Entre le 18 et le 23 décembre dernier, des grèves ont éclaté dans plusieurs magasins du groupe Carrefour, à l’initiative de la CGT – et parfois, localement, d’une intersyndicale. Les salariés se mobilisaient pour réclamer des augmentations de salaire et défendre leurs conditions de travail.

Le 21 décembre, par exemple, la mobilisation des salariés de l’hypermarché d’Ivry-sur-Seine était si forte – plus de 80 % de grévistes – que le magasin n’a pas pu ouvrir ses portes. Le même jour, des militants de Révolution sont venus soutenir les grévistes de l’hypermarché Carrefour Bercy 2, à Charenton-le-Pont. La mobilisation y était moins forte qu’à Ivry, mais la détermination des salariés était palpable, et l’ambiance combative, sur le piquet de grève.

Le « plan Carrefour 2022 »

Il faut dire que les motifs de mécontentement ne cessent de s’accumuler, ces dernières années. Arrivé à la tête du groupe en 2018, Alexandre Bompard, ex-PDG de Fnac-Darty, a lancé un plan « Carrefour 2022 » dont la logique est très claire : « gagner en productivité et compétitivité » [1] – sur le dos des salariés, bien sûr, mais aussi des clients, via une dégradation de la qualité du service.

Du point de vue des actionnaires du groupe, le « plan » se déroule à merveille. En 2020, Carrefour a réalisé son meilleur résultat en l’espace de 20 ans : 78 milliards d’euros de chiffre d’affaires, soit 7,8 % de plus qu’en 2019. Sur l’exercice 2020, la direction du groupe a distribué 400 millions d’euros de dividendes à ses actionnaires.

De son côté, l’Etat français s’est montré extrêmement généreux (comme toujours avec les mastodontes du CAC 40) : au fil des années, Carrefour a bénéficié de plus de 1 milliard d’euros d’aides publiques, dans le cadre du CICE. En clair, le CICE n’est que le prétexte d’une opération très simple : de grosses quantités d’argent public sont versées directement dans les poches des actionnaires.

Enfin, le concepteur du plan « Carrefour 2022 » ne s’est pas oublié : la rémunération d’Alexandre Bompard s’élève à 3,5 millions d’euros par an, auxquels il faut ajouter les actions « offertes » et autres menus avantages. On n’est jamais mieux servi que par soi-même !

Du point de vue des salariés de Carrefour, le tableau est nettement moins brillant. Les salaires sont pratiquement gelés. Ils reculent, même, au regard de l’inflation. Lors des Négociations Annuelles Obligatoires (NAO) de 2021, après une année de pandémie très éprouvante pour les salariés du groupe, la direction leur a d’abord proposé une augmentation de salaire de 0,3 %, soit moins de 10 centimes de l’heure, avant de leur concéder royalement 0,5 %. Or 80 % des caissières et des caissiers sont à temps partiel, et gagnent aux alentours de 800 euros par mois.

Ali Algul, délégué syndical (CGT) chez Carrefour Bercy 2, nous explique : « Le bon niveau de participation aux grèves, fin décembre, nous place en meilleure position pour les NAO de 2022. Les salariés ont démontré à la direction du groupe qu’ils étaient prêts à se mobiliser. Compte tenu de l’inflation, cette année, le personnel de Carrefour aura du mal à accepter une augmentation dérisoire des salaires ».

Les locations-gérances

Un autre motif central des grèves de fin décembre, c’est la politique systématique de mise en location-gérance des hypermarchés et supermarchés « insuffisamment rentables ». Comme nous l’explique Ali Algul, « en transférant les contrats de travail à un gérant, le groupe se déleste de la masse salariale et génère une économie de rente via la perception d’une redevance. » Grâce à ce dispositif, qui a vu 120 Carrefour Markets et 30 Carrefour Hypermarchés passer en location-gérance en l’espace de trois ans, la direction du groupe a pu, sans lever le petit doigt, encaisser 258 millions d’euros en 2018, 280 millions en 2019 et 329 millions en 2020. L’objectif du groupe est de prolonger cette courbe ascendante en poursuivant les mises en location-gérance : des dizaines de magasins seront dans le viseur en 2022, dont au moins 17 hypermarchés.

Pour les salariés concernés, le passage en location-gérance se traduit généralement par un très net recul en termes de salaires et de conditions de travail. En effet, au bout de 15 à 18 mois, les accords conclus entre Carrefour et les syndicats ne sont plus valides et doivent être « renégociés ». Inutile de dire que le résultat de cette « négociation » est particulièrement défavorable aux salariés du magasin lorsque les syndicats y sont faibles. Nombre de salariés perdent plus de 2000 euros de revenus par an.

Il y a d’autres motifs de mécontentement, dont les milliers de postes supprimés, ces dernières années, et la réorganisation des horaires de travail au détriment des salariés. Dans ce contexte, compte tenu de l’obstination de Bompard à réaliser son « plan » régressif, de nouvelles mobilisations des salariés seront à l’ordre du jour, cette année.


[1] Présentation, par Alexandre Bompard, du plan de transformation « Carrefour 2022 », le 23 janvier 2018.