Cet article date de mai 2018.


La scène est connue. Lors de la manifestation du 1er mai, à Paris, des Black blocs, masqués et vêtus de noir, brisent des vitrines et taguent des façades. Les photographes de presse s’en donnent à cœur joie et, le lendemain, les photos font la « une ». Au plus haut niveau de l’Etat, chacun y va de sa solennelle – et hypocrite – condamnation des violences.

Qu’il s’agisse des véritables cortèges de Black blocs, comme le 1er mai, ou de simples « cortèges de tête » équipés et habillés pour l’occasion, ils sont désormais présents dans bon nombre de grandes manifestations – surtout à Paris, mais pas seulement. Ces jeunes ne se réclament d’aucune organisation, poussent aux manifs « sauvages » et visent des symboles du capitalisme : banques, agences d’intérim, Mc Donald's...

Ce phénomène suscite un débat dans la jeunesse et le mouvement ouvrier. Les dirigeants de la CGT, de la France insoumise et du PCF soulignent que les agissements de ces groupes – Black blocs ou autres – sont contre-productifs et, au final, font le jeu de la réaction. En effet, la police saisit souvent ce prétexte pour réprimer l’ensemble de la manifestation. Et bien sûr, les grands médias se concentrent sur la violence, passant sous silence les revendications de la manifestation.

Toute forme de mobilisation n’est pas positive : elle ne fait pas forcément avancer le mouvement d’ensemble. En l’occurrence, non seulement les agissements des « autonomes » ne font pas avancer d’un pouce la lutte contre la politique gouvernementale, mais ils aident clairement à justifier la répression. De plus, l’action de groupes anonymes, agissant à l’intérieur des manifestations sans avoir à rendre des comptes à personne, est un obstacle évident au contrôle démocratique des travailleurs et des jeunes sur la mobilisation. Au passage, du fait de son caractère non démocratique et « incontrôlé », ce genre de mouvement est régulièrement infiltré par des agents provocateurs de la police.

La responsabilité des dirigeants du mouvement ouvrier

Tout ceci est connu et bien compris par la plupart des militants de gauche. Cependant, il faut aller plus loin. Une simple condamnation des méthodes des Black blocs est très insuffisante. D’une part, la critique de ces méthodes ne doit pas s’aligner sur celle de l’Etat et du gouvernement. Lorsque Martinez (CGT), par exemple, regrette que les Black blocs identifiés ne soient pas arrêtés par la police, en amont des manifestations, il va beaucoup trop loin. Son rôle n’est pas de demander à l’Etat de « régler ce problème », qui plus est en arrêtant préventivement des manifestants.

Surtout, critiquer les Black blocs est très facile, mais il est plus intéressant et plus utile d’expliquer leur existence – et d’expliquer pourquoi leurs méthodes exercent un attrait sur une fraction non négligeable de la jeunesse.

Ce n’est pas un hasard si cette question est rarement posée : c’est parce que la responsabilité des directions des grandes organisations de gauche – syndicales et politiques – est écrasante. En effet, les Black blocs et autres cortèges « autonomes » sont l’expression d’une colère et d’une frustration causées non seulement par les politiques réactionnaires des gouvernements successifs, mais aussi par l’incapacité des directions syndicales et politiques du mouvement ouvrier à proposer une stratégie de lutte efficace. La colère qui s’exprime dans les cortèges autonomes est majoritairement celle de militants jeunes, souvent en lutte depuis peu, mais se rendant compte que les méthodes de lutte employées en 2010 et 2016, par exemple, ont abouti à des défaites. Ils en concluent, à juste titre, qu’elles ne marcheront pas davantage à l’avenir.

Comme nous l’avons souvent souligné dans ce journal, les « journées d’action » sans lendemain ne peuvent pas faire reculer le gouvernement. La responsabilité des directions syndicales – mais aussi des partis de gauche – est d’abord d’expliquer aux travailleurs la nécessité de construire un mouvement de grèves reconductibles dans plusieurs secteurs clés de l’économie. Ensuite, les dirigeants du mouvement ouvrier doivent tout mettre en œuvre pour préparer et organiser un tel mouvement. Ce sera en effet le seul moyen de faire reculer le gouvernement. En l’absence d’une telle stratégie, il n’est pas étonnant qu’un nombre croissant de jeunes se rabattent sur l’aventurisme « autonomiste », lequel semble au moins faire quelque chose de plus radical – même si, dans les faits, c’est contre-productif.

Ainsi, la responsabilité des dirigeants syndicaux et politiques du mouvement ouvrier n’est pas seulement de critiquer les méthodes des militants « autonomes », mais aussi et surtout d’offrir à la jeunesse – et à l’ensemble du mouvement ouvrier – des perspectives et un programme à la hauteur de la situation.