Il est 8h ; le magasin ouvre au public à 9h. J’entre, je badge, puis je vais me changer. Devant les caisses, les chefs de secteurs nous proposent de faire 5 à 10 minutes de réveil musculaire, puis ils récapitulent, en chiffres, la journée de la veille. Ils nous donnent le programme de la journée, présentent les nouveaux salariés et donnent les directives pour les opérations spéciales (soldes, anniversaire du magasin, etc.).

Avant de me rendre dans mon rayon, je vais saluer un collègue. Lui a commencé sa journée à 6h pour installer un « podium » : les produits mis en avant durant tout le mois. Il est dans une semaine de 39h. Sur le papier, pour nous adapter aux périodes d’affluence ou de creux, nous « modulons » : nous alternons les semaines de 39h avec celles de 31h. Dans les faits, l’emploi du temps est mal organisé, car prévu à court terme. Les grosses semaines s’enchaînent souvent à la fin de l’année et un même rayon peut voir tous ses vendeurs faire 31h la même semaine et 39h la suivante : soit les collègues ne sont pas assez pour tout faire, soit ils sont trop nombreux. En plus, ce rythme irrégulier empêche de se reposer pleinement, même pendant les semaines de 31h. Certains, peu nombreux, ont obtenu de la médecine du travail de faire 35h toutes les semaines : il s’agit surtout des salariés les plus âgés et/ou avec des problèmes de santé.

Aujourd’hui, je fais l’ouverture. J’ai une heure de calme avant l’arrivée des clients. Je dois déballer une palette et la mettre en rayon. Elle est petite, mais j’en ai pour la matinée : à cause de la réduction constante des effectifs, les vendeurs doivent installer les produits dans le magasin tout en conseillant beaucoup de clients. L’équipe de « mise en rayon » n’est pas assez importante pour s’occuper de tout le magasin. Alors, en plus des clients et des appels (pour la caisse, pour l’accueil, pour aider les collègues), je m’occupe de la palette.

A midi, je vais déjeuner. Mon repas est avalé en 15 minutes. Cela me laisse 45 minutes pour faire la sieste dans la salle de repos. Les vieux bâtiments comme le nôtre possèdent plusieurs salles vides ou inutiles. La salle de repos a été aménagée il y a 2 ou 3 ans ; elle me permet de faire une vraie coupure avec l’agitation du magasin.

Une gestion absurde

A 13h, reprise du travail. Je dois m’occuper du nouveau « planogramme », qui réorganise le rayon et modifie quelques références. Depuis l’automatisation de la gestion des stocks, les planogrammes ne sont plus en adéquation avec la réalité du rayon : plusieurs articles sont en rupture de stock, d’autres sont commandés en trop grande quantité. Plus personne, dans le magasin, ne gère les stocks, et les outils informatiques ne sont pas au point. Résultat : des articles dont nous ne voulons pas (car ils ne sont pas adaptés à notre clientèle) remplissent nos rayons et nous empêchent de recevoir les articles dont nous avons besoin. Oui à l’allègement des tâches, non à l’automatisation à tout prix, surtout quand elle n’est pas au point !

Ce type de gestion productiviste nous retire de l’autonomie et nous rajoute du travail. Les effectifs se réduisent (départs non remplacés, délocalisation, licenciements), sous prétexte d’un renouveau de la nature du travail, du magasin, de la vente. Mais pour l’instant, le renouveau promis ne vient pas : nous sommes de moins en moins nombreux pour toujours autant de travail, et nos tâches sont de plus en plus ingrates. Les salariés ne sont que des outils négligeables, ils ne sont utiles qu’à faire fructifier le capital des actionnaires. Le magasin est géré uniquement en vue de générer du profit, sans égard pour les besoins et les habitudes de la clientèle.

La fin de journée

Ma journée devait s’achever à 16h, mais je quitte le magasin à 16h15, comme souvent. La faute, notamment, au manque de personnel. Les directeurs nient la nécessité d’embaucher, alors qu’ils doivent régulièrement s’occuper eux-mêmes des clients ou des caisses. Dans les rayons les plus en difficulté de mon magasin, les collègues ne peuvent pas travailler normalement : tout est en désordre et ils ne peuvent pas ranger car ils sont constamment sollicités par les clients. Bien évidemment, cela crée du stress et de la démotivation. La situation des salariés n’entre pas en ligne de compte dans la vision productiviste de la direction.

Demain, samedi, je fais la fermeture : 13h-20h. Avant de partir, je mangerai rapidement avant le reste de ma famille. Je rentrerai fatigué et il sera tard, mais au moins, ce dimanche, je ne travaillerai pas.