Dans la société que décrit 1984, le roman de Georges Orwell, le ministère de la Paix est en charge de la guerre, le ministère de l’Abondance gère le rationnement, et le ministère de l’Amour dirige la police secrète. Suivant cette logique, la loi « sur l’égalité des chances », dans laquelle figure le CPE, constitue une attaque majeure contre la jeunesse et les travailleurs. Et si leur mobilisation n’en bloque pas la mise en œuvre, elle ne ferait qu’élargir le gouffre qui sépare la masse de la population de la petite minorité de nantis capitalistes pour laquelle travaille Villepin.

Le CPE ne menace pas seulement la jeunesse. Du fait de la concurrence des salariés sur le marché du travail, ce contrat ultra-précaire exercerait une pression à la baisse sur les conditions de travail et le salaire de tous les travailleurs, quel que soit leur âge. Par ailleurs, il est clair que le gouvernement Villepin souhaite généraliser ce contrat. Ne prétendait-il pas, il y a à peine quelques mois, que le CNE serait uniquement réservé aux entreprises de moins de 20 salariés ? Or qu’est-ce que le CPE, sinon une extension du CNE aux salariés de moins de 26 ans ? Et puisque le gouvernement peut exhiber une baisse statistique du chômage - laquelle, en réalité, cache une quasi-stagnation -, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Laurence Parisot, la nouvelle tête-à-claques du MEDEF, piaffe déjà d’impatience.

Le cynisme des gens tels que Villepin et Sarkozy est un puits sans fond. On se souvient qu’au lendemain de la canicule de l’été 2003, le gouvernement Raffarin avait profité de l’émotion suscitée par la mort de dizaines de milliers de personnes âgées pour supprimer un jour férié - sous couvert de « solidarité nationale ». Cette fois-ci, le gouvernement présente le CPE comme une réponse à la récente explosion de colère de la jeunesse des banlieues, dont près de 40% est sans emploi (contre 23% pour l’ensemble de la jeunesse).

Le CPE ne fera pas baisser le chômage - pas plus que le CNE ou n’importe quel autre emploi précaire. Les patrons n’embauchent que lorsqu’ils en ont besoin. Par contre, le CPE pèsera sur les conditions de travail et les salaires. Il augmentera la rentabilité de chaque heure travaillée. Et lorsque un patron voudra se débarrasser d’une partie des salariés de son entreprise, il commencera par ces travailleurs précaires. Le véritable objectif du CPE, c’est d’augmenter les marges de profits, d’accroître la rentabilité du capital au détriment des salariés.

Des contrats comme le CNE et le CPE mettent les salariés dans la quasi-impossibilité de revendiquer quoi que ce soit face à leur employeur. Les titulaires d’un CPE qui oseront se syndiquer ou faire grève seront rapidement licenciés. Celui qui ne se soumettra pas à la pression et aux caprices de sa direction courra le même risque. Ainsi, le CNE et le CPE ouvrent la porte à un renforcement considérable du harcèlement moral que subissent déjà, au quotidien, un grand nombre de salariés.

La riposte syndicale du 7 février a mobilisé des centaines de milliers de personnes dans toute la France. La lutte se développe dans les lycées, les facultés, et d’autres mobilisations nationales sont prévues. Cependant, l’expérience de ces dernières années montre que la droite n’est pas disposée à lâcher facilement. A l’époque de la « réforme » des retraites, les manifestations ont mobilisé jusqu’à 2 millions de personnes dans tout le pays, même après la trahison honteuse des dirigeants de la CFDT. Mais le gouvernement n’a pas reculé.

Malheureusement, les dirigeants syndicaux ne font rien pour clarifier la situation, bien au contraire. Dès que le CPE a été mis à l’ordre du jour du Parlement, ils ont protesté contre le fait que les syndicats n’avaient pas été « consultés ». Mais sérieusement, qui peut croire qu’une telle consultation aurait changé quoi que ce soit ? Le CPE est une offensive majeure dans la guerre que le gouvernement mène depuis plus de trois ans contre les salariés, la jeunesse et les plus démunis en général. Or, dans une guerre, on ne « consulte » pas son adversaire la veille d’une attaque massive. On le prend par surprise, au moment et au rythme les plus favorables. Et c’est exactement ce qu’a fait le gouvernement.

Les appels à la « négociation » ne valent pas mieux. Qu’y a-t-il à négocier, au juste ? De deux choses l’une : soit le mouvement d’opposition au CPE peut encore prendre de l’ampleur, et alors le mot d’ordre de retrait du CPE exclue toute négociation ; soit la mobilisation a déjà épuisé son potentiel (ce qui n’est certainement pas le cas), et le gouvernement ne négociera rien. En laissant penser que Villepin pourrait faire marche arrière à ce stade, les appels à la négociation jettent la confusion, dans l’esprit des jeunes et des salariés, sur le véritable rapport de force. Par ailleurs, ils sont compris par nos adversaires comme une manifestation de faiblesse. Or la faiblesse invite à l’agression.

En 1994, la magnifique mobilisation de la jeunesse avait forcé le gouvernement Balladur à remballer son « SMIC jeune ». Cependant, douze années ont passé. Aujourd’hui, il n’est pas sûr qu’une mobilisation semblable aboutisse au même résultat. Le développement de la crise du capitalisme, le déclin de la France sur le marché mondial et son endettement colossal signifient que, du point de vue la classe dirigeante, la destruction de nos acquis sociaux est devenue une nécessité incontournable. Telle est la raison de l’acharnement de la droite à mettre en œuvre ses contre-réformes, même lorsqu’elles jettent des millions de personnes dans la rue.

Le 7 février, alors que la CGT dominait les cortèges syndicaux, Bernard Thibault déclarait que « si le gouvernement accélère la cadence, nous accélèrerons la mobilisation. » Mais de quelle « cadence » parle-t-il ? Le gouvernement a placé une bombe dans le code du travail. Pour la désamorcer, il faut une mobilisation massive des lycéens, des étudiants et des salariés. Les « mobilisations progressives » et autres « ripostes graduées » doivent être rangées au placard. Il faut frapper un grand coup. Ainsi, la préparation d’une grève générale - de 24 heures, pour commencer - ouvrirait la perspective d’une victoire. Certes, rien ne garantit d’avance le succès d’une telle démarche. Mais quel qu’en soit le résultat immédiat, cette stratégie aurait l’avantage de favoriser la prise de conscience des salariés sur la réalité de la situation. A l’inverse, les complaintes de nos dirigeants syndicaux sur l’« absence de dialogue social » retardent cette prise de conscience.

François Hollande a déclaré qu’un gouvernement socialiste, en 2007, « reviendrait sur les dispositions du CPE. » L’expérience nous a appris qu’une fois au pouvoir, les Hollande de ce monde oublient rapidement ce type d’engagement. Si l’actuelle mobilisation n’aboutit pas, il faudra veiller à ce que ces paroles soient suivies d’effet, et ce dès l’entrée en fonction du gouvernement de gauche. Par ailleurs, il faut rejeter en bloc l’idée, avancée par Hollande, de remplacer le CPE par des « emplois jeunes » - c’est-à-dire précaires et sous-payés - dans le secteur privé, moyennant des allègements de charges et autres subventions patronales. On ne règle pas le problème du chômage en remplissant les caisses des employeurs !

Les médias capitalistes fanfaronnent et ironisent sur la prétendue « faiblesse » du mouvement d’opposition au CPE. Ils ne perdent rien pour attendre. De contre-réformes en régression sociale, la société française a accumulé, au cours de ces dernières années, une immense quantité de gaz explosif. La révolte des banlieues était un avertissement. La jeunesse et les travailleurs de France ne tolèreront pas indéfiniment que des acquis sociaux vieux de plusieurs décennies soient mis en pièce. Ce qui est à l’ordre du jour, c’est une intensification de la lutte des classes et une opposition croissante, non seulement aux contre-réformes, mais au système capitaliste en général. Il y a un revers aux souffrances et aux humiliations que ce système en faillite impose à la masse de la population : de plus en plus de gens cherchent une alternative. Dans ce contexte, le rôle des militants communistes et socialistes est d’expliquer patiemment, chiffres et faits à l’appui, que la transformation socialiste de la société est seule et unique alternative. Il n’y a pas de temps à perdre !

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