Interview avec Richard Duval, secrétaire général du SICTAM-CGT d’ADP

Quelles sont les intentions du gouvernement concernant les Aéroports de Paris ? S’agit-il de préparer la privatisation d’ADP ?

R.D : Officiellement, selon la direction d’ADP et le gouvernement, la privatisation de notre établissement public n’est pas prévue. Personne ne propose concrètement la privatisation d’ADP pour l’instant. Ce qui est certain, par contre, c’est que le statut d’ADP va évoluer prochainement. Pour l’heure, on constate une forte manipulation médiatique destinée à habituer le grand public et de manière plus ciblée les salariés d’ADP à l’idée du changement de statut d’ADP. Il y a quelques mois déjà, le secrétaire d’Etat aux Transports, Dominique Bussereau, s’exprimait en faveur de cette évolution statutaire.

Sur le plan syndical et politique, on voit venir ce changement en plusieurs phases, même si, pour l’instant, on n’a pas d’éléments concrets. Il y a des gens, apparemment, y compris des représentants syndicaux - autres que CGT - qui disent et écrivent des choses. Mais la CGT n’a pas d’information officielle à ce sujet. Depuis déjà quelques mois, ADP est dans une phase de réorganisation complète. Avant, il n’y avait qu’une direction pour tous les aéroports de la région parisienne. Aujourd’hui, il y en a trois : une pour Roissy, une autre pour Orly, et une troisième pour Le Bourget et les autres aéroports secondaires de la région parisienne. Elles ont une autonomie financière et décisionnelle très importante, et la notion de mise en concurrence des services est fortement soulignée. C’est bien évidemment une façon de préparer la mise en place du changement de statut. Pour l’heure, la direction présente cette réorganisation comme un moyen d’apporter aux usagers et aux compagnies aériennes une meilleure qualité de service. Mais nous ne sommes pas dupes. Nous voyons bien qu’il s’agit avant tout de réduire les coûts et d’instaurer des critères de gestion purement économiques. La mission de service public passe au deuxième plan par rapport à la recherche de rentabilité.

La prochaine étape, c’est une décision gouvernementale validant la remise en cause du statut actuel d’ADP, avec sans doute, à la clé, une entrée de capitaux privés, sous une forme ou sous une autre, dans le financement de "l’entreprise ADP". Ceci se fera, du moins dans un premier temps, "sans violence", puisqu’une privatisation brutale d’ADP ne paraît pas plausible dans l’immédiat. Au cours de ces dernières années, ADP a énormément investi, et le taux d’endettement de l’établissement est tel qu’il ne paraît pas "privatisable" à court terme. A ce jour, la dette représente 1,7 fois le chiffre d’affaire annuel d’ADP : du jamais vu ! En clair, en l’état actuel des choses, les investisseurs privés ne pourraient dégager des bénéfices significatifs qu’après plusieurs années d’investissement à perte, le temps de rembourser la dette. Voilà où nous en sommes pour l’instant.

Quelles évolutions sont en cours concernant le personnel de l’établissement ?

R.D :D’après la direction, l’actuel "statut du personnel d’ADP" est supposé être très bénéfique aux salariés d’ADP. Dans les faits, cela reste à démontrer. Le droit de grève est brimé (réquisition, préavis de 5 jours...) et le temps de travail est annualisé. En ce qui concerne le traitement de base, la grille de salaire des personnels d’exécution commence en dessous du SMIC. Je crois que, pour ne pas effrayer les salariés, la direction voudrait éviter, dans un premier temps, de toucher à ce statut du personnel. Elle procédera certainement d’une autre manière, moins directe, pour contourner ce qu’elle considère comme les "contraintes" du statut actuel du personnel. D’une part, elle mise sur les départs en préretraite, sachant que l’âge moyen des salariés se situe entre 43 et 44 ans, avec, en moyenne, entre 12 et 13 ans d’ancienneté. D’autre part, elle continuera, sous divers prétextes, de transférer des salariés vers les filiales, comme cela s’est fait, entre autre, chez France Télécom.

Y a-t-il eu un recours de plus en plus important à la sous-traitance ?
R.D :Oui, énormément. A côté des 8200 salariés en CDI sous statut ADP, il y a aujourd’hui l’équivalent, en "volume", de 6000 à 7000 emplois directs de sous-traitance ou dans les filiales. Les entreprises de sous-traitance ont des effectifs qui se renouvellent sans cesse, et la qualité de leurs prestations est loin d’être bonne. On l’a vu, entre autres, avec les problèmes de sûreté. Le fait de confier une bonne partie du dispositif de sûreté à des entreprises sous-traitantes (3 000 emplois) est en contradiction complète avec le discours officiel sur la sûreté des aéroports et la lutte contre le terrorisme. Quand ce travail était effectué par les salariés de l’Etat, il était plus "efficace". C’étaient des gens de métier, des professionnels, bien plus impliqués dans leur travail que des salariés à bas salaires, aux conditions de travail déplorables, et qui de ce fait ne peuvent demeurer longtemps dans leur entreprise. Il y a d’ailleurs eu des grèves des agents de sûreté, l’an passé, à Orly et CDG. Les Américains, après les évènements du 11 septembre, ont compris le problème, et ont fait marche arrière sur cette question, en rétablissant le rôle de l’Etat dans les missions de sûreté dans les aéroports.

Faut-il considérer la marche vers la privatisation des services publics comme une fatalité ?

R.D :Non, mais quand on voit la propagande médiatique qui stigmatise ADP comme étant l’un des "rares" aéroports qui n’est pas encore privatisé, il est clair que le but est de renforcer ce sentiment de fatalité et de préparer le grand public et les salariés d’ADP à l’éventualité d’une privatisation. Il faut voir aussi comment la privatisation a été annoncée aux salariés d’Air France. Air France a fait entrer les salariés dans le capital de l’entreprise. Comment expliquer que la privatisation est néfaste lorsque les salariés ont l’impression qu’ils toucheront des salaires plus élevés en participant aux bénéfices ? Chez Air France, les militants de la CGT ont beaucoup de mal à faire passer l’idée de re-nationalisation.

Nous faisons tout ce que nous pouvons pour sensibiliser les travailleurs à la nécessité de défendre la notion du service public et le statut d’établissement public d’ADP. Mais je crois que c’est aussi au niveau politique qu’il faut réagir. On sait ce qu’a fait le gouvernement Jospin en matière de démantèlement du service public. La politique de Raffarin n’en est que la continuation. Par exemple, c’est le gouvernement précédant (Chirac et Jospin) qui a signé des deux mains les accords de Barcelone sur la libéralisation du marché de l’énergie, cet accord ayant des conséquences très graves (notamment en ce qui concerne EDF). Avec la droite, on sait à qui nous avons à faire. Le problème, c’est que les dirigeants de gauche, et notamment ceux du Parti Socialiste, ont appliqué une politique qui, dans bien des domaines, n’a pas été très différente de celle de la droite.

Ce qui se pose aujourd’hui, plus que jamais, c’est un choix de société. Quelle alternative politique avons nous aujourd’hui pour aller de l’avant ? Aux citoyens d’en décider.

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