Les salariés de l’usine Sambre et Meuse à Feignies, près de Maubeuge, occupent cette fonderie depuis le milieu du mois de mars 2015, lorsque sa liquidation judiciaire a été prononcée. Une longue lutte s’est alors engagée, une lutte pour trouver un repreneur « fiable », pour le maintien de l’emploi et de l’activité industrielle.

Des interviews vidéo de salariés de Sambre et Meuse ont été réalisées et sont disponibles sur internet [1]. Ils y décrivent leurs conditions de travail épuisantes, la pollution, les incendies dans l’usine, le sous-investissement chronique, les salaires payés en retard, le mépris et les promesses creuses des actionnaires. C’est un témoignage édifiant sur la réalité du travail non seulement à Sambre et Meuse, mais sans doute dans bien d’autres entreprises industrielles de ce pays, les mêmes causes – la soif de profits – produisant les mêmes effets.

Le 4 juillet dernier, lors du congrès du Parti de Gauche, auquel Révolution était invité, le représentant syndical CGT de Sambre et Meuse, Aurélien Motte, a prononcé un discours bref, mais très apprécié des délégués. En voici de larges extraits :

« Je suis venu partager mon expérience de Sambre et Meuse, ma boite, créée en 1911 et qui se trouve à Feignies, dans le Nord. C’est une petite fonderie d’acier dont le nom est mondialement connu. Les contrats, c’était le Stade de France, les montants de cabine TGV, les bogies SNCF, le tunnel sous la manche, le métro de New York, le métro de Londres, le métro de Mexico, l’Etat de Tanzanie, les pièces antisismiques de l’arche de la Défense, des plaques d’égout…

« Une belle société. 3000 personnes en 1984, puis, après 17 plans de licenciements, 260 personnes en 2016. Une belle société – eh bien, plus maintenant, parce que depuis le 9 mars 2015, après 104 ans d’activité, le rideau de mon usine s’est baissé. Mais depuis 112 jours nous occupons notre usine, seuls, abandonnés par mon Union Locale CGT, par mon Union Départementale CGT, abandonnés par ces gens qui préfèrent copiner avec les politiques, avec les cumulards de mandats, qui eux aussi nous ont abandonnés.

« L’espoir était revenu avec l’entrée en piste de deux repreneurs. J’ai négocié moi-même le plan social pour mes camarades pendant deux semaines avec ces deux repreneurs. Un seul sortait du lot, avec un projet industriel fiable et une reprise partielle de l’effectif. Mais le tribunal de commerce en a décidé autrement. Il souhaite vendre notre usine aux enchères et prend comme prétexte que les repreneurs ne mettaient pas assez d’argent. Vive le capitalisme !

« Ils souhaitent vendre nos machines ? Très bien. Qui dépolluera le site de 32 hectares classé Seveso ? Ça coûtera deux fois, trois fois plus cher. C’est n’importe quoi. Oui, Sambre et Meuse : une histoire politique. On ne veut pas médiatiser notre lutte, à grand coup de menaces sur moi-même et mes collègues. Notre lutte dérange ? C’est normal : on a un système de corrompus. Aujourd’hui, sur 260 salariés de Sambre et Meuse, 155 syndiqués CGT. Eh oui, ça dérange !

« Camarades, merci de m’avoir écouté. Vive la lutte des classes ! Vive la résistance ! Et vive la sociale ! »

L’occupation de l’usine est prévue jusqu’au 29 septembre, date de sa vente aux enchères, que les salariés espèrent voir aboutir. En attendant, les salariés – tous licenciés – ont déposé des dossiers aux prud’hommes, pour y obtenir une meilleure indemnisation, après des années d’exploitation brutale. Les motifs ne manquent pas : « non-respect de l’accord des 35 heures » – ou encore cette pause de 20 minutes qui devait être rémunérée, mais ne l’a jamais été. « Par tête, ça représente entre 2000 et 3000 euros », explique Aurélien Motte.

Le long déclin de l’industrie française, qui a perdu 2 millions d’emplois en 30 ans, est jalonné de semblables gâchis. Lorsque les travailleurs luttent pour sauver leur usine, la gauche et le mouvement syndical devraient défendre la perspective de sa nationalisation, pour l’arracher à la logique infernale du marché. Sambre et Meuse est un fleuron industriel. Sa nationalisation serait parfaitement viable sur le plan économique. Politiquement, elle aurait un impact positif sur l’ensemble de la classe ouvrière, qui est partout confrontée à des fermetures, des délocalisations et des plans sociaux.


[1] On trouve de nombreuses vidéos sur cette lutte en tapant « Sambre et Meuse » dans le moteur de recherche de dailymotion.com/lavoixdunord.