En France, 837 000 contrats d’apprentissage ont été signés en 2022, dont la plupart (811 500) dans le secteur privé. C’est 120 % de plus qu’en 2019. En mars 2022, Elisabeth Borne saluait une « dynamique exceptionnelle » – et qui n’est pas appelée à ralentir : d’ici 2027, le gouvernement prévoit d’atteindre un million de contrats d’apprentissage annuels.

Accessibles aux jeunes de 16 à 29 ans, ces contrats reposent sur le principe de l’alternance entre un enseignement théorique et l’apprentissage d’un métier à l’intérieur de l’entreprise. Sur le papier, l’idée n’est pas en elle-même condamnable, et correspond aux aspirations de nombreux jeunes qui n’envisagent pas de s’engager dans des années d’études purement théoriques. Mais entre un bon principe et ce qu’en fait le système capitaliste, il y a toujours un gouffre.

Une main d’œuvre très profitable

La prime versée par le gouvernement aux entreprises embauchant des apprentis n’est pas étrangère à la « dynamique exceptionnelle » célébrée par la Première ministre. Lors de son lancement en juillet 2020, cette prime était de 5000 euros par an pour les mineurs et de 8000 euros par an pour les majeurs de moins de 30 ans. Depuis le 1er janvier 2023, les entreprises touchent une prime annuelle unique de 6000 euros, quels que soient l’âge et le niveau d’étude des apprentis.

Alors que les apprentis n’étaient que 300 000 avant la mise en place de ce système de prime, en 2020, leur nombre a aujourd’hui presque triplé. Avec 73 % des contrats signés en 2022, les services se taillent la part du lion, devant l’industrie (14 %) et la construction (11 %). Au passage, le gouvernement a permis à certains grands groupes – Orange, Système U, Engie, Bouygues, etc. – de créer leurs propres « Centres de Formation d’Apprentis » (CFA).

Officiellement, le gouvernement justifie l’apprentissage par l’objectif d’« accroître l’insertion des jeunes sur le marché du travail ». En réalité, il s’agit surtout pour les entreprises d’exploiter une main-d’œuvre jeune et à moindre coût. Seuls les apprentis de plus de 26 ans touchent au minimum un SMIC, soit 1383 euros nets par mois. Rien n’empêche cependant aux employeurs de verser un salaire plus bas pour les apprentis plus jeunes. Entre 18 et 26 ans, ils touchent entre 43 % et 78 % du SMIC. Pour les apprentis de 16 et 17 ans, le salaire peut même descendre jusqu’à 345 euros nets mensuels – soit le quart du SMIC – lors de leur première année de contrat. A ce tarif, non seulement l’apprenti ne coûte rien à l’employeur, mais le montant annuel de la prime est très supérieur aux « salaires » versés !

Ces contrats d’apprentissage stipulent qu’« au moins » 25 % du temps de l’apprenti doit être consacré à sa formation théorique. Autrement dit, les apprentis peuvent consacrer jusqu’à 75 % de leur temps au travail salarié. Les entreprises négligent la formation de l’apprenti, dans lequel ils voient surtout une force de travail à exploiter. Dans une étude de l’Observatoire de l’Alternance publiée en 2018, 27 % des apprentis déclaraient ne pas disposer de maître d’apprentissage, et 95 % ne pas avoir bénéficié d’un parcours d’intégration dans l’entreprise. Par contre, 91 % des entreprises se déclaraient « assez » voire « très » satisfaites. On peut le comprendre !

Accidents mortels

Or les jeunes sont une population qui a 2,5 fois plus de « chances » que d’autres d’avoir un accident du travail, soit parce qu’ils manquent d’expérience (par définition), soit parce qu’ils ne sont pas assez bien formés. En 2019, l’Assurance maladie recensait 10 301 accidents du travail d’apprentis : plus d’un par heure. La même année, 15 apprentis – parfois âgés de 16 ou 17 ans – sont morts sur leur lieu de travail. En général, seule la presse régionale s’en fait l’écho.

Les risques d’accidents du travail ont été aggravés par la loi « Liberté de choisir son avenir professionnel », promulguée en septembre 2018 et visant à « réformer en profondeur le monde de la formation professionnelle continue, de l’alternance et de l’assurance-chômage ». Concrètement, cette loi a supprimé la visite médicale par un médecin du travail au profit d’un généraliste, augmenté les amplitudes horaires, autorisé le travail de nuit des apprentis, facilité l’attribution de tâches dangereuses et supprimé l’obligation de reclassement des apprentis accidentés.

De manière générale, les accidents de travail mortels ne cessent d’augmenter en France : + 33 % entre 2017 et 2019. Dans ce domaine, la classe dirigeante française est « championne d’Europe ». En visant le million d’apprentis d’ici 2027, sur fond de dégradation générale des conditions de travail, cette tendance ne va pas s’inverser – du moins pas tant que les travailleurs n’y mettront pas eux-mêmes un terme en prenant le contrôle de l’Etat et de l’économie.

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