Le premier distributeur de la presse française, Presstalis (ex NMPP), traverse sa troisième crise en dix ans. Qui en fait les frais ? Encore et toujours ses employés.

En septembre 2019, Cédric Dugardin a été nommé nouveau PDG de l’entreprise. Il est l’ex-président de Conforama, spécialisé dans le « management de transition ». Son objectif était de terminer le travail de ses prédécesseurs. Il devait supprimer 728 postes de travail, notamment dans les centres de distribution régionaux. 

Le 15 mai dernier, le tribunal de commerce de Paris a annoncé la liquidation partielle de la société. La principale conséquence de cette décision sera la fermeture des filiales régionales SAD (Société d’agences et de diffusion) et Soprocom, qui comptent 512 salariés et desservent près de 10 000 kiosques dans tout l’hexagone. A Marseille, 140 travailleurs sont concernés. Ils se sont retrouvés au chômage du jour au lendemain. Depuis le 13 mai, plus de 800 points de vente ne diffusent plus de journaux ni de magazines.

D’où vient cette crise dans le secteur de la distribution de la presse ? Le Syndicat du Livre-CGT répond clairement : la faute est au gouvernement. Entre 2007 et 2017, plus de 1 000 éditeurs de presse ont vu leur volume de vente diminuer de 54 %. Entre 2011 et 2018, plus de 6 000 points de vente ont fermé. Dans ce contexte, le gouvernement Macron a réformé la loi Bichet[1] en 2019, en faveur de la libéralisation du secteur. En ajoutant de la concurrence à la concurrence par l’introduction de nouveaux acteurs privés, le résultat est une liquidation, à terme, de Presstalis.

Dans la cité phocéenne, la réaction des salariés de la SAD a été rapide et radicale. Ils ont occupé leur dépôt dans les quartiers nord de la ville et ont organisé la grève avec des actions de protestation, malgré les difficultés posées par la crise sanitaire. Dans ce cadre, un débat public s’est tenu afin de présenter leur solution à la crise, le 25 mai dernier.

Concrètement, les salariés de la SAD proposent qu’un opérateur public, comme La Poste, porte leur activité de façon transitoire, le temps de mettre sur pied une Société coopérative d’intérêt collectif qui pourrait associer tous les salariés des centres de distribution régionaux.

Cependant, on remarque une attention particulière des syndicats, davantage sur la menace du droit à une pluralité démocratique de l’information, qu’aux perspectives d’étendre et coordonner cette lutte au niveau national – et surtout de la connecter aux autres luttes qui se développent.

« Hors mouvement social, il ne devrait pas y avoir de “longue interruption” de la distribution de la presse, qui pourra, dans un premier temps, être reprise temporairement par des distributeurs indépendants », a assuré la direction de Presstalis.

En fait, sans une mobilisation généralisée, la victoire de cette lutte est plus qu’incertaine. Ceci dit, elle a le mérite d’avoir remis au centre du débat, une fois de plus, le rôle des travailleurs dans la production de biens et de services.

Dans la région PACA, ce n’est pas la première fois que la lutte contre des licenciements économiques débouche sur la prise en main de l’activité de la part des salariés, via l’option de la coopérative. Cela a été le cas pour les ex-Fralib de Gémenos. Plus récemment, la même perspective a été évoquée comme solution par les travailleurs en lutte du McDo de Saint-Barthélemy.

Il y aurait beaucoup d’autres exemples à évoquer dans tout le pays, mais l’essentiel est le point de départ de toutes ces luttes : des salariés, qui décident de continuer la production sans patron, pour sauver leurs emplois.

Vu le manque d’un cadre national de lutte pour la nationalisation et la mise sous le contrôle des travailleurs de la production, la solution de la coopérative semble être la seule solution possible à court terme. Le problème est que cette option est très limitée, car les coopératives aussi sont soumises aux lois du marché, aux contradictions de la concurrence, aux problèmes d’accès au crédit. Bref, aux limites objectives du capitalisme.

En réalité, la crise sanitaire remet au centre du débat politique et syndical les mots d’ordre de nationalisation et du contrôle ouvrier, dont la SAD ou Luxfer ne sont qu’un exemple parmi d’autres.

« Il y a des biens qui doivent être placés en dehors des lois du marché », disait Emmanuel Macron au début du confinement. Cela vaut pour la presse, pour les entreprises liées à la santé, pour les entreprises qui menacent de licencier ou de délocaliser, et pour les principaux leviers de l’économie. Macron ne sera pas d’accord avec cette perspective, mais des millions de travailleurs seront prêts à entendre ces arguments et à lutter pour les défendre.


[1] La loi Bichet du 2 avril 1947 - Son principe est que la distribution de la presse est libre : un éditeur peut recourir à tous moyens légaux de son choix pour faire distribuer son journal. En revanche, dès que deux éditeurs au moins mettent en commun des moyens pour assurer la distribution de leurs titres, ils ne peuvent refuser à un troisième éditeur de les rejoindre (liberté d’accès au réseau).