Entretien avec Samba LY, délégué CGT de Net Eclair

L es quarante salariés de la blanchisserie industrielle Net Eclair, à l’aéroport de Roissy, occupent leur entreprise depuis le 6 octobre, jour où la direction a annoncé son intention de la liquider. Elle a pour activité le nettoyage des linges d’avion. Elle est en bout de chaîne de la sous-traitance généralisée qui prévaut dans l’organisation du travail mise en place par les compagnies aériennes, et notamment le groupe Air France.


La Riposte : Avec la crise, les fermetures d’entreprises sont nombreuses, mais leur occupation par les travailleurs est très rare. Comment et dans quel but l’occupation a-t-elle été décidée par les salariés chez Net Eclair ?

Les salariés ont été révoltés par la manière brutale avec laquelle le patron a procédé : sans la moindre information préalable, du jour au lendemain, il a cessé de commander le matériel nécessaire à notre travail. Il renvoyait les clients chez eux et déclarait qu’il ne paierait plus les salaires. Il y a d’abord eu une confusion extrême. Les salariés étaient sous le choc. Puis nous nous sommes réunis en Assemblée générale. Tout le monde comprenait la gravité de la situation et le risque que le patron disparaisse avec la caisse, en nous laissant sur le carreau. L’occupation est pour nous une garantie : nous conservons les véhicules et les machines. D’ailleurs nous ne nous sommes pas trompés, car dès la première nuit d’occupation, le 6 octobre, le patron a envoyé des camions pour tenter de récupérer du matériel. Nous les avons refoulés, sans difficulté d’ailleurs : les chauffeurs des camions se sont montrés solidaires.

La direction a tenté de récupérer des documents dans les bureaux. Là encore, nous l’en avons empêchée. Avec les machines et le matériel, le patron cherche aussi à remettre la main sur sa comptabilité qu’il a jalousement cachée pendant des années. Par exemple, nous avons découvert qu’il possède en fait d’autres entreprises, dans lesquelles il investit alors qu’il n’injecte plus d’argent dans Net Eclair depuis que nous avons organisé le syndicat CGT et obtenus des acquis.

La Riposte : Vous avez en effet mené de grandes luttes dans cette entreprise, ces dernières années. Les salariés y voient-ils un lien avec la fermeture de l’entreprise ?

Bien sûr ! Il faut se rappeler d’où on vient. En 2008, la majorité des salariés de l’entreprise étaient sans-papiers ou intérimaires depuis plusieurs années, en toute illégalité, tous payés au SMIC. Nous nous sommes organisés avec l’Union Locale CGT et avons mené la première grève de l’histoire de l’entreprise. Nous avons obtenu la régularisation des travailleurs sans-papiers, un 13e mois et des augmentations de salaire. Aucun d’entre nous ne s’attendait à obtenir tout ça par une journée de grève ! En fait, le patron était terrifié et a cédé sur toute la ligne. Il a fondé son entreprise en 1959 et exploitait sans répit ses salariés depuis des décennies. Après ça, on s’est senti un peu mieux. On a fait une nouvelle grève en 2009 pour les négociations annuelles, mais le patron n’entendait pas céder aussi facilement que la première fois. Il a même frappé le délégué CGT de l’époque !

Nos conquêtes ont directement fait baisser les profits du patron. Mais on ne s’attendait cependant pas à ce qu’il liquide Net Eclair ! Ce que nous avions obtenu ne représentait qu’une augmentation globale de 6 % de nos salaires. Alors quoi ? Dès que les salariés arrachent 6 % d’augmentation, on ferme l’entreprise ? On est très en colère contre cette injustice. Surtout depuis que l’on comprend qu’il a investi l’argent de notre travail ailleurs, dans d’autres entreprises qui lui appartiennent, où il peut faire davantage de profits.

La Riposte : Quelles perspectives a cette occupation selon toi ? Avez-vous un plan de bataille ?

Le patron a saisi la justice pour demander notre évacuation. Nous avons été condamnés le 24 octobre à évacuer les lieux. Le jour même, des huissiers sont venus pour faire appliquer la décision. On les a mis dehors, mais les salariés ont eu très peur. Les camarades de l’Union Locale CGT sont intervenus et ont fait partir la police qui était venue en renfort. Pour l’instant, nous tenons bon. Mais l’occupation n’est pas une fin en soi. L’entreprise a été mise en liquidation le 25 octobre. Un mandataire a été désigné et il doit organiser la fermeture. Le temps est compté.

On ne veut pas se battre pour des indemnités de licenciement, mais pour sauver nos emplois. Dans les prochains jours, nous allons mener des actions pour que les concurrents de Net Eclair, qui lui ont pris des parts de marchés, nous embauchent tous. Avec l’ensemble de la CGT de Roissy, nous dénoncerons la sous-traitance mise en place par Air France et leur responsabilité dans cette mise en liquidation. Nous allons leur mettre la pression pour qu’ils demandent à leurs sous-traitants de maintenir nos emplois. Il faut savoir qu’Air France a cessé de donner du travail à Net Eclair et fait nettoyer son linge par des centres qui exploitent des travailleurs handicapés. Ces centres détiennent maintenant la majorité du marché grâce à des aides publiques massives qui leur permettent de casser les prix. Leur gestion de l’économie est d’un cynisme écœurant !

On est très motivés, mais aussi très inquiets. Si nous ne sauvons pas nos emplois, ceux d’entre nous qui ont obtenu des autorisations de travail en 2008 les perdront et seront expulsables. Beaucoup ne savent ni lire ni écrire et craignent de ne pas retrouver du travail. On a besoin de la solidarité de tous, sur l’aéroport et au-delà.


La Riposte apporte tout son soutien à la lutte des travailleurs de Net Eclair. La situation décrite par Samba est éloquente : les capitalistes ne s’intéressent qu’à leurs profits. Si une entreprise n’est plus assez rentable pour eux, ils la ferment. A contrario, ils n’investissent que lorsqu’ils pensent pouvoir en tirer le profit maximum. Les plus grandes entreprises, quant à elles, externalisent des pans entiers de l’activité pour aggraver l’exploitation des salariés, en les mettant en concurrence et en changeant de prestataire lorsque les salariés deviennent « trop chers » pour eux. Tant que les entreprises demeureront entre les mains des capitalistes, il n’en sera pas autrement.
Pour la nationalisation d’Air France et de ses sous-traitants, sous le contrôle des salariés !

Les salariés de Net Eclair ont besoin de votre solidarité et de votre soutien financier. Prenez contact avec l’UL CGT Roissy :
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Tél. : 01 48 62 10 28

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