La 50ème édition du salon du Bourget – le salon mondial de l’aéronautique et du spatial – se tient du 17 au 23 juin. C’est l’occasion pour les industriels de l’aéronautique et de l’armement d’enregistrer de grosses commandes. Les médias (propriétés des mêmes industriels) compteront les points dans la bataille que vont se livrer les constructeurs rivaux. Airbus assurera le spectacle avec les présentations du nouvel A350 et de l’avion de transport militaire A400M.

Pour avoir un autre point de vue, celui des enjeux pour les travailleurs du secteur aéronautique, Révolution a interviewé Xavier Pétrachi, délégué syndical central CGT chez Airbus.


Récemment, le pacte des actionnaires du groupe EADS, dont fait partie Airbus, a été modifié. Qu’en penses-tu ?

Xavier PetrachiLa CGT Airbus a interpellé le président de la République à la suite de l’évolution du pacte des actionnaires. En effet, ce nouveau pacte est un pas de plus dans la financiarisation de l’entreprise. Pour mémoire, le 1er acte de la privatisation d’Airbus date de 1999, sous le gouvernement Jospin. Cette privatisation était pilotée par les ministres Strauss-Kahn (PS) et Gayssot (PCF). Le groupe Lagardère achetait alors l’entreprise publique Aérospatiale pour une bouchée de pain, créant le groupe européen EADS.

Le pacte initial avait réparti l’actionnariat en s’appuyant sur des actionnaires de référence : Daimler et Lagardère (ceux-là mêmes qui se sont totalement désengagés en 2013, douze ans après la création du groupe EADS). L’Etat français a conservé 15 % des parts et l’Etat espagnol 5,5 %, soit seulement 20,5 % de parts étatiques, le reste étant réservé pour 15 % à Lagardère, 30 % à Daimler et 34,5 % de capital flottant.

La nouvelle évolution du pacte des actionnaires est avant tout le désengagement de Daimler et Lagardère, mais aussi l’entrée de l’Etat allemand dans l’actionnariat, au même niveau que l’Etat français. Pour ce faire l’Etat français a réduit sa part de 15 à 12 %, ce qui lui a rapporté plus de 400 millions d’euros.

Bien que n’ayant pas de droit de véto, le niveau de l’engagement des Etats français, allemands et espagnols n’a jamais été aussi important : 12 + 12 + 4, soit 28 % de l’actionnariat. Les Etats restent les seuls actionnaires de référence. La part du capital flottant est passée à 72 %, ce qui accentue de fait la pression du marché sur une entreprise stratégique qui développe à la fois des activités civiles, mais aussi militaires.

Quel est l’impact de cette pression du marché pour les salariés ?

L’augmentation des cadences, liées aux fortes livraisons de l’A320 et de l’A330, modifient radicalement la vision industrielle au sein d’Airbus. L’évolution majeure porte sur le type de management, qui se rapproche de celui du secteur automobile. Le culte de la performance est de règle. La CGT Airbus s’est opposée (seule face aux autres syndicats) au nouveau système d’évaluation des cadres (P&D) qui prônait une évaluation des salariés en fonction des « valeurs de l’entreprise », comme « Agir avec courage ».

De même, la CGT Airbus a demandé l’arrêt du déploiement du LEAN au sein de l’entreprise, mais aussi au sein de la chaîne de sous-traitance. Cette méthode d’intensification du travail héritée de Toyota a fait irruption dans le secteur aéronautique pour soutenir l’augmentation des cadences. Airbus, comme d’autres donneurs d’ordres, impose le LEAN à ses sous-traitants comme vecteur d’une assurance de compétitivité et de productivité. Ce culte de la performance et le Lean Management conduisent à une pression constante sur les salariés et dégradent les conditions de travail.

La croissance des livraisons s’est accompagnée d’une externalisation des productions en zone dollar et low-cost. Par exemple, l’A320 est produit sur trois lignes d’assemblage, et bientôt quatre, dans le monde. La cadence actuelle est de 44 avions par mois. 16 avions par mois sont construits à Toulouse, 24 par mois à Hambourg, 4 par mois en Chine. A terme, la cadence A320 pourrait monter à 50 avions par mois avec l’ouverture d’une 4e chaîne aux Etats-Unis en 2014, à une cadence de 4 avions par mois.

Les usines délocalisées en zone low-cost montrent leurs limites, comme en Tunisie. En effet, la filiale du groupe Latécoère, Latelec, implantée en Tunisie, relocalise la production en France et au Mexique (câblage électrique pour Airbus) à la suite de mouvements répétés des salariés pour demander des augmentations de salaires et de meilleures conditions de travail. La CGT a condamné les méthodes de Latelec envers les travailleurs tunisiens.

Cette mondialisation de l’entreprise inquiète la CGT Airbus, car elle s’accompagne d’une délocalisation de la chaîne des fournisseurs au pied de l’avion. De plus, la recherche de baisse des coûts conduit Airbus à modifier ses rapports avec la chaîne des fournisseurs. Les contrats sont formalisés en dollar, les sous-traitants sont poussés à devenir des partenaires à risque (RSP), ce qui les conduit à avancer sur leurs propres trésoreries les coûts de développement, d’outillage, d’étude et de matière première.

La CGT Airbus a développé deux axes de revendications pour les salariés de la chaîne des fournisseurs : la création de comités inter-entreprises et la reconnaissance de la communauté de travail.

Les comités inter-entreprises pourraient donner de la visibilité aux salariés sous-traitants. En Midi-Pyrénées, nous constatons plusieurs faillites de sous-traitants alors que la croissance de l’aéronautique n’a jamais été aussi importante. Avec les comités inter-entreprises, les donneurs d’ordres seraient dans l’obligation de donner des informations aux institutions représentatives du personnel des entreprises sous-traitantes.

La reconnaissance de la communauté de travail est une avancée considérable. La CGT Airbus s’est totalement investie (seule face aux autres syndicats) pour que les salariés sous-traitants in situ ne soient pas les oubliés de la communauté aéronautique. Nous avons obtenu plusieurs décisions judiciaires pour que les sous-traitants in situ puissent être reconnus dans les effectifs du donneur d’ordre lors des élections professionnelles. La loi de modernisation sociale de 2008 intègre pour la première fois la reconnaissance de la communauté de travail, suite à la bataille que nous avons menée.

Je voudrais également parler des conséquences qu’a pour les salariés l’utilisation de nouveaux matériaux.

L’accouchement de l’A350 fut difficile, car la première version fut recalée par les compagnies aériennes. En effet, l’ex-PDG d’Airbus Noël Forgeard avait souhaité faire un avion low-cost : peu d’innovations, juste quelques évolutions à partir de l’A330 actuel. Il aura fallu les délits d’initiés et les déboires de l’A380 pour qu’Airbus reprenne en profondeur la première version et débouche sur un avion capable de concurrencer le « Dreamliner » de Boeing (B787).

Une des innovations de l’A350 reste le recours aux matériaux composites, qui représentent 53 % de la structure de l’avion : fuselage et voilure. Cela n’est pas sans conséquence sur la santé des salariés. Aussi, la CGT Airbus a engagé une réflexion dès le lancement de l’A350 sur les dangers potentiels des matériaux composites fibres de carbone.

La CGT Airbus (là encore seule face aux autres syndicats), avec l’appui du secteur confédéral CGT santé au travail, a obtenu une étude à l’AFSSET (Agence française de la santé et de l’environnement au travail) sur la dangerosité des fibres de carbone. Cette étude a été publiée en 2010 et préconise des recommandations lors du travail des matériaux composites. La CGT Airbus tente d’obtenir de la direction le respect de ces recommandations via ses représentants au CHSCT.

D’autre part, l’introduction massive du composite remet en cause la filière métallique. Aussi, le programme A350 a bousculé la chaîne des fournisseurs et le modèle industriel d’Airbus. Pour faire ces investissements, Airbus a poussé à la création d’une filière Aérostructure à partir des sites d’Airbus. Le plan ZEPHYR, issu du plan d’économie POWER 8, prévoyait la vente des sites d’Airbus Méaulte et Saint-Nazaire à Latécoère. Suite aux difficultés financières de Latécoère et à l’évolution négative du dollar, le plan ZEPHYR s’est transformé par la création de l’entreprise Aérolia à partir du site de Méaulte, de St Nazaire-ville et d’une partie du Bureau d’Etude de Toulouse, soit au total 2300 salariés. Aujourd’hui, Aérolia est la figure de proue de la filière Aérostructure en France, et certains souhaiteraient une consolidation de cette filière dans un assemblage Aérolia-Sogerma-Latécoère-Socata.

La CGT Airbus a mené une réflexion sur les Aérostructures en s’appuyant sur le cabinet SECAFI. La conclusion est qu’il n’y a pas d’empressement à avoir sur une telle consolidation, dans la mesure où les investissements de l’A350 ont déjà été réalisés et que les prochains investissements n’auront pas lieu avant 2030, avec le remplaçant de l’A320. La CGT Airbus souhaite que la Sogerma, comme Aérolia, reste 100 % EADS, voire que les anciens sites d’Airbus reviennent dans le giron d’Airbus.

Que penses-tu de l’idée que l’avenir d’Airbus passe par une bonne assise capitalistique et un bon soutien financier, comme le soutient la CGC dans une interview accordée à L’Humanité Dimanche ? Que penses-tu aussi de l’idée du patriotisme économique que défend le ministre Montebourg, idée reprise également par FO ? Enfin, que penses-tu de l’idée défendue par le journal La Riposte d’une industrie aéronautique 100 % publique pour garantir l’avenir de cette industrie et des salariés, qu’ils travaillent chez les donneurs d’ordre ou chez les sous-traitants ?

Rappelons que la CFE-CGC a soutenu le plan ZEPHYR. Quand la CGT Airbus tentait d’organiser des manifestations contre la vente des sites, la CFE-CGC faisait le tour des ministères pour obtenir les meilleures conditions de cession des sites à Latécoère.

L’évolution du pacte des actionnaires, avec un capital flottant de 72 %, signifie que l’entreprise va être soumise à la pression des marchés boursiers. La volonté de la direction du groupe est bien de satisfaire l’actionnaire, alors que Louis Gallois avait mis la priorité à satisfaire les clients, soit les compagnies aériennes et les passagers.

Quant au soutien financier, la CGT Airbus prône une transparence des aides publiques. Notamment que les aides publiques soient soumises à des contreparties : pas de délocalisation, priorité aux investissements et aux embauches, consultation des instances représentatives du personnel.

La CGT Airbus partage le souhait de voir réintégrer les sites cédés à Aérolia. Mais attention avec l’idée de « patriotisme économique ». Lors des déboires industriels de l’A380, le « patriotisme » a été utilisé pour détourner l’attention des salariés français et allemands, les diviser sur des lignes nationalistes. La CGT Airbus a publié avec succès une communication franco-allemande pour rapprocher les travailleurs d’Airbus, souligner leurs problèmes communs et s’opposer à la vague de chauvinisme.

Concernant votre idée d’une aéronautique 100 % publique, il faut préciser que la CGT Airbus s’est toujours opposée à la privatisation – et que nous partageons toujours cet objectif d’une industrie aéronautique publique.

Suite à l’évolution du pacte des actionnaires, les seuls actionnaires de références sont désormais les Etats français, allemands et espagnols. La création du groupe EADS était subordonnée à la privatisation d’Aérospatiale : on peut voir ce qu’il en reste aujourd’hui avec le désengagement total de Lagardère et Daimler. Airbus est dans une phase d’euphorie avec un carnet de commandes record, un niveau de production exceptionnel et une trésorerie de 12 milliards d’euros. Les prochains investissements lourds n’auront pas lieu avant 2030 avec le successeur de l’A320. Airbus va donc rentrer dans une période où la redistribution des dividendes risque d’être forte, avec un taux de rentabilité visé à deux chiffres. Les Etats ont perdu le droit de véto. La CGT Airbus restera très vigilante sur la gestion de l’entreprise tournée vers l’actionnaire et le marché boursier au détriment du produit, qui devrait rester le cœur de métier de la communauté aéronautique. Dans ce cadre, les Etats doivent peser dans le type de gestion qui doit rester centré sur l’innovation, la stratégie industrielle et le maintien d’un tissu industriel dans les territoires.

Enfin, le conseil d’administration actuel du groupe EADS est composé essentiellement de banquiers, comme J-C Trichet, ou d’industriels comme Mittal. Ce n’est pas de nature à nous rassurer pour assurer la pérennité de l’entreprise. Si ce secteur devait être 100 % sous la coupe de la puissance publique, cela devrait se faire en modifiant le conseil d’administration, et en donnant une place importante aux représentants des salariés, avec le même droit de vote que les autres représentants. La loi issue de l’ANI reste bien éloignée de cette revendication.

Interview réalisée par Hubert Prévaud

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