y compris celle de la CGT – est devenue beaucoup plus critique. A l’époque de Raffarin et de Villepin, lors des grandes journées d’action et de grèves, les manifestations étaient empreintes d’optimisme, et même de joie. Souvent, il y régnait une ambiance de carnaval. Les manifestants imaginaient que la seule « pression de la rue » pourrait obtenir l’annulation ou le report des mesures impopulaires. Cette idée ne tombait pas du ciel. Nous l’avons dit : le passé pèse sur le présent. Dans une période d’expansion économique, avec la croissance des marchés et des profits, il arrive que la simple « pression » du mouvement ouvrier – des grèves et manifestations – finisse par arracher des concessions. La menace d’une montée en puissance du mouvement, avec le risque qu’elle comporte pour les intérêts capitalistes, suffisait souvent à arracher des concessions relativement importantes. Tel fut le cas, par exemple, aux Etats-Unis et dans la plupart des pays européens, pendant les « trente glorieuses » qui ont suivi la deuxième guerre mondiale.

Dans un premier temps, les « journées d’action » suscitaient un certain enthousiasme. Au-delà des participants directs, les manifestations étaient soutenues et encouragées par une large majorité de la population. L’idée qui prédominait était que des manifestations d’une si grande ampleur obligeraient forcément le gouvernement à « revoir sa copie ». Cette idée a pratiquement disparu, aujourd’hui. La répétition de ces journées d’action n’a débouché sur rien, si ce n’est sur l’épuisement de ceux qui y participaient. En conséquence, la participation active aux « journées » a fortement baissé.

Dans certaines conditions, une grève générale de 24 heures peut jouer un rôle positif. Elle peut servir à sonder la combativité des travailleurs, en vue de préparer un mouvement de grève illimité. Mais de toute évidence, les directions confédérales des syndicats se servaient plutôt des ces « journées d’action » pour contenir le mouvement dans certaines limites. A maintes reprises, Sarkozy a rendu hommage au « sens des responsabilités » des dirigeants syndicaux, y compris Bernard Thibault. Alain Minc, porte-parole par excellence du capitalisme, a salué la capacité des organisations syndicales à « canaliser » la contestation sociale. La fonction politique du réformisme est précisément de démoraliser les travailleurs, de limiter leur horizon à ce qui est « réalisable » sous le capitalisme.

La politique qui consiste à engager des discussions avec le gouvernement sur les « modalités » des régressions qu’il impose, conjuguée avec des actions périodiques sans programme et sans suite pratique, est de plus en plus discréditée auprès des syndicalistes de base, et surtout à la CGT. Bon nombre de ces camarades seront ouverts à nos idées, d’autant plus que la CGT compte, dans ses rangs, des dizaines de milliers d’adhérents et sympathisants communistes. Ecoeurés par la dilution progressive de la politique du PCF, ils ont souvent renoncé à y participer activement. Nous devons chercher par tous les moyens possibles à entrer en contact avec ces camarades. La Riposte doit devenir non seulement le journal de l’aile marxiste du PCF, mais aussi celui des éléments les plus combatifs de la CGT. Il faut tisser des liens entre le journal et le mouvement syndical, développer un réseau de correspondants réguliers et de militants qui diffusent le journal dans leur syndicat et sur leur lieu de travail. Ceci constitue l’une de nos tâches politiques les plus importantes, actuellement.

La détérioration constante des conditions de vie des travailleurs débouchera sur des mouvements de grève plus importants et plus fréquents. Lorsque l’activité économique redémarrera, cela pourrait favoriser les débrayages. Mais à terme, même si le chômage continue de monter, des mouvements de grève seront à l’ordre du jour. Les travailleurs n’auront d’autre choix que de se défendre contre les coups portés par le patronat. Les effets paralysants de la récession finiront par s’atténuer, ouvrant la voie à de nouvelles mobilisations massives.

La grève générale

Le développement d’une grève générale illimitée est une perspective tout à fait réelle, dans les années à venir. Toutes les autres voies sont bloquées. La voie parlementaire – par l’élection d’un gouvernement de gauche – n’offre aucune issue. Certes, en 2012, on peut s’attendre à une mobilisation électorale importante – surtout autour du PS – pour se débarrasser de la droite. Si la droite est battue, il n’est pas impossible que le PCF/Front de Gauche accepte de participer au gouvernement avec les socialistes. Mais puisque le programme des dirigeants du PS et du PCF ne dépasse pas le cadre du système capitaliste, ils ne parviendront pas à résoudre les problèmes. Par conséquent, les travailleurs reviendront à l’action syndicale et extra-parlementaire. S’ils restent passifs, ils verront que personne ne les défendra. Mais des journées d’action et des grèves isolées ne peuvent pas, non plus, aboutir à des résultats satisfaisants.

Avec des dirigeants syndicaux et politiques dignes de ce nom, et en se donnant le temps nécessaire, il serait tout à fait possible de convaincre la masse des travailleurs de la nécessité d’une offensive générale contre le capitalisme, d’une expropriation des capitalistes et d’une république socialiste. Mais Thibault, Mailly et Chérèque mettront tout en œuvre pour empêcher la convergence des luttes et pour occulter complètement la question de la propriété capitaliste. Ils insisteront pour qu’on « ne mélange pas tout », pour que les revendications des différents secteurs soient traitées « dossier par dossier », et pour ne pas « politiser » les luttes syndicales. La grève générale ne devient possible que lorsque la lutte des travailleurs s’élève au-dessus des revendications particulières des différentes entreprises et secteurs d’activité. Elle constitue une extension de la mobilisation des différentes catégories professionnelles, et dévient nécessairement, par son existence même, une offensive puissante dirigée contre l’ordre capitaliste, contre l’Etat et les « institutions républicaines ». C’est précisément ce qui effraie les directions réformistes – qui, soit dit en passant, n’engagent aucune lutte sérieuse pour obtenir des réformes. Quand la base veut lutter, les sommets freinent. Les Thibault, Mailly et Chérèque constituent un obstacle très important au développement d’une grève générale. Mais cet obstacle n’est pas insurmontable. Lorsque la pression d’en bas deviendra suffisamment forte, le barrage bureaucratique cédera.

La grève générale illimitée – et quasi insurrectionnelle – qui a éclaté aux Antilles, en 2009, est une indication de ce qui se passera en France métropolitaine, dans les années à venir. Les travailleurs font preuve de beaucoup de patience. Ils acceptent, pendant longtemps, de souffrir en silence. Mais il arrive un moment ou ils n’ont pas d’autre choix que de lutter.

Comme forme de lutte, la grève générale est la plus haute expression de la lutte des classes – juste avant l’insurrection. Elle survient dans des conditions de tension extrême. L’importance colossale d’une grève générale réside dans le fait qu’elle pose la question du pouvoir de façon révolutionnaire. En arrêtant l’industrie, les transports, la distribution et les administrations publiques, une grève générale paralyse l’appareil gouvernemental. Comme ce fut le cas en mai et juin 1968, le pouvoir d’Etat est alors suspendu en l’air. Une situation de « double pouvoir » se développe, indépendamment des mots d’ordre et des revendications qui sont à l’origine de la grève.

Quels que soient ses résultats immédiats, le développement d’une grève générale illimitée aurait des conséquences énormes pour la classe ouvrière. Elle serait une démonstration pratique de son pouvoir colossal. En faisant comprendre à la masse de la population que rien ne peut se faire sans les travailleurs, elle transformerait radicalement sa conscience politique. Ceci étant dit, dans le contexte actuel, même une grève générale illimitée ne résoudra aucun problème fondamental si elle ne touche pas à la propriété capitaliste de l’économie et ne chasse pas les représentants de l’ordre capitaliste de l’administration publique – autrement dit, si elle ne transfère pas effectivement le pouvoir à la classe ouvrière. Certes, par crainte de favoriser l’émergence d’une situation « incontrôlable », des mesures impopulaires peuvent éventuellement être annulées ou reportées à plus tard. Ce fut le cas avec le CPE. Il n’est pas exclu, non plus, que certaines revendications puissent être momentanément satisfaites. Mais une fois dissipée la menace d’un renversement du système capitaliste, les concessions seront reprises d’une façon ou d’une autre. Il ne sera pas possible d’arrêter la régression sociale tant que la propriété capitaliste des moyens de production, de distribution et d’échange n’aura pas été abolie. Compte tenu du déclin irréversible de la position mondiale du capitalisme français, la destruction des conquêtes sociales de la classe ouvrière est la seule option ouverte à la classe capitaliste. La pression que les travailleurs peuvent tenter d’exercer produira une tension extrême entre les classes. Pour mettre fin à la régression sociale, la menace d’une révolution ne sera d’aucune efficacité. Seule la révolution elle-même apportera une solution.

Parmi les éléments les plus conscients et actifs du mouvement ouvrier, la nécessité d’un changement révolutionnaire est en train de gagner du terrain. La différentiation politique à l’œuvre dans le PCF et la CGT en est une expression, parmi bien d’autres. Des centaines de milliers d’autres travailleurs – puis, à un certain stade, des millions – parviendront à cette même conclusion. La faillite du réformisme ouvre la voie à l’émergence d’un courant révolutionnaire de masse, non pas à partir de telle ou telle secte ou groupe marginal, mais à l’intérieur des grandes organisations politiques et syndicales de la classe ouvrière, ainsi que dans la masse des travailleurs et de jeunes « non organisés » qui, dans un contexte d’intenses luttes de classe, se tourneront vers ces organisations et exerceront sur elles une pression irrésistible.

Ceci est un aspect fondamental des perspectives qui se dessinent pour la France au cours de la prochaine période, un aspect que nous ne devons en aucun cas perdre de vue. Notre tâche n’est pas d’organiser des scissions, de chercher à concurrencer les organisations traditionnelles des travailleurs, mais de favoriser, par la clarté de nos idées et par notre attitude constructive et fraternelle envers tous les militants, le développement de l’influence des bases théoriques, du programme et des méthodes de lutte communistes.

Le Parti Communiste Français

De nombreux élus communistes luttent sérieusement pour défendre l’emploi, les services publics et pour améliorer les conditions de logement, etc. Cependant, le contrôle effectif de l’appareil du parti est entre les mains d’un groupe d’élus parlementaires et locaux dont l’horizon politique ne va pas au-delà des « institutions républicaines » qui sont la source de leurs revenus, de leur prestige et de leur pouvoir. De leur point de vue, le PCF est essentiellement une machine électorale au service de leurs ambitions personnelles. Méprisant la théorie, les principes et les objectifs révolutionnaires du mouvement communiste, ces dirigeants « pragmatiques » sont prêts à n’importe quel compromis susceptible de les aider à gagner ou à conserver leurs sièges et leurs avantages.

Le programme général que défend la direction du parti est une variété particulièrement timide de réformisme. Selon les théories en vogue dans les instances dirigeantes, une soi-disant « révolution informationnelle » aurait profondément modifié les mécanismes de l’économie capitaliste, au point de rendre la théorie économique de Marx inopérante. Ainsi, le capitalisme n’aurait pas besoin d’être renversé ; il pourrait être graduellement et paisiblement dépassé par un meilleur partage des « savoirs », par des réformes fiscales et des subventions publiques judicieuses. De cette façon, on finirait par imprimer au capitalisme une « logique » anti-capitaliste ! L’incapacité de la direction du PCF à présenter une alternative sérieuse au capitalisme et à la politique du Parti Socialiste explique l’affaiblissement organisationnel et électoral du PCF, au cours de la dernière période, qui a pourtant été marquée par toute une série de mobilisations massives, et offrait donc au parti d’immenses possibilités de développement.

Cependant, la base du parti est bien plus à gauche que ses sommets. Lors du vote interne préalable au 34e congrès, 40% des adhérents ont voté pour des textes qui exprimaient une opposition de gauche à la direction du parti. Sur ces 40%, 15% ont voté pour notre texte. Par ailleurs, une partie non négligeable de ceux qui ont voté pour le texte de la direction l’ont fait en dépit de fortes réserves sur son contenu. Ceci donne la mesure de l’effondrement de l’autorité politique de la direction du parti auprès des militants de base.

Le mode de fonctionnement de la « démocratie » interne du parti garantit aux instances dirigeantes une marge de manœuvre plus que confortable pour conserver leur contrôle de l’organisation. Les statuts sont taillés sur mesure pour mettre la direction relativement à l’abri des idées et des pressions de la base. Mais en dernière analyse, la direction réformiste du PCF, comme celles du PS et des organisations syndicales, repose sur la passivité de la masse de la classe ouvrière. Tant que les tâches du PCF sont essentiellement d’ordre électoral, institutionnel, etc., les réformistes pourront sans doute conserver le contrôle du parti avec plus ou moins de facilité. Mais la passivité de la masse des travailleurs ne durera pas indéfiniment. A un certain stade, sous les effets cumulés de la crise économique et sociale, ils entreront en action dans des mobilisations extra-parlementaires. Ceci aura d’énormes conséquences au sein de toutes les organisations traditionnelles de la classe ouvrière, à commencer par la CGT et le PCF.

L’expérience récente prouve que nos idées marxistes sont d’ores et déjà soutenues par une fraction importante des membres du parti. Une différentiation politique est à l’œuvre qui reflète, au fond, la divergence d’intérêts et d’aspirations des militants de base et de la caste « institutionnelle » qui contrôle l’appareil du parti. Mais la majorité des communistes – comme la majeure partie de la couche la plus active et combative de la classe ouvrière – ne tournera définitivement le dos aux idées et aux méthodes du réformisme que lorsque celles-ci deviendront un obstacle à l’accomplissement des tâches qu’ils se donnent. Seule une petite minorité de travailleurs viennent aux idées du marxisme par la discussion, la réflexion et l’étude théoriques. La plupart n’y viendront que par l’expérience pratique et concrète.

De très nombreux militants communistes ont quitté le parti, ces 30 dernières années. Ils se sont convaincus de l’existence d’une bureaucratie – avec son arrivisme, ses manœuvres cyniques, son indifférence aux principes et ses trahisons – contre laquelle ils se sentaient impuissants. Le marxisme est un programme et une théorie d’action révolutionnaire, et nos idées apparaissent nécessairement à la plupart des militants communistes comme trop radicales, trop implacables, en décalage avec les tâches et objectifs « pratiques » du moment. Il faut comprendre cette psychologie, chez les militants, et s’armer de patience. Nous voyons ici l’importance absolument cruciale des perspectives. C’est faute de perspectives que de nombreux communistes se sont laissés décourager. A ce stade, nous devons patiemment expliquer nos idées et nos critiques à l’égard des dirigeants réformistes, car il s’agit avant tout de préparer l’avenir.

Lors du 34e Congrès, le texte Faire vivre et renforcer le PCF fut présenté par une coalition hétéroclite de groupements oppositionnels. Cette coalition a commencé à se désintégrer, depuis. Jean-Jacques Karman, le représentant d’un de ces groupes, a rallié le chef de file liquidateur Braouezec. André Gerin, signataire « éminent » de ce texte, est désormais connu du grand public et de tous les militants communistes pour sa croisade visant à stigmatiser la population musulmane, en étroite collaboration avec des réactionnaires notoires tels qu’Eric Raoult. Les militants du parti qui cherchent une alternative sérieuse à la politique réformiste de la direction peuvent la trouver dans les idées de La Riposte, celles que résumait le texte n°2, Renforcer le PCF, renouer avec le marxisme. Nous devons redoubler d’efforts pour porter ces idées à leur connaissance et établir un dialogue avec l’ensemble des militants du parti.

Il faut distinguer entre le « réformisme » des militants de base et celui des dirigeants. Pour ces derniers, il s’agit d’une politique consciente et délibérée visant à limiter la portée de l’action et du programme du parti aux objectifs électoraux qui sont la source de leurs revenus et de leur prestige. Chez les militants, il s’agit d’une volonté de lutter pour des concessions et des résultats immédiats, sans « attendre » une éventuelle révolution. Paradoxalement, ce n’est que lorsque la masse de la population se mobilisera, sur les bases de ces mêmes aspirations « réformistes », pour obtenir des concessions immédiates, que le réformisme bureaucratique des dirigeants sera discrédité. Pour l’heure, notre tâche essentielle, comme communistes, est d’enraciner les idées, le programme et la théorie du marxisme dans les organisations traditionnelles des travailleurs, surtout dans la CGT et le PCF, afin d’offrir aux travailleurs une alternative sérieuse au capitalisme et à son expression politique au sein du mouvement ouvrier – le réformisme –, lorsque la crise révolutionnaire que préparent tous les processus fondamentaux à l’œuvre dans la société éclatera au grand jour.

Le « Front de gauche »

Aux dirigeants du PCF qui pensent que le « communisme » ne peut plus faire recette, électoralement, le Front de Gauche offre une nouvelle occasion – après celle des « collectifs anti-libéraux » – d’avancer vers la transformation du PCF en « autre chose », c’est-à-dire vers sa liquidation. De son côté, Jean-Luc Mélenchon et son entourage immédiat voient dans le Front de gauche un tremplin pour leurs ambitions personnelles. Mélenchon veut être le candidat du Front de gauche – soutenu par le PCF – aux élections présidentielles de 2012, ce qui lui permettrait de prétendre à un poste ministériel au sein d’un éventuel gouvernement socialiste. Il en appelle ouvertement à la fusion du Parti de Gauche et du PCF, en vue de constituer une « nouvelle force » qui aurait rompu avec la référence au communisme, et dont il prendrait évidemment la tête. Cette perspective est accueillie favorablement par une section significative – et peut-être une majorité – de la direction actuelle du PCF. Elle aura évidemment le soutien des médias capitalistes, qui appuient toute démarche visant à liquider le PCF.

Il existe donc une convergence d’objectifs entre la coterie de Jean-Luc Mélenchon et les éléments liquidateurs, à la tête du parti. Certes, du fait de l’opposition d’une majorité de militants communistes à toute forme de liquidation du parti, les dirigeants liquidateurs sont obligés d’avancer avec prudence. Mais tôt ou tard, ils devront abattre leurs cartes et formuler ouvertement leurs objectifs. Mélenchon insiste déjà pour que « tout soit mis sur la table » au plus vite, « y compris les échéances de 2012 ». Cela prépare les éléments d’une nouvelle crise, au sein du parti, car la grande majorité des militants communistes n’interprètent pas la démarche du Front de gauche de cette manière. Ils considèrent le Front de gauche comme une simple coalition électorale qui permet, au passage, de rompre avec la stratégie d’alliance systématique du PCF avec le PS. La perspective qu’il n’y ait pas de candidature issue du PCF, en 2012, serait vivement contestée à la base du parti. Cette contestation trouverait sans doute une expression aux sommets du parti. Certains représentants de l’appareil pourraient se présenter en alternative à une candidature de Mélenchon.

Parallèlement au développement des tendances liquidationnistes, au sommet du parti, la direction milite pour une participation du PCF – ou du Front de Gauche – à un éventuel gouvernement socialiste, en 2012. C’est ce que les dirigeants du parti entendent par « rassemblement de gauche à vocation majoritaire ». En effet, il est évident qu’il ne peut y avoir de majorité parlementaire, en 2012, sans le Parti Socialiste. Or, la direction du PS poursuit sa longue dérive droitière. Après l’expérience désastreuse du gouvernement Jospin, la perspective d’une participation des communistes à un gouvernement socialiste qui « gère » le système capitaliste suscitera une vive opposition, dans les rangs du parti. Dans ce débat, La Riposte expliquera que le PCF doit poser des conditions programmatiques sérieuses à toute participation à un gouvernement socialiste, comme par exemple la nationalisation des banques et de tout ce qui a été privatisé sous le gouvernement Jospin. Nous expliquerons qu’en l’absence d’un programme de gouvernement qui s’attaque sérieusement au pouvoir des capitalistes, le PCF doit renoncer à participer à une coalition gouvernementale avec le PS.

Le Parti Socialiste

Depuis 1981, les dirigeants du Parti Socialiste ont été au pouvoir pendant 15 ans. Sur toutes les questions fondamentales, ils ont appliqué une politique axée sur la défense des intérêts capitalistes. Et pourtant, malgré cette expérience, le parti est toujours sous le contrôle de dirigeants ouvertement pro-capitalistes, dont les idées seraient parfaitement acceptables au sein de l’UMP. Strauss-Kahn dirige le FMI, tandis que plusieurs dirigeants socialistes sont passés directement dans le camp de Sarkozy. Les désaccords de circonstances entre les cliques autour de Royal, Aubry, Strauss-Kahn, etc., ont servi de justification « politique » à la rivalité des chefs « présidentiables ». Si le PS devait gagner les prochaines élections présidentielles et législatives, il appliquerait une politique qui ne différerait que sur quelques détails de celle du gouvernement actuel.

L’aile gauche du PS a été largement désorganisée, politiquement désarmée et démoralisée. Les militants socialistes qui ont tenté de lutter contre l’aile droite ont été constamment trahis par leurs chefs, qui ont capitulé en échange de places confortables au gouvernement, dans les institutions et dans l’appareil du parti. Tel fut le cas, tour à tour, de Dray, Mélenchon, Montebourg, Peillon, Hamon, etc. Tous ces dirigeants se sont discrédités auprès des militants oppositionnels, dont beaucoup ont jeté l’éponge. En échange d’une place au gouvernement, en 2000, Jean-Luc Mélenchon a soutenu les aspects les plus réactionnaires de la politique de Jospin. Aussi avait-il miné sa position, au sein du parti, de sorte que très peu de militants socialistes l’ont suivi lors de son départ du PS.

La politique du PS ne suscite pas l’enthousiasme des jeunes et des salariés. Cependant, en 2012, faute d’alternative, le PS sera le principal bénéficiaire d’une mobilisation électorale pour battre la droite. L’ampleur de ce mouvement est difficile à prévoir. Mais si les socialistes remportent les élections, une nouvelle opposition de gauche pourrait bien se développer, au sein du parti. Grâce à leurs énormes ressources financières et à leur pouvoir institutionnel, les dirigeants du PS ont la capacité de « s’arranger » avec les chefs de file des opposants. Aussi une opposition de gauche ne pourra-t-elle progresser de façon significative que si elle plonge ses racines dans une mobilisation massive des travailleurs, en dehors du parti. De même, l’évolution de la situation au sein du PCF aura un impact sur le PS. Dans la mesure où les idées et le programme des marxistes gagneront du terrain, dans le PCF et dans les syndicats, elles ne manqueront pas de capter l’intérêt des éléments les plus combatifs du PS, qui pourraient s’en inspirer dans leur lutte pour infléchir le programme de ce dernier vers la gauche.

Il faut se garder de considérer le PS comme un parti complètement sclérosé, et dont les contours politiques sont donnés une fois pour toutes. Les perspectives du Parti Socialiste – comme de toutes les formations dotées d’un certain enracinement social – sont conditionnées par ce qui se passe en dehors de l’organisation elle-même. Dans le contexte d’une mobilisation majeure de la classe ouvrière, le rapport de force au sein du PS sera modifié au détriment de ses éléments réactionnaires. Ainsi, dans les années 30, les « néo-socialistes » ont été marginalisés et finalement rejetés de la SFIO. De même, dans la foulée des événements de 1968, le PS a connu forte une radicalisation.

Pour des sectes ultra-gauchistes incurables, le PS et le PCF seraient irrémédiablement « pourris ». Ils ne pourraient jamais changer, quelles que soient les circonstances. Des « révolutionnaires » de ce genre préfèrent réunir quelques dizaines de personnes dans un « parti révolutionnaire » bien à eux, coupé de tout ce qui ne leur plaît pas. Cette attitude n’a rien à voir avec une approche marxiste sérieuse, et ne mène à rien. Le but des marxistes n’est pas de se séparer des organisations politiques et syndicales des travailleurs, mais au contraire d’en faire partie intégrante, en expliquant patiemment leurs idées et en les soumettant à l’épreuve de l’expérience collective du mouvement.

La transformation de la LCR en NPA représente, au fond, une tentative de rendre cette organisation plus attrayante, notamment sur le plan électoral. D’où l’abandon de la référence au « communisme », à la faveur d’une vague étiquette « anti-capitaliste ». Sarkozy et les stratèges médiatiques du capitalisme ont sciemment fait la promotion de Besancenot, dans le but de prélever des voix au PS et au PCF. Inévitablement, cette couverture médiatique a eu un certain effet, en apportant au NPA quelques milliers d’adhérents. Mais cette petite aubaine sera de courte durée. Faute de perspectives, de bases théoriques et d’un programme qui le distingue nettement de celui du PCF, le NPA s’avérera incapable de faire une percée significative, et restera une formation politique marginale. Il entrera en déclin et finira sans doute par se désintégrer au gré des ambitions politiques et électorales des uns et des autres, à l’instar d’ATTAC et d’autres groupements de ce genre.

Limites de la réaction et perspectives révolutionnaires

Il existe une différence majeure entre les révolutions « bourgeoises » du passé et la révolution socialiste. A l’époque du Moyen Age, la bourgeoisie montante avait pu, sur une période de plusieurs siècles, renforcer graduellement sa position au sein de l’économie et de l’Etat, au détriment de la noblesse. En France comme ailleurs, bien avant que les révolutions du XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles ne fassent sauter les derniers obstacles à son expansion, la bourgeoisie occupait une place prépondérante, dans la société. La situation du salariat est différente. Cette classe n’est pas propriétaire de moyens de production, et ne vit que par la vente de sa force de travail. Il lui est impossible de s’installer graduellement – et, pour ainsi dire, inconsciemment – au pouvoir. La classe ouvrière ne peut accéder au pouvoir que par une action relativement soudaine et consciente. Elle doit être convaincue de la nécessité de cette révolution – et consciente des moyens de son accomplissement. D’où la nécessité d’une « avant-garde » révolutionnaire – d’un Parti Communiste – reposant sur un programme scientifique et sur l’assimilation de toute l’expérience du mouvement ouvrier international.

L’impasse du système capitaliste entraîne des modifications dans la psychologie de toutes les classes sociales. La classe dirigeante prend conscience que les concessions faites aux travailleurs, par le passé, sont désormais incompatibles avec ses propres intérêts – et doivent être liquidées, de gré ou de force. De leur côté, de plus en plus de travailleurs commencent à prendre conscience que la dégradation constante de leurs conditions d’existence n’est pas le fruit d’une crise accidentelle et passagère, mais une conséquence irrémédiable du système capitaliste.

Dans les années 30, face à l’impérieuse nécessité de briser les moyens de résistance des travailleurs, la classe dirigeante s’est orientée vers la mise en place d’un régime dictatorial, de type bonapartiste. La résistance de la classe ouvrière, qui avait atteint son apogée dans la grève générale de juin 1936, avait momentanément interrompu ce processus. Mais la rapide faillite du gouvernement du Front Populaire a ouvert la voie à une phase de bonapartisme parlementaire – puis finalement à la dictature de Pétain.

A la différence d’un régime de type « bonapartiste », dans lequel l’appareil répressif tente de contenir la lutte des classes dans certaines limites, le fascisme est un mouvement visant à la destruction totale des organisations de la classe ouvrière et de tous les droits démocratiques des travailleurs. Pour résumer, on peut dire que le bonapartisme est un moyen de conserver la paix civile au moyen d’un « Etat fort », alors que le fascisme ne peut atteindre ses objectifs qu’au moyen de la guerre civile. La quasi-disparition de la paysannerie et la prépondérance écrasante du salariat exclut l’avènement d’un régime fasciste.

Aujourd’hui, objectivement, la réduction draconienne du niveau de vie que les capitalistes veulent imposer aux travailleurs impliquerait une évolution vers un régime « fort », de type bonapartiste. Cependant, en raison de la modification radicale du rapport de force entre les classes, depuis la deuxième guerre mondiale, cette option n’est plus à l’ordre du jour. Une dictature a besoin d’une base sociale massive. La seule force répressive ne suffit pas. Dans le passé, la paysannerie fournissait l’essentiel de cette base. Mais aujourd’hui, les paysans ne représentent qu’une infime minorité de la population. La majorité des travailleurs du secteur agricole sont des salariés. Le salariat, lui, représente environ 86% de la population active. Par ailleurs, la position prépondérante du salariat n’est pas seulement quantitative. Les progrès de la technologie et l’interdépendance accrue de toutes les branches de l’organisme économique ont considérablement accru le pouvoir économique du salariat. Plus que jamais, l’ensemble du processus productif dépend du salariat. Des conséquences importantes découlent de cette modification du rapport de force entre les classes. Toute tentative sérieuse de s’orienter vers un régime dictatorial – comme celle qui a eu lieu en 1958, par exemple – provoquerait une réaction massive des travailleurs et de la jeunesse, et cette réaction menacerait l’existence même du système capitaliste.

Cependant, ceci ne signifie pas que dans un contexte de crise sociale profonde, la classe capitaliste se trouvera complètement dépourvue de réserves sociales dans sa lutte contre les organisations des travailleurs. La paupérisation d’une fraction grandissante de la population mettra à sa disposition une quantité d’individus déclassés et désespérés dans laquelle les capitalistes recruteront des briseurs de grèves. Dans les années 80, les patrons de l’automobile et d’autres secteurs ont créé la CSL – un syndicat « anti-grève » luttant pour le « droit au travail ». Le fichage, les « listes noires », la criminalisation du syndicalisme et les techniques d’intimidation utilisées à l’encontre des délégués syndicaux sont un premier pas dans cette direction. Exaspérés par la crise économique, par l’impuissance et la corruption des « institutions » – qui sont, bien évidemment, étroitement sous le contrôle des grands possédants –, les « classes moyennes », les petit-bourgeois des villes et des campagnes peuvent aussi fournir une base sociale à la réaction, dans certaines limites.

Le racisme est une arme puissante entre les mains des capitalistes. En alimentant le ressentiment « national » contre les « étrangers », ils cherchent à diviser les travailleurs entre eux. En Italie, la propagande ouvertement raciste de Berlusconi et les lois discriminatoires contre les « étrangers » ont facilité les attaques contre les droits et les conditions de vie de tous les travailleurs. Des organisations racistes paramilitaires, financées par le patronat et l’Etat, ont été mises sur pied. Cette stratégie n’a bien évidemment pas échappé à l’attention du gouvernement et du patronat, en France. Le lancement d’un « débat » sur le thème de l’« identité nationale » – avec Gérin, Besson et Raoult en première ligne – était un ballon d’essai destiné à tâter le terrain et voir dans s’ils pouvaient aller plus loin dans cette direction. Pour le moment, cette démarche raciste, visant à stigmatiser la communauté musulmane, n’a connu qu’un succès mitigé. Mais il pourrait en être autrement à l’avenir, sur fond d’exaspération « populaire » face à la pauvreté de masse.

Compte tenu du déclin de sa position sur le marché national, européen et mondial, le capitalisme français n’a d’autre choix que d’exercer une pression sans relâche pour réduire la part des richesses produites qui, d’une façon ou d’une autre, revient aux travailleurs. Mais la prépondérance massive du salariat réduit la marge de manœuvre des capitalistes. Sans l’appui d’une force sociale conservatrice significative, ils ne peuvent recourir à la répression directe. Aussi les capitalistes doivent-ils compter sur la complicité des dirigeants réformistes du mouvement ouvrier. Or cette complicité a, elle aussi, ses limites. La lutte contre le CPE, en particulier, a montré l’extrême précarité de la position des gouvernements dès lors que l’initiative et la direction d’un mouvement de masse commencent à échapper aux dirigeants des syndicats et des partis de gauche. Avec de plus de 400 000 manifestants le 7 mars, 1,4 millions le 18 mars 2006, et plus de 3 millions le 28 mars, le cours de la lutte contre le CPE ressemblait – à une échelle bien plus massive – à celui qui a débouché sur la grève générale du 13 mai 1968. Face à la possibilité croissante d’une grève générale illimitée – qui, par sa nature même, aurait transféré la direction du mouvement à la « base » et à ses représentants directs –, Chirac s’est empressé de capituler et de retirer le CPE.

Ainsi, les deux classes fondamentales de la société moderne – le salariat et les capitalistes – se tiennent mutuellement en échec, à ce stade. Faute de réserves sociales suffisantes, les capitalistes ne peuvent pas infliger aux travailleurs une défaite qui soit de nature à briser leur capacité de résistance. De leur côté, les travailleurs sont constamment freinés et politiquement désarmés par les dirigeants réformistes, ce qui les empêche d’infliger une défaite décisive aux capitalistes. Pendant ce temps, les gouvernements successifs et les capitalistes tirent les conditions sociales du plus grand nombre vers le bas. Aussi cet équilibre entre les classes n’est-il que temporaire : à un certain stade, il se brisera. Les assauts successifs des capitalistes et des gouvernements provoqueront une réaction d’en bas. Plus cette réaction tardera à se produire, plus elle sera puissante. Les réformistes – toujours à la recherche d’un « dialogue » avec l’ennemi – perdront leur emprise sur le mouvement. Ce point de rupture marquera le début de la prochaine révolution française.

Dans des périodes historiques normales, l’élément révolutionnaire du mouvement ouvrier est nécessairement plus ou moins isolé et « marginal ». Sa propagande contre le capitalisme, ses explications théoriques, ses critiques – aussi justes soient-elles – à l’encontre des directions réformistes, ne peuvent pas atteindre la masse des travailleurs. Mais une fois que cette masse entrera en action, tous les chefs, tous les partis, toutes les organisations syndicales seront mis à une rude épreuve. Il ne s’agira plus seulement d’une confrontation d’arguments, d’idées et de théories, mais aussi des tâches pratiques immédiates que se donnera un mouvement de masse. Dans ces conditions, à partir d’une base militante apparemment faible, les marxistes peuvent rapidement devenir une force majeure et, à terme, décisive. Les bases idéologiques et programmatiques nécessaires à la victoire d’un mouvement révolutionnaire ne peuvent pas être improvisées dans le feu de l’action. Elles reposent sur les enseignements des révolutions du passé et de la lutte des classes en général. Le travail que nous faisons actuellement, qui consiste à défendre et à expliquer les principes, les bases théoriques et le programme du marxisme au cœur même du mouvement communiste et syndical, est d’une importance décisive pour l’avenir du mouvement ouvrier et de l’ensemble des travailleurs.

La lutte pour en finir avec le capitalisme aura un caractère international. En Europe, le point de départ de la révolution ne peut pas être déterminé à l’avance. Mais quel que soit le premier pays où les travailleurs entreront en action, le mouvement traversera les frontières et jettera les capitalistes sur la défensive, à l’échelle continentale. Ayant épuisé sa capacité de développer l’économie, le capitalisme ne peut exister, désormais, que par la destruction progressive des conquêtes sociales du passé. La tâche historique des travailleurs est d’en finir avec ce système, de libérer l’économie – et, avec elle, la société toute entière – des contraintes du système de profit. Sous le socialisme, les gigantesques ressources productives existantes seront sous le contrôle collectif et démocratique des travailleurs. La propriété capitaliste, qui constitue la base même de l’exploitation de l’homme par l’homme, n’existera plus. Les fléaux du capitalisme – le chômage, la pauvreté, les inégalités flagrantes, le pouvoir arbitraire des exploiteurs – seront éradiqués. Le marché sera remplacé par une planification rationnelle de la production et de la distribution. La civilisation humaine pourra enfin reprendre son ascension vers de nouvelles hauteurs.

Le 5 avril 2010

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