Le médecin qui a écrit cette lettre ouverte à la Ministre de la santé, dont nous publions des extraits, travaille au CHICAS, le Centre Hospitalier Intercommunal des Alpes du Sud.

« La loi Hôpital Patient Santé Territoire (HPST) a été votée par le Parlement. Jamais une loi sur la santé n’aura suscité autant de réserves de la part de toutes les catégories de soignants. Cette loi, telle qu’elle est votée, risque de priver toute une partie de la population d’un libre accès aux soins.

Tout d’abord, la Ministre de la santé a déclaré haut et fort que cette loi ne s’accompagnait d’aucune suppression de postes. Elle n’a pas forcément tort. Les suppressions de postes auront eu lieu avant. La Fédération Hospitalière de France (FHF) – qui regroupe les directeurs des Hôpitaux – avait déjà mentionné, en 2008, la « nécessaire » suppression de plus de 20 000 postes dans les hôpitaux français, pour revenir à l’équilibre. Cette annonce a déjà été suivie d’effets. Sur le seul site du CHICAS, 30 postes ont déjà été supprimés, en 2008, et près de 70 seront supprimés en 2009.

La majorité des hôpitaux français sont dans le rouge – comprenez : déficitaires. La cause de ces difficultés financières ? Si vous écoutez les médias, c’est parce que les hôpitaux sont mal gérés à cause des médecins qui font n’importe quoi (je schématise à peine). Sauf que jusqu’à la mise en place de la Tarification à l’Activité (TA), nouveau mode de financement des hôpitaux, la plupart étaient à l’équilibre financier. Et tout d’un coup, le corps médical se serait mis à faire n’importe quoi ? De qui se moque-t-on ? La vérité, c’est que les hôpitaux manquent de moyens financiers. Les Missions d’Intérêt Général (les MIGAC) ne sont pas suffisantes, en terme de dotation, pour couvrir les besoins. L’hôpital ne prend pas en charge les mêmes malades que le privé. Etc. Mais là-dessus, point de nouveauté, dans la loi HPST. Elle dit simplement que les hôpitaux devront dépenser moins et mieux. Qu’ils soient plus « efficients » (sous-entendu, comparé aux cliniques privés, qui elles sont rentables).

Donc, moins de personnels, pas assez d’argent, moins d’« efficience » que les structures privées, des statuts de médecins hospitaliers peu attractifs : les futurs directeurs des Agences Régionales de Santé (ARS) ont une feuille de route toute tracée. La chirurgie qui n’est pas rentable à l’Hôpital – pardon, pas assez « efficiente » – le sera en clinique. A terme, c’est toute la chirurgie ophtalmologique, toute la chirurgie urologique, toutes les investigations endoscopiques, voire la chirurgie viscérale programmée, qui finiront dans le giron des cliniques privées. Et alors, me direz vous ? Les patients seront remboursés pareil ! Pas sûr, justement !

Les fonds de pension étrangers ont débarqué dans les cliniques privées. Le principe d’un fonds de pension est d’une simplicité biblique : il faut du chiffre, des rentes pour les investisseurs. Les « coûts de production » sont optimisés, au niveau des actes chirurgicaux. La dotation en personnel est calculée au plus juste. La seule variable d’ajustement, ce seront les tarifs des actes. Nos collègues et amis du privé nous disent que tout semble être fait pour les pousser au déconventionnement. Qu’est-ce que cela signifie ? Un acte coté 1000 sera coté 2000, et la part remboursée par l’Assurance Maladie sera d’abord à 800, puis à 700, et finira à 500. Le reste sera à la charge du client (pardon, du patient). Enfin, de celui qui pourra se payer une mutuelle ! La boucle sera bouclée. L’Assurance Maladie pourra parfaitement maîtriser le montant des remboursements : finis les fameux « trous de la sécu ». Surtout, les compagnies d’assurance réaliseront enfin leur rêve : prendre en charge le très juteux marché de la santé. La médecine à plusieurs vitesses sera bien là. Et l’Hôpital public, dans tout ça ? Un désert.

Il y a déjà dans notre pays, des villes où l’on ne peut plus se faire opérer de la cataracte ou de la prostate ailleurs que dans une clinique privée. Ce schéma se généralisera partout. Au nom de l’efficience ! Nous allons vers le modèle américain. 40 millions d’Américains exclus des soins. Il y a une faillite personnelle liée à la maladie toutes les 14 secondes.

Alors agissez : il en est encore temps. C’est votre santé que vous défendez, pas simplement votre hôpital. »

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