Depuis le meurtre de George Floyd, fin mai, les politiciens et journalistes réactionnaires nous répètent qu’en matière de racisme et de violences policières, la France n’a « rien à voir » avec les Etats-Unis.

D’une part, ils affirment que le racisme est « très marginal » dans la police française. De nombreux policiers affirment le contraire. Par ailleurs, il y a ces groupes Facebook où des milliers de policiers déversent leur haine raciste. Mais il en faut plus pour déstabiliser les chantres de la police française.

D’autre part, nous expliquent-ils, la police française ne tue pas. S’il arrive qu’un individu meure à la suite d’une interpellation, c’est parce qu’il avait la santé fragile. Par ailleurs, l’interpellé résistait d’une manière si violente qu’il en est mort. Ce n’est plus la violence des policiers qui est en cause, dans le décès, mais celle de la victime elle-même.

Telle est la ligne de défense des gendarmes qui ont tué Adama Traoré, en 2016, mais aussi des policiers qui ont tué Cédric Chouviat, en janvier dernier. Or dans ce dernier cas, cette ligne de défense est mise à mal par de nouvelles révélations. « J’étouffe », a répété Cédric Chouviat à sept reprises – en vain. « I can’t breathe », a répété George Floyd – en vain. La similitude est glaçante. Mêmes mots, même issue dramatique.

« Mes clients n’ont rien entendu », affirme l’avocat de trois policiers impliqués dans l’interpellation meurtrière de Cédric Chouviat. « Comment peut-on imaginer une seule seconde que des gardiens de la paix aient entendu qu’une personne étouffait et n’aient rien fait pour arrêter les actes de contrainte ? Ça n’a aucun sens de le prétendre. » C’est un argument très faible. Le policier qui a tué George Floyd entendait parfaitement les implorations de sa victime. Pourquoi ce qui s’est passé aux Etats-Unis n’aurait « aucun sens » en France ?

Capitalisme, racisme et violences policières

Si le magnifique mouvement de masse, aux Etats-Unis, a eu de puissantes répercussions en France et ailleurs, c’est précisément parce que le même problème existe dans tous ces pays, les mêmes violences policières et le même racisme d’Etat. C’est un problème inhérent au système capitaliste – et qui donc existe, à des degrés divers, dans tous les pays capitalistes.

Les violences policières découlent du rôle de la police elle-même dans une société divisée en classes sociales. La police est investie par la bourgeoisie du pouvoir de contraindre, d’interpeller, de réprimer – bref, de recourir à la violence. Bien sûr, lorsque la police interpelle un criminel, les travailleurs n’y trouvent rien à redire. Mais fatalement, dans un contexte de crise du capitalisme et d’intensification de la lutte des classes, la violence policière déborde très largement le cadre des interpellations de criminels.

D’une part, elle est mobilisée contre les résistances du peuple aux politiques réactionnaires de la bourgeoisie. Par exemple, le mouvement des Gilets jaunes a été la cible d’une violence policière inouïe ; des centaines de personnes ont été blessées, des dizaines mutilées ; Zineb Redouane, à Marseille, a été tuée par un tir de gaz lacrymogène (et l’auteur de ce tir disculpé). En réprimant les mobilisations sociales, la police et la gendarmerie sont au cœur de leur fonction essentielle, conformément à l’essence de l’appareil d’Etat : « des hommes en armes qui défendent la propriété bourgeoise » (Marx).

D’autre part, les violences policières rythment le quotidien des quartiers les plus pauvres du pays, où la lutte contre les délits et trafics sert de prétexte à toutes sortes d’agressions, de provocations et d’humiliations, comme l’a bien illustré le film de Ladj Ly, Les Misérables. Et c’est ici, bien sûr, que le racisme d’un certain nombre de policiers trouve son terrain d’action privilégié, sous le regard passif ou bienveillant de leur hiérarchie, de la plupart des syndicats de policiers, de l’appareil judiciaire, des grands médias, du gouvernement et des politiciens bourgeois.

Le racisme est l’un des piliers du système capitaliste. Comme l’expliquait Malcolm X, « vous ne pouvez pas avoir le capitalisme sans le racisme ». Les classes dirigeantes ont besoin d’alimenter le racisme, sans cesse, pour consolider leur pouvoir, en suivant le vieux principe : « diviser (la classe ouvrière) pour mieux régner ». En France, ce sont surtout les musulmans qui servent de bouc-émissaires, sous couvert de laïcité ou de lutte contre le terrorisme. Mais la propagande raciste vise « l’étranger » en général, même lorsqu’il est de nationalité française : la couleur de peau y suffit. Et bien sûr, le poison du racisme circule abondamment dans la police et la gendarmerie.

Le rôle du mouvement ouvrier

Comment lutter contre le racisme et les violences policières ? Il faut commencer par bien poser le problème. Dans la mesure où le racisme et les violences policières sont des armes de la classe dirigeante dirigées contre notre classe, la classe ouvrière, nous devons écarter les théories et mots d’ordres qui divisent nos rangs. Par exemple, la théorie des « privilèges blancs », aussi bien intentionnée soit-elle, joue un rôle totalement contre-productif. Au lieu de contribuer à l’unité de classe de tous les travailleurs dans la lutte contre les oppressions, cette théorie complique notre unité, y fait obstacle. De fait, l’idée des « privilèges blancs » n’a aucun contenu de classe ; elle masque le lien entre capitalisme et oppressions. Elle ne fait pas avancer la conscience de classe d’un millimètre ; au contraire, elle jette la confusion dans les esprits.

Nous avons publié un long document contre cette approche « intersectionnelle » – et pour défendre le point de vue marxiste sur la lutte contre les oppressions. Ici, soulignons simplement qu’il est absurde de transformer en « privilégiés » tous ceux qui ne sont pas victimes d’une oppression donnée. Le résultat fatal d’une telle approche, c’est de fragmenter notre classe en une pyramide infernale de « privilégiés », chacun étant le « privilégié » d’un autre – pour le plus grand bonheur des véritables privilégiés, qui sont aussi les principaux responsables et bénéficiaires des oppressions : les grands capitalistes.

Ceci étant dit, si de telles idées ont pu gagner une certaine audience, c’est notamment parce que les directions du mouvement ouvrier n’ont pas sérieusement mené la lutte contre les oppressions. La nature ne tolère pas le vide, y compris dans ce domaine. Il est grand temps de remédier à ce problème en mobilisant l’ensemble du mouvement ouvrier contre toutes les oppressions. La gauche et le mouvement syndical ont une énorme responsabilité en la matière.

On ne lutte pas efficacement contre le racisme à coup de grandes phrases sur « l’égalité de tous les hommes ». Comme l’écrivait Lénine, la question nationale est, en dernière analyse, « une question de pain ». Or l’oppression raciste est un cas particulier de l’oppression nationale. C’est le chômage et la misère – le manque de « pain » – qui constituent le terreau fertile de la propagande raciste. Pour cimenter l’unité de tous les travailleurs, quelle que soit leur couleur de peau, il faut les mobiliser dans une lutte commune contre leur ennemi commun – la classe dirigeante –, sur la base d’un programme révolutionnaire, qui seul permettra de régler définitivement la question du « pain », en donnant à tous les salariés un bon travail, un bon logement et une vie digne.

Le mouvement ouvrier doit s’opposer fermement à toute tentative de diviser notre classe suivant des lignes ethniques, religieuses, sexuelles ou autres. Et il ne doit pas seulement s’y opposer en parole, mais dans l’action. C’est ce qu’ont fait, par exemple, les travailleurs portuaires de la Côte Ouest des Etats-Unis et du Canada, le 19 juin dernier : ils ont fait grève et fermé 29 ports pendant 8 heures, pour protester contre le racisme et les violences policières. Voilà un exemple concret de ce qui est nécessaire !

En France, Assa Traoré et ses camarades ont réussi à mobiliser des centaines de milliers de personnes, à travers le pays, contre le racisme et les violences policières. Si la gauche et le mouvement syndical jetaient toutes leurs forces dans cette lutte, le mouvement serait encore plus puissant. Une grève générale de 24 heures pourrait être organisée. Elle constituerait une étape importante dans la lutte contre le racisme, contre les violences policières – et pour une société débarrassée de toute exploitation et toute oppression.