Je fais partie des 300 manifestants arrêtés et des 49 inculpés, le 19 mars dernier, au terme de la grande manifestation qui s’est terminée place de la Nation, à Paris. Je remercie tous ceux, auteurs d’articles et militants, qui nous ont soutenus et nous soutiennent encore. J’ai créé un blog pour récolter les témoignages sur les violences policières : http://parolesdu19mars.over-blog.com.

La fin du cortège arrive entre 18h30 et 19h, place de la Nation. L’ambiance est festive. Pas de problème, pour le moment. Les gens ne sont pas encore prêts à partir, ce qui tombe bien, puisqu’ils ont officiellement le droit de rester jusqu’à 21h. Il y a de la musique aux quatre coins de la place, des djembés, un concert de hip-hop sur la pelouse, des drapeaux qui flottent sur la statue centrale.

Mais très vite, l’ambiance devient malsaine. Quelque chose ne tourne pas rond : des dizaines, des centaines de CRS affluent et bloquent toutes les artères de la place, interdisant le passage. Des escouades prennent pied dans le métro, juste en bas des escaliers et dans les couloirs. De là, elles tirent des grenades et bloquent l’accès aux personnes qui désirent s’en aller. Des manifestants qui ont tenté de quitter la place par une petite rue refluent en courant vers le centre de la place. A leurs trousses, des lignes de CRS. Il y a du gaz dans l’air, dans tous les sens du terme. Les CRS se rapprochent progressivement, nous encerclent petit à petit. Les yeux piquent, la respiration se fait plus difficile : ça pue le lacrymo.

Quelques feux de poubelles se déclenchent ici et là. Des individus encagoulés, barre de fer à la main, jettent des projectiles en direction des hommes en bleu puis, quelques minutes après – surprise ! – les mêmes se ruent sur un manifestant et le rouent de coups, avant de le traîner vers leurs collègues rangés en ligne, quelques mètres plus loin. Tactique perverse des policiers en civil, vieille comme le monde, mais qui surprend toujours…

La place de la Nation se révèle être une souricière de premier choix pour les policiers qui font le ménage. Dans l’espoir d’échapper aux arrestations arbitraires, beaucoup de gens se réfugient sur le terre-plein et autour de la statue (qui représente le « Triomphe de la République » : tout un symbole !). Mais bientôt, ils se retrouvent complètement encerclés, comprimés les uns contre les autres, sans aucune issue, abasourdis par la manœuvre policière à laquelle ils assistent. Parmi les encerclés, trois hommes dégainent soudainement des matraques télescopiques et s’attaquent à un jeune homme qui n’a pourtant rien fait, le frappent, puis l’entraînent vers les lignes de CRS. Encore une intervention musclée des policiers en civil, qui déclenche la colère générale. Certains « gardiens de la paix » tiennent en respect la foule avec des flash-balls. Après plus d’une heure d’encerclement, les CRS décident enfin de libérer leurs captifs, brisant à coups de matraque la chaîne humaine qui s’était formée autour de la statue, contrôlant l’identité de chaque personne présente, un par un, et nous insultant au passage. Ceux qui n’ont pas de papiers passent directement par la case commissariat.

A 21h30, on pense la manifestation totalement dispersée. Quelques groupes, encore sonnés par la violence de cette intervention, s’attardent sur la place. Mais apparemment, les forces de l’ordre n’en ont pas fini, puisque les CRS bloquent toujours l’accès au métro, gazant et frappant à tout va. La soirée se terminera par une nouvelle flopée d’arrestations.

Bilan de ce début de soirée : 300 personnes arrêtées, dont 49 seront par la suite poursuivies en justice, interdites de manifestations au moins jusqu’à leur jugement, et peut-être privées de leur droit de vote. Plusieurs manifestants ont été littéralement passés à tabac. Certains sont passés en comparution immédiate et sont toujours incarcérés. Ce coup de filet était « pour l’exemple ». Fait étrange : des chaînes de télévision (notamment LCI et I-Tele) annoncent dès 22 heures le nombre d’inculpations (49), alors qu’elles n’auraient normalement dû l’apprendre que le lendemain, après la décision du procureur. Le nombre d’inculpations était-il prévu et communiqué d’avance aux médias ?

De manière générale, les journalistes, pourtant présents en nombre, n’ont relayé qu’une pâle copie du communiqué de la préfecture de police.

Le pouvoir craint la contestation qui enfle. C’est pour cela qu’il durcit sa répression : pour museler cette révolte qui gronde. Alors que Julien Coupat est toujours en prison malgré le manque flagrant de preuves contre lui, et alors que des jeunes sont piégés, intimidés et incarcérés par la police, il est à craindre que cette emprise du pouvoir se resserre encore.

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