La phase 2 du déconfinement a commencé. Tous les établissements scolaires (sauf les lycées généraux d’Ile-de-France, de Guyane et de Mayotte) sont appelés à accueillir au plus tôt le plus grand nombre d’élèves possible. Dans son allocution du 28 mai, le Premier ministre ne s’est pas embarrassé de fallacieux arguments « pédagogiques ». Il a expliqué : le chômage explose, donc il est urgent de « déconfiner le travail ». Les travailleurs de l’Education nationale sont appelés à soutenir davantage « l’effort de guerre », dirigé désormais contre la récession économique – et non plus contre la pandémie.

Pour la première phase du déconfinement, Macron avait priorisé l’ouverture des primaires (élémentaires et maternelles), au mépris de toute logique sanitaire. Pour cette seconde phase, les classes de 6e et 5e sont prioritaires, dans les collèges. Il s’agit à nouveau de renvoyer à l’école les plus jeunes et les moins autonomes, pour libérer les parents. Tout le monde a bien compris la mission que le gouvernement confie à l’Education nationale : celle de garderie du Medef, au détriment de la santé des travailleurs et de leurs enfants.

« Débrouillez-vous ! »

La pression hiérarchique s’exerce déjà sur les personnels pour accueillir davantage d’élèves. De nombreux parents rapportent ne pas pouvoir envoyer leurs enfants en classe, faute de places disponibles. Alors, des journalistes et des élus s’inquiètent ; ils soupçonnent le protocole sanitaire d’être « trop strict ». Pourtant, ce protocole national adapté aux écoles n’est qu’une version très allégée des recommandations initiales du Conseil Scientifique. Ce dernier avait d’ailleurs plaidé pour une rentrée en septembre, comme en Italie et en Espagne.

La mise en place d’un protocole adapté à chaque école a reposé sur le dévouement des équipes locales, contraintes de rassurer les parents et de jongler entre les injonctions (souvent contradictoires) de leurs hiérarchies et le manque de matériel adéquat. Sans surprise, l’Education nationale s’est ajoutée à la longue liste des secteurs essentiels manquant de gel, de masques – et même de savon, ce qui est un problème chronique dans les écoles. Cette situation scandaleuse et absurde risque de se poursuivre au moins jusqu’aux vacances d’été.

Une réussite ?

D’après Jean-Michel Blanquer, le risque d’une deuxième vague est peu probable. Pourtant, le 18 mai, il a dû reconnaître que 70 écoles avaient dû refermer suite à la détection de nouveaux cas de Covid. Des cas « inévitables », d’après le ministre. Vu le manque cruel de moyens, c’est vrai, et c’est d’autant plus scandaleux, surtout venant d’un ministre qui avait déjà déclaré, le 10 mai, que les stocks de tests étaient suffisants, mais qu’il ne fallait pas les « gâcher » sur les enseignants.

Une deuxième vague de l’épidémie est peut-être moins probable aujourd’hui qu’il y a quelques semaines, mais elle demeure toujours possible. Des fermetures d’établissements continuent d’avoir lieu suite à des signalements de Covid. Des pays moins touchés que la France – comme le Japon ou l’Allemagne – ont été contraints de refermer une partie de leurs écoles après une première réouverture, alors que masques et tests y sont bien plus nombreux qu’en France.

Dans tous les cas, la santé des travailleurs et de leurs enfants devrait être la priorité. C’est pourquoi nous restons fermement opposés à cette réouverture des écoles à marche forcée, sans que le matériel nécessaire soit disponible, gratuitement et en nombre suffisant. Des sondages montrent que c’est aussi l’opinion majoritaire chez les personnels et les familles d’élèves. Si des parents insistent pour que leurs enfants retournent à l’école, c’est souvent à contrecœur et sous la pression des employeurs.

Hypocrisie

Le gouvernement ne dupe personne. Invoquer une « urgence sociale et un impératif éducatif », comme l’a encore fait Blanquer, relève d’une hypocrisie sans nom. Le protocole sanitaire rend impossible toute activité pédagogique de qualité. Les cours de sport se font avec des masques. Les cours de technologie se font sans ordinateurs (trop difficiles à désinfecter régulièrement). Et ainsi de suite. Pour les plus jeunes, la stricte application du protocole sanitaire est très anxiogène – ce qui n’empêche pas la communication officielle de mettre en avant les besoins psychologiques des enfants !

Dans ces conditions, la lutte contre le décrochage scolaire n’existe plus que dans le cerveau fatigué du ministre Blanquer. Il y a beaucoup plus que 4 % d’élèves qui restent sans lien avec l’école, en particulier dans les zones prioritaires. Même les personnels de direction reconnaissent que ceux qui reviennent ne sont souvent pas les plus « décrochés », au contraire.

Les inégalités scolaires existaient avant le confinement. Elles sont le reflet des inégalités inhérentes à une société divisée en classes sociales. La fracture numérique de l’enseignement à distance n’en a été qu’une des expressions les plus criantes. En fait, la politique de ce gouvernement, depuis 2017, n’a cessé de renforcer ces inégalités. Il a imposé à l’Education nationale des mesures d’austérité budgétaire, des suppressions de postes et des contre-réformes détruisant l’accès à l’éducation pour tous, comme Parcoursup.

Répression

Pour calmer la colère qui monte, la hiérarchie de l’Education nationale a cherché à cacher les alertes sanitaires. Par exemple, elle a interdit à certains enseignants de communiquer directement avec des journalistes sans l’aval des rectorats. La répression s’abat aussi, à titre d’exemple, sur des salariés qui s’étaient mobilisés contre les réformes Blanquer. Trois enseignants de Melle, dans les Deux-Sèvres, ont été mis à pied pour avoir occupé leur lycée pendant une grève.

Par ailleurs, les médias relaient complaisamment la propagande du gouvernement. Ils multiplient les débats orientés contre les profs : on les savait déjà « fainéants », ils sont désormais des « lâches », contrairement aux « héros » de la « guerre sanitaire »... C’est là un jeu dangereux pour la classe dirigeante. Ces insultes et ce mépris suscitent la colère croissante des enseignants, qui sont toujours aussi mal rémunérés. Mais cela pourrait aussi accélérer un élan de solidarité du reste des travailleurs, qui ont pu constater la réalité de la situation des personnels éducatifs pendant le confinement.

Aux travailleurs de décider !

Il est probable que, malgré tout, le gouvernement réussira à faire tenir cette réouverture, en maintenant le couvercle sur la cocotte-minute de la contestation et des alertes sanitaires pendant les quelques semaines qui restent jusqu’aux vacances d’été. Cela ne s’explique pas seulement par la difficulté à mobiliser dans le contexte de la pandémie. Dans certaines écoles, des grèves ont bien été organisées, mais elles sont restées isolées.

Les syndicats de l’Education nationale ont tous dénoncé le risque sanitaire, mais cette contestation n’a pas pris la forme d’une stratégie claire contre la réouverture. Alors qu’il aurait fallu mobiliser, à l’échelle nationale, pour une grève en lien avec les salariés d’autres secteurs, les personnels étaient invités à faire un choix individuel : grève (et pertes de salaire) ou droit de retrait (et risques de sanctions). Ce choix était d’autant moins évident pour les nombreux personnels précaires de l’Education nationale, qui sont déjà moins enclins à se mobiliser, habituellement.

Les mêmes problèmes « logistiques » se reposeront à la rentrée de septembre, car le risque sanitaire ne va pas disparaître en quelques mois. Par contre, la récession économique qui commence risque de se traduire par encore plus d’austérité et de contre-réformes. C’est pourquoi il est essentiel de tirer les leçons de cette période particulière. C’est aux travailleurs de l’Education nationale, en lien avec les familles, d’imposer à la fois le respect des normes sanitaires et une éducation de qualité pour tous, par le biais d’une lutte générale contre ce gouvernement et le système capitaliste qu’il défend.