Loïc Deschamps est délégué syndical CGT chez Altran Sud-Ouest.

Peux-tu nous présenter Altran ?

Loïc Deschamps : Altran Technologies est une grosse société de services, qui place des ingénieurs dans des sociétés comme Airbus, Astrium, Siemens et Thalès. Cotée en Bourse, elle a de bons résultats. Altran Sud-Ouest est le fruit d’une fusion de plusieurs filiales, en 2006 (Altran Technologies, Logical, Réalix). Le groupe compte environ 16 000 salariés, dont 950 chez Altran Sud-Ouest (parmi lesquels 850 ingénieurs).

Les fondateurs de cette entreprise ont été épinglés par l’Autorité des Marchés Financiers en juin 2007. Il y a eu des malversations financières, en 2002. Les deux fondateurs ont été condamnés à 1 million d’euros d’amende, et Altran Technologie – en tant que personne morale – à 1,5 million d’euros d’amende, car ils ont imposé à leurs filiales de déclarer de faux chiffres d’affaires. A l’époque, la presse titrait : « Altran, une affaire Enron à la française ». Quand les affaires ont été découvertes, la direction du groupe a changé, mais les deux fondateurs sont toujours actionnaires et disposent d’une minorité de blocage. Le syndicalisme est vraiment apparu de manière significative depuis 2004, dans le groupe Altran – depuis ces affaires.

En 2004, le groupe comptait 18 000 salariés, mais la direction a fait partir des salariés, sans qu’il y ait de plan social, en jouant sur les clauses de mobilité, ou au moyen de pressions. Cela a d’ailleurs engendré de nombreux recours aux Prud’hommes, et des collectifs de salariés se sont formés pour dénoncer les licenciements abusifs.

Depuis 2006, le président du directoire est Dominique Lalande de Calan, qui est aussi le vice-président de l’Union des Industries Métallurgiques et Minières (UIMM), et à ce titre a été perquisitionné dans l’affaire Denis Gautier Sauvagnac (Président de l’UIMM).

Dans quel contexte a commencé votre mouvement ?

LD : La direction du groupe Altran est farouchement opposée à ce qu’il y ait des délégués syndicaux de la CGT dans ses filiales, et elle a dénoncé la désignation du délégué syndical CGT sur Toulouse. Mais elle a été battue au Tribunal.

Il faut voir que depuis la fusion de 2006, beaucoup de choses n’ont pas été réglées, notamment en matière d’harmonisation sociale pour les salariés des différentes filiales (Comités d’entreprises, primes de déplacement chez le client, tickets restaurant, primes de participation, etc.). Fin 2006, il y a eu une première grève historique pour lutter contre la dégradation de la politique de frais chez Altran.

D’autre part, suite aux déboires juridiques de la société et à des placements douteux qui ont creusé une dette énorme, il n’était plus question que les salariés touchent des primes de participation, ce qu’ils ont appris dans un Procès Verbal de Comité d’Entreprise. Mais par la suite, les salariés ont appris par hasard que les « managers » – ceux qui nous placent chez les donneurs d’ordres comme Airbus ou Astrium – sont allés à Prague pour un « séminaire » qui était en réalité des vacances tous frais payés, dans un hôtel 4 étoiles, avec toutes sortes de distractions et de sorties.

Il faut comprendre que le système de rémunération des managers va contre les intérêts des ingénieurs. Par exemple, moins le « manager » accorde de frais au « consultant » (l’ingénieur), plus il touche de commissions, car il est payé en fonction de son chiffre d’affaires.

D’un côté, on nous dit qu’il faut faire des sacrifices, qu’il faut être solidaires de la dette du groupe Altran – et d’un autre côté, la direction paye des vacances en catimini à ses managers. C’est la goutte qui a fait déborder le vase. Et nous, délégués des organisations syndicales, nous avons accompagné le mécontentement d’humeur de nos collègues, en intersyndicale.

Comment vous êtes-vous organisés ? Et d’où vient cette idée de grève japonaise ?

LD : Quand on a vu l’ampleur du mécontentement, on a convoqué une assemblée générale, qui a réuni environ 150 personnes. Ce chiffre est impressionnant, car les salariés sont éparpillés sur différents sites industriels de l’agglomération toulousaine. Surtout, la plupart ne se connaissent même pas. De plus, les ingénieurs n’ont pas l’habitude de se mobiliser de la sorte, et ils n’ont pas vraiment de traditions militantes. Pour la plupart, ils sont plutôt jeunes. Altran est souvent leur premier employeur. On part donc de très loin dans ce mouvement.

Lors du mouvement de fin 2006, on avait posé une demi-journée de grève. Symboliquement, c’était fort de marquer le coup pour montrer le désaccord. Mais comme on est tous éparpillés sur différents sites et différentes villes, c’est très compliqué de s’organiser et de mener une grève dure jusqu’à ce qu’on obtienne satisfaction. C’est d’autant plus difficile que les collègues travaillent au forfait : leur facturation au client final n’est pas impactée par une absence.

Alors, un salarié a proposé de faire une grève japonaise, c’est-à-dire de travailler chez le « client » avec un brassard ou un bandeau sur lequel est écrit : « Altran en grève ». Le 8 décembre, on a proposé le principe de cette grève japonaise, avec une motion exprimant nos principales revendications : participation sur 2007 et les années à venir ; contre la suppression des RTT pour les salariés à 4/5e notamment ; augmentation du budget du CE (actuellement de 0,24% de la masse salariale, 10 fois moins que chez Airbus, par exemple).

Le mouvement a-t-il été suivi ?

LD : On n’a pas pu comptabiliser le nombre de grévistes : c’est impossible. On l’estime à plusieurs centaines. Mais en tout cas, la pétition a rassemblé quelque 500 signatures, attestées par un huissier pour préserver l’anonymat des salariés. En effet, la direction a des moyens de pression qu’elle peut exercer contre les salariés, notamment avec la clause de mobilité. Si un salarié refuse une mission en long déplacement, l’employeur peut en faire un motif de licenciement.

Malgré ces risques, le mouvement est toujours suivi. Chaque jour, des collègues portent le brassard « Altran en grève ». Dans cette grève, on a donc voulu procéder étape par étape, et nous avons beaucoup médiatisé ce mouvement, par l’intermédiaire de la presse, mais aussi en diffusant des tracts aux salariés de tous les sites clients d’Altran : chez Airbus, Thalès, etc.

En parallèle, nous avons demandé des négociations, mais la direction n’a rien voulu entendre jusqu’à présent, mise à part une harmonisation des tickets resto à 6,15 euros et une augmentation du budget du CE de 0,04% – alors que nous demandions un triplement du budget.

Quelles sont les perspectives du mouvement ?

LD : Les salariés sont toujours fortement mobilisés, depuis décembre. Lors de l’AG de début janvier, on a voté à l’unanimité le port du brassard jusqu’à la fin mars, date à laquelle se termine le cycle de négociations qui fait suite à la fusion des filiales d’Altran. Donc, on a intensifié les actions et on continue jusqu’à fin mars. On a également voté le principe d’une journée de grève dure pour le 6 mars, en centre-ville, avec beaucoup d’actions symboliques prévues. Pour la suite, on verra avec tous les salariés. Nous n’avons encore rien réglé, évidemment, mais nous sommes optimistes au regard du soutien que nous avons reçu de la part des syndicats des entreprises clientes.

Nous ne sommes pas la seule entreprise à être touchée par des problèmes relatifs aux salariés de la sous-traitance. Notre mouvement pourrait inspirer les collègues d’autres sociétés sous-traitantes comme la nôtre. Nous devons continuer notre mouvement.

Propos recueillis par Hubert Prévaud (Syndicaliste Airbus Toulouse, PCF 31.)