Les moniteurs étudiants de la Bibliothèque Sainte-Barbe sont en grève totale depuis le 25 janvier, leur piquet du samedi 30 a été rejoint par les professeurs non titulaires de Paris 3 en lutte – eux  aussi en grève pédagogique. Ils ont tenu un piquet commun avec les permanents de la bibliothèque le 2 février. Interview avec Léo et François, tous deux membres de MOET en lutte.


Quelles sont vos revendications principales ?

Léo : On s'est mis en grève le 5 décembre, il y a déjà plus d'un mois. Quand la bibliothèque a fermé au second confinement, les heures où la bibliothèque a fermé ne nous ont pas été payées, sans qu’on ait été prévenus. La bibliothèque a ensuite rouvert et on a décidé de ne pas nous payer nos heures, en nous expliquant que la situation du deuxième confinement était normalisée par rapport à la première qui était considérée comme une situation exceptionnelle. Et vu que la fermeture du deuxième confinement était une situation normale on ne serait pas payés, ce qui n'est pas normal, donc on essaie d'être payés pour ces jours-là, mais aussi d'obtenir des garanties pour que cette situation ne se reproduise pas. Lors du prochain confinement – s’il y en a un – on ne voudrait pas se retrouver dans la même situation, parce qu'on a besoin de cet argent pour manger et payer notre loyer. Il y avait aussi la question des cas de suspicions COVID-19 : dans ce cas, on devait rester chez nous pour éviter les contaminations, et on devait aussi rattraper ces heures-là, parce qu'on nous a dit qu'on était considérés comme des vacataires qu'on était payés à l'heure faite, ce qui est faux et illégal. Ils ont reculé sur ce point, mais on en attend encore beaucoup de leur part.

 

Comment votre situation de travailleur influe sur votre situation en tant qu'étudiant ?

François : Je suis en prépa agrégation en histoire cette année. J'ai donc 35 heures de cours rien que pour ma prépa agrégation, et dans le cas de ce type de formation c'est très difficile d'obtenir les aides du Crous, parce que ce n'est pas considéré comme des années d'études à part entière. On se retrouve donc avec des tas de gens qui ne peuvent pas se préparer et qui se débrouillent en prenant des prêts, etc... Je n'ai pas les moyens d’étudier sans travailler, donc je travaille ici à la bibliothèque, mais en plus de mes 35 heures de cours par semaine, j'ai 15 heures à la bibliothèque. Sans compter tous les concours, les préparations, c'est à moi de les rattraper, c'est à dire qu'il n'y a pas de pause. Tous les lundis on nous a mis un concours blanc et le lundi je fais 8 heures de travail, donc il a fallu que je décale tous mes horaires et que je trouve des heures où je n'en ai pas pour rattraper, pour bricoler constamment avec mon emploi du temps. C'est la situation dans laquelle on se retrouve quand on est étudiant et qu'on doit travailler. Il faut le rappeler mais c'est la situation de la majorité des étudiants. On a l’idée d’étudiants payés par papa et maman, mais ce n'est pas le cas de tout le monde. La majorité reste des gens qui travaillent et qui se retrouvent énormément pénalisés par cette situation, notamment en période de confinement : par exemple dans le cas de l’agrégation, ils ont décidé de faire plus d'heures de cours sur les plages de TD au lieu de faire des groupes, ce qui fait que je n'ai pas du tout pu suivre certains cours, car ils étaient sur mes heures de travail.

 

A ce jour vous n'avez eu aucune réponse de la part de l'administration ?

Léo : Sur l'affaire des suspicions COVID-19, on a eu une réponse parce qu'on les a mis devant le fait accompli que ce qu'ils faisaient était clairement illégal. Ce qui est effarant, c'est qu’il a fallu deux semaines pour qu'ils comprennent qu'il n'est pas normal qu'on ne soit pas payés alors qu'on ne peut pas venir travailler parce qu'on est en suspicion COVID-19. On a subi un vrai mépris de la part de l'administration. En fait on nous considère comme des étudiants, et pas comme des travailleurs, comme si on nous offrait cet emploi et qu'il fallait juste être content d'être là et ne rien dire. On ne nous prend pas au sérieux. On a eu un rendez-vous, il y a trois semaines, avec la direction de Sorbonne Nouvelle qui finance la bibliothèque, mais on n'a pas du tout obtenu gain de cause et on n'est pas du tout satisfaits. On ne nous a donné aucune nouvelle depuis. On nous fait patauger en nous proposant des rendez-vous avec la direction interne de la bibliothèque qui nous a déjà expliqué qu'ils ne pouvaient rien faire, et avec les dernières annonces de Jean Castex on craint vraiment un nouveau confinement. Si ce qu'on redoute arrive, on se mettra sûrement en grève totale avec les autres salariés de la bibliothèque, parce qu'on ne peut pas rester dans cette situation.

 

Pensez-vous joindre vos forces à d'autres salariés étudiants ou d'autres travailleurs ?

Léo : Aujourd'hui notre initiative prend beaucoup d'ampleur, on a des députés qui sont venus nous voir et discuter de la situation, et on veut faire en sorte que ce ne soit pas seulement notre voix qui s'exprime, on veut faire en sorte que cette initiative exprime aussi la réalité d'autres situations. On connaît la situation dans les bibliothèques et aussi celle des autres travailleurs. On avait une collègue qui travaillait dans la restauration et qui cumulait deux emplois. Elle en a récemment perdu un. C’est une situation très critique pour les gens qui travaillent dans la restauration, et ce sont des situations qui sont très répandues et qu'on veut aussi représenter. On commence à développer un propos sur la précarité étudiante, des salariés d'autres bibliothèques sont venus nous voir et nous ont parlé de leur situation, de problèmes qui sont parfois pires que les nôtres. Nous qui sommes nombreux et qui avons la force, on essaie de porter ces revendications sur la précarité étudiante pour des bibliothèques qui ont moins d'effectifs, et pour qui il est difficile de créer un mouvement. A propos de la précarité étudiante, on est vraiment symptomatique d'une situation que tout le monde subit.

 

Est-ce que des syndicats et d’autres organisations vous soutiennent ?

Léo : Beaucoup de gens nous ont apporté leur soutien, notamment la CGT, qui nous a aidé à faire les préavis et à savoir où on était légitimes, et ce qu’on pouvait réclamer. SUD nous a aussi soutenu et nous soutient encore. Il y a beaucoup de journaux qui sont venus nous voir, on a eu du soutien de l'ENS de Lyon qui nous a envoyé de l'argent. Ce qui est vraiment surprenant c'est qu’on est 20 et qu'on voit des gens de toute la France qui nous apportent leur soutien, et nous envoient des messages, ça fait vraiment chaud au cœur de voir qu'on n'est pas tout seul ici.

 

Comment vous soutenir ?

Léo : On a une caisse de grève si on veut nous soutenir financièrement, et une page facebook, MOET en lutte, n'hésitez pas à suivre en masse !

 

Est-ce que vous voulez ajouter quelque chose ?

François : A la bibliothèque il y a les moniteurs étudiants, et les permanents qui travaillent à temps plein. C'est comme ça dans toutes les administrations publiques. Tout le monde n’est pas fonctionnaire, et la plupart ne bénéficient pas de ce statut et sont aussi exposés à la précarité. Par exemple les fonctionnaires de catégorie B sont moins payés que les fonctionnaires de catégorie A, qui font souvent plus d'heures. Ils ont aussi une moins bonne sécurité de l'emploi, parce qu'ils n'ont pas de CDI, sans parler des contractuels qui ne sont pas fonctionnaires du tout. Ce sont des gens qui ont moins de temps, moins d'énergie pour lutter. Ils nous soutiennent dans notre mouvement de grève, et ça fait longtemps qu'ils se battent pour être transformés en contrats permanents à la bibliothèque, ce à quoi la bibliothèque a répondu avec bonne volonté parce qu'ils ont demandé à Paris 3 de créer des contrats plus stables. L'ironie c'est que Paris 3 va créer deux CDI supplémentaires à la bibliothèque, mais va dans le même temps licencier deux personnes. La sécurité se fait en dépit de ceux qui travaillent déjà ici. Ils ont toujours été avec nous, même s’ils n'ont pas forcément le temps pour nous soutenir directement.

En plus de parler de la précarité étudiante qui est vraiment un thème d'actualité, d'un autre coté il y a le service public qui se fait privatiser. La précarité se généralise et s'intensifie, c'est vraiment une situation catastrophique. Ce sont des gens qui n’ont jamais le temps et dont toute la vie se joue sur ces contrats qui sont de plus en plus précaires. De notre côté, on espère que dans deux ans, une fois notre vie universitaire terminée on ne sera plus là. C'est pour ça qu’il faut rejoindre leur mouvement et les soutenir, il ne faut pas hésiter parce que la précarité c'est une réalité partout, dans toutes les administrations publiques, chez le personnel soignant c'est pareil, c'est l'apocalypse pour tout le service public. C'est pour ça que nous on sera toujours ravis de donner du soutien aux camarades et le jour où notre grève sera finie et qu'il y aura une grève ailleurs, on ira les aider parce que c'est comme ça que ça fonctionne.