La direction de Nokia a décidé de licencier 1233 salariés en France. Interview de Claude Josserant, un délégué CGT de Nokia qui organise la lutte de ses collègues contre ces suppressions d’emplois.


Quelle est la situation du groupe Nokia ?

Nokia est un groupe international dont l’activité principale est le développement des équipements de télécommunications. Le groupe a réalisé 23 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2019, dont 700 millions en France.

Et au niveau de la France ?

Alcatel-Lucent a été racheté en 2015 par Nokia, avec l’aval du ministre de l’Economie de l’époque : Emmanuel Macron. Alcatel-Lucent a longtemps été un des leaders français en matière de technologie de télécommunication. Nous sommes 3500 salariés répartis dans la filiale principale entre autres à Nozay (91) et Lannion (22) – sur 5000 sur le groupe en France.

Aujourd’hui nous subissons le 4e plan de licenciement en quatre ans. Les derniers plans de licenciement avaient touché principalement les services centraux (administratifs, support client, ventes, etc.). L’originalité de ce dernier plan est la réduction des effectifs dans le secteur de la Recherche et du Développement (R&D) : 831 à Nozay et 402 à Lannion. Jusque-là, Nokia respectait un accord passé avec Macron, en échange de l’autorisation d’achat d’Alcatel-Lucent : amener l’effectif proche de 2500 salariés en R&D jusqu’en 2019. Maintenant que le délai est passé, Nokia licencie en R&D après avoir perçu 273 millions de CICE. Les 700 jeunes récemment recrutés seraient les premiers touchés.

Est-ce que la crise du Covid a un lien avec ce plan de licenciement ?

Non. Durant le confinement, le télétravail massif a permis de maintenir et même d’améliorer la productivité des salariés de l’entreprise. Les opérateurs, clients de Nokia, maintiennent le niveau de leurs investissements, et donc le chiffre d’affaire. En France nous sommes chargés du développement de la 5G, une technologie de pointe. En dépit de tout cela, le plan de licenciement a été déclenché. Le but est encore d’augmenter les dividendes des actionnaires en délocalisant vers les pays « low-cost ». Nokia est plus à l’affût de la rentabilité des brevets qu’il exploite que du maintien de l’emploi.

Face à ce plan de licenciement, quel est le niveau de combativité des salariés d’Alcatel-Lucent ?

Comme souvent chez les ingénieurs et cadres, le taux de syndiqués n’est pas élevé. Les syndiqués sont souvent des salariés en fin de carrière, car ils ont moins peur de subir les conséquences de leur adhésion à un syndicat. Cependant, comme le plan de licenciement touche principalement des jeunes, ces derniers se mobilisent et certains adhèrent à la CGT. Et puis, en dépit des 95 % de salariés en télétravail, nous avons réussi à mobiliser 500 salariés devant notre site de Nozay et 1500 se sont rendus à Paris le 8 juillet.

Quels sont vos soutiens dans ce combat contre les licenciements ?

Les élus de la ville de Lannion et sa population sont très mobilisés, car la pérennité du site est remise en question. Nokia ferme les sites de moins de 500 salariés. Or à Lannion, Alcatel-Lucent passerait de 752 à 350 employés.

Sur le plan national, les élus PCF et FI nous soutiennent. Le député LREM de Bretagne aussi, mais sa proposition pour sauver des emplois se limite à vouloir donner toujours plus d’argent public à Nokia, sans contrepartie. Or Nokia a déjà vampirisé 280 millions d’aides depuis 4 ans. On sent aussi un début de convergence des luttes avec d’autres entreprises de l’Essonne qui subissent des plans de licenciement, comme Renault Technocentre Lardy, Sanofi ou encore X-FAB.

Face à une grande boite comme Nokia, qui annonce un plan social, Révolution avance le mot d’ordre de nationalisation sous contrôle des travailleurs. Qu’en penses-tu ?

Il faut comprendre que les brevets d’Alcatel-Lucent ont été exportés vers une holding norvégienne de Nokia. Nous n’avons pas de moyen de production sauf quelques bancs de test et nos cerveaux. De plus, l’organisation du travail fait qu’un projet en développement est réparti entre plusieurs sites dans le monde. Il faudrait une lutte internationale pour espérer prendre le contrôle de notre entreprise.

Nous avons des réunions avec des délégués syndicaux des branches étrangères de Nokia. Mais certains syndicats, notamment scandinaves, n’ont pas l’esprit de lutte. Enfin, il y a quand même eu des gestes de solidarité internationale comme les 2 heures de grève de nos collègues grecs – et les messages des collègues italiens et espagnols, en soutien à notre combat.


Post-scriptum de Révolution

La réponse du camarade à notre dernière question appelle un commentaire. Il formule une objection courante – et compréhensible – au mot d’ordre de nationalisation. Mais nous insistons : la nationalisation de Nokia permettrait de sauvegarder tous les emplois, toutes les compétences et l’ensemble des infrastructures de l’entreprise, en France. Par ailleurs, ce serait une étape vers la constitution d’un secteur public des télécommunications, ce qui suppose la nationalisation de tous les grands opérateurs du secteur. Quant au système des brevets industriels, le mouvement ouvrier n’a aucune raison de s’y soumettre.