La « crise bretonne », qui a défrayé la chronique dans les dernières semaines de 2013, n’est pas seulement bretonne. Elle existe dans les quatre coins du pays. Partout, des entreprises disparaissent. Chaque mois, des dizaines de milliers d’emplois sont supprimés. Les conditions de vie de pratiquement tous les travailleurs se dégradent, au point qu’un nombre croissant d’entre eux – salariés ou chômeurs – bascule dans la « grande misère ». A Paris comme en province, des personnes âgées, malades et affamées, passent la nuit dehors. Les marques d’une détresse sociale que nos aînés imaginaient appartenir à un passé lointain sont partout visibles. Le pays est au bord de l’explosion sociale. Les événements en Bretagne en étaient un signe avant-coureur.

La manifestation des « bonnets rouges » du 2 novembre dernier, à Quimper, a soulevé de nombreuses questions – et, pour le moment, pas tellement de réponses – au sein des organisations syndicales, du PCF et du Parti de Gauche. Entre 15 000 et 25 000 travailleurs en colère se sont mobilisés, mais la manifestation était largement encadrée par des organisations patronales et des partis de droite, dont le Front National – c’est-à-dire par les ennemis objectifs de ces travailleurs. Etait-ce donc une manifestation réactionnaire ? Fallait-il y participer ? Et si oui, pour quoi faire ?

La conscience des travailleurs

Dans de nombreux articles et documents, La Riposte a tenté d’expliquer aux militants communistes et syndicaux que sur la base du capitalisme, il n’existe plus aucune possibilité d’en finir avec la régression sociale, et que l’aggravation constante des conditions de vie des travailleurs ne peut pas continuer indéfiniment sans provoquer une confrontation majeure – ou plus exactement une série de confrontations majeures – entre les classes. Par conséquent, le cours général des développements économiques et sociaux en France est en train de préparer les prémisses d’une situation révolutionnaire. Les événements en Bretagne sont justement un symptôme parmi bien d’autres du sourd mécontentement et du durcissement de la psychologie que l’on observe chez de larges masses de travailleurs. Les émeutes qui éclatent périodiquement dans les quartiers sinistrés sont également un avertissement de l’orage qui approche. A un certain stade, la colère passive se transformera en colère active, comme en Bretagne.

Mais sur quelles bases ? Avec des idées communistes, peut-être ? Non ! C’est impossible ! Les travailleurs forment une classe opprimée, économiquement, socialement et aussi psychologiquement. Leurs idées reflètent nécessairement les idées dominantes dans la société, les idées capitalistes. Par conséquent, l’entrée en action de travailleurs habituellement passifs et « non politiques », comme ce fut le cas en Bretagne, s’accompagne toujours et inévitablement, dans un premier temps, d’idées, de notions et de préjugés formés dans la période précédente. La lutte est un apprentissage.

Les travailleurs forment une classe sociale qui n’est pas politiquement homogène. Les salariés syndiqués, habitués à « battre le pavé » et ayant une expérience du militantisme politique, mettent un point d’honneur à ne jamais manifester avec des formations de droite. Si, par contre, de nombreux travailleurs manifestant à Quimper ne faisaient pas de distinction nette entre leurs propres intérêts et ceux des capitalistes, cela s’explique précisément par le fait qu’ils n’étaient pas, dans leur immense majorité, des manifestants « habituels ». C’est un développement extrêmement important. L’immaturité politique de ces travailleurs, mobilisés aussi massivement, n’est pas un signe de « réaction ». Bien au contraire ! C’est une indication que l’instabilité économique créée par le capitalisme est en train de produire une instabilité sociale de plus en plus profonde.

Les drapeaux sous lesquels les travailleurs se mobilisent initialement n’ont pas une très grande importance. Ce ne sont que les couleurs temporaires d’une révolution qui couve. Ce phénomène caractérise toutes les révolutions du passé, sans exception. N’oublions pas que la Grande Révolution de 1789-1794 a commencé par des mobilisations du « menu peuple » sous la direction et les mots d’ordre de la noblesse aristocratique, qui voulait s’appuyer sur le « peuple » dans sa lutte contre Louis XVI. Les « libertés » que le peuple était sommé de défendre n’étaient autres que celles de la noblesse qui voulait conserver ses privilèges. Mais en l’espace de trois ans, le roi, comme la noblesse, a été renversé ! N’oublions pas qu’à la même époque, la révolution des esclaves de Saint-Domingue, menée à une conclusion victorieuse par Toussaint Louverture et Dessalines, a commencé sous le drapeau du roi de France ! Dans de nombreux pays européens, sans parler du reste du monde, les premiers pas du mouvement ouvrier ont eu lieu sous l’étendard de la religion. Le mouvement ouvrier britannique porte encore les traces de ce passé, puisque dans certaines des plus anciennes organisations, les délégués syndicaux sont désignés comme « FOC », ce qui signifie Father of Chapel [Père de la Chapelle]. Enfin, la révolution russe de 1905 a commencé par une manifestation ouvrière encadrée par des prêtres et portant des icônes religieuses – avant de se transformer en insurrection !

Ainsi, on voit que le « niveau de conscience » des travailleurs est quelque chose d’extrêmement mobile. Leurs idées peuvent se transformer très rapidement sur la base de leur expérience. Dans la France d’aujourd’hui, au fur et à mesure que la crise économique se transforme en une crise du régime capitaliste, nous verrons toutes sortes de « drapeaux » temporaires. Si nous voulons comprendre ce qu’il se passe, nous devons apprendre à voir, sous la forme extérieure et momentanée des événements, leur véritable contenu social.

Ne pas se tenir à l’écart !

La CGT, le PCF et l’ensemble de nos organisations ne doivent jamais se tenir à l’écart des travailleurs en révolte. Sinon, ils ne parviendront pas à s’enraciner en profondeur dans la classe ouvrière, ni à devenir des organisations suffisamment puissantes et reconnues pour engager le combat contre le capitalisme sur des bases sérieuses. L’approche que nous adoptons envers l’ensemble des travailleurs – et même envers ceux dont les idées politiques nous paraissent être les plus « arriérées » – est une question de la plus haute importance. Lorsqu’il y aura des manifestations comme celle de Quimper, nous ne devons pas laisser le champ libre aux partis de droite et aux organisations patronales, mais nous rendre massivement sur place pour entrer en contact direct avec les travailleurs, ouvrir un dialogue avec eux et les convaincre de nos idées.

Encore faut-il que notre programme, nos idées et nos méthodes de lutte soient susceptibles de les convaincre. La crise sociale est tellement grave – et elle s’aggravera sans cesse davantage – que les timides recettes du réformisme, qui prétendent pouvoir la résoudre sans toucher à sa cause fondamentale, à savoir la propriété capitaliste des banques, de l’industrie et de tous les rouages essentiels de l’économie, ne suffiront pas. Pour couper l’herbe sous le pied de l’extrême droite, le PCF et la CGT en particulier ont besoin d’un programme qui, en idées et en action, frappe à la tête de l’ordre capitaliste, liant systématiquement toutes les revendications des travailleurs à la nécessité d’exproprier les capitalistes et de placer le contrôle et la direction de l’économie et de l’Etat fermement entre les mains de notre classe.

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