Les travailleurs de l’usine Kléber, à Toul, dans le département de Meurthe-et-Moselle, nous ont donné il y a peu une grande leçon de révolte et de résistance ouvrière. Ils symbolisent la lutte contre les fermetures, par les  grands groupes industriels, d’unités de production pourtant bénéficiaires.

L’usine Kléber, du groupe Michelin, confectionne des pneus depuis 1969. C’est dire si elle fait partie du paysage. En 2009, elle devait fêter son 40e anniversaire. Jusqu’à ce que la direction de Michelin décide de fermer le site et de licencier ses 826 salariés.

Michelin : une affaire qui roule

De la Chine au Brésil, en passant par les Etats-Unis, l’Allemagne ou la Russie, le Groupe Michelin est implanté sur tous les continents. Dans plus de 170 pays, Michelin commercialise des pneumatiques pour tout ce qui roule, mais aussi des cartes, des guides et des services numériques. Avec 20 % du marché mondial, Michelin est le leader mondial du pneumatique.

Les usines du Groupe Michelin produisent chaque année 197 millions de pneumatiques et 20 millions de cartes et guides. Et c’est en Europe que le groupe dégage le plus de bénéfices : il y réalise 49% de son chiffre d’affaires.

C’est en France que Michelin possède le plus grand nombre de sites de production. Depuis 1889, le siège social du groupe est implanté à Clermont-Ferrand. Dans cette seule ville, l’entreprise a compté jusqu’à 30 000 employés, dans les années 70, contre environ 14 000 aujourd’hui. Pour l’année 2007, le groupe a réalisé 774 millions d’euros de bénéfices, soit une hausse de 35,3 %. L’entreprise va bien, très bien même – en ce qui concerne les profits.

Genèse du conflit

En 2006, l’Union Locale de la CGT de Toul alertait déjà les pouvoirs publics sur les bilans présentés par la direction, qui faisaient apparaître – de façon injustifiée – une forte hausse des charges fixes, comme si on « préparait » la mise à mort de l’entreprise.

Lorsque, le 3 octobre 2007, la direction de Michelin annonce la poursuite de sa « stratégie de compétitivité », les salariés de Toul comprennent très vite qu’ils sont directement visés, et que leurs emplois sont en danger. Ils décident rapidement d’organiser une manifestation pour  montrer leur détermination. Ils réussissent à mobiliser la population locale. Le 12 octobre, entre 3 500 et 4 500 personnes défilent dans les rues de Toul : du jamais vu.

Mi-décembre 2007, l’expertise commandée par le Comité Central d’Entreprise est rendue publique : le site est déclaré « viable ». Forts de ces conclusions, les salariés organisent une nouvelle manifestation, mi-janvier, à laquelle participe cette fois-ci des salariés d’autres secteurs d’activités, comme les cheminots, ou encore les salariés des usines menacées d’ArcelorMittal et de Miko. La solidarité se développe.

Hypocrisie de la direction

A la suite de la manifestation, la direction fait courir le bruit que la dernière réunion de négociation est prévue pour le 13 février 2008. Les salariés sont indignés : depuis le début de l’affaire, la direction ne parle que de « reclassements ». Jouant sur les mots, elle évite ainsi toute discussion sur les primes de licenciement. Michelin « reclasse » les 826 salariés de l’usine Kléber, mais ne déclare pas la fermeture de l’usine… Quelle hypocrisie puisque, dans les faits, le site est en voie de liquidation !

Déterminés à ne pas se laisser faire, les salariés de Kléber assistent le jour dit à la réunion, accompagnés des salariés de l’entreprise Miko – eux aussi victimes d’un plan social – et qui ont apporté avec eux des pancartes : « NOUS SOMMES DANS LA MEME GALERE, DONC MEME COMBAT ». La réunion se termine dans le mécontentement général. La révolte gronde.

Le lendemain, la direction convoque les salariés pour une réunion de communication. Par groupe de 60 personnes, les salariés sont reçus par deux responsables des Ressources Humaines qui leur présentent le plan social. Aucune réponse concrète n’est apportée à toutes les questions touchant aux primes de licenciement, ni même aux « reclassements » proposés. Le premier groupe de travailleurs sort de la réunion ulcéré.

Lorsque le deuxième groupe entre dans la salle de réunion, les ouvriers sont déterminés à n’en ressortir qu’avec des réponses et des chiffres en mains. Mais la direction affiche un silence méprisant. C’en est trop ! Les travailleurs décident sur l’instant de ne laisser sortir les cadres de l’entreprise que lorsqu’ils leur auront fourni des réponses concrètes. Ils cessent le travail, se mobilisent pour occuper l’usine et s’organisent financièrement pour tenir un véritable siège. Leur état d’esprit est clair : on ne cèdera pas, finis les mensonges et les promesses creuses !

Intervention du gouvernement

Après 4 jours d’occupation d’usine et de rétention de deux cadres, le gouvernement prend conscience de la détermination des ouvriers. Au soir de l’échec d’une « médiation » commanditée par le préfet, le samedi, les ouvriers comprennent qu’ils risquent fort d’être réveillés par les CRS, le dimanche matin.

« Les salariés se sont préparés à affronter les forces de l’ordre. L’usine a été transformée en véritable forteresse pour résister aux assauts. Tout le monde était sur le pied de guerre », raconte Guy Pernin, délégué CGT de Kléber.

Face à la mobilisation et à la forte détermination des ouvriers, le gouvernement dépêche en urgence la Ministre de l’économie, Mme Lagarde, afin de régler le conflit en faisant pression sur la direction : Michelin accepte finalement de négocier sur la base de 2400 euros de prime de licenciement par année d’ancienneté.

L’exemple vénézuélien

Face à la multiplication des « plans sociaux » et fermetures, l’unité des salariés est indispensable. Comme le dit Guy Pernin, « ce qu’il faudrait, c’est une meilleure coordination des usines en lutte, sur le plan national ». En effet, il faut briser l’isolement des différents groupes d’ouvriers impliqués dans ces combats. Dans l’aéronautique, le textile, la sidérurgie, la métallurgie, etc., les salariés font face aux mêmes situations. Du jour au lendemain, la direction d’un grand groupe annonce la fermeture d’un site viable et qui dégage des bénéfices, ou y décrète un plan social.

Au Venezuela, des luttes du même ordre ont commencé pour défendre les emplois et le gagne-pain des ouvriers. Les travailleurs ont d’abord occupé les usines fermées par leurs propriétaires, puis ils ont relancé la production sous contrôle ouvrier et ont avancé le mot d’ordre de nationalisation. C’est un exemple à suivre, ici, en France. Face à l’avalanche de fermetures et de plans sociaux, le mouvement syndical devrait organiser une contre-offensive d’ampleur nationale, en réclamant la nationalisation – sous le contrôle des salariés – des usines menacées. Un tel mouvement s’attirerait la sympathie et la solidarité de millions de salariés.

 

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