Le 5 juillet dernier, la direction du groupe pharmaceutique Sanofi a annoncé des suppressions d’emplois dans les centres de recherche de Toulouse et Montpellier. Depuis, les salariés sont mobilisés et font des actions tous les jeudis : « Les jeudis de la colère ». Entretien avec Gérard Falquet et Jacques Monteau, délégués CGT chez Sanofi à Toulouse.

La Riposte : Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est Sanofi et les raisons de ces suppressions d’emplois ?

Sanofi est la deuxième entreprise la plus importante du CAC 40, derrière Total, avec un chiffre d’affaires de 33,4 milliards d’euros. Ce groupe compte 28 000 salariés en France, soit un quart des effectifs mondiaux. 8,8 milliards d’euros de bénéfice, sur 34 milliards de chiffres d’affaires, ont été réalisés en 2011, et 9,3 milliards en 2010. Plus de bénéfice que Total : c’est énorme ! On ne connaît pas exactement le bénéfice réalisé en France, car ils s’arrangent entre sociétés du groupe, mais Sanofi réalise moins de 10 % de son chiffre d’affaires dans l’hexagone.

Depuis 3 ans, il n’y a plus d’embauches dans le secteur de la recherche. À Toulouse, il y a 640 salariés, dont 614 sont en CDI et le reste en CDD. Les salariés ont un très haut niveau de qualification sur ce site. Montpellier compte entre 1000 et 1100 salariés, dont 200 chercheurs qui seraient touchés par ces suppressions d’emplois.

Pendant des années, Sanofi s’est gavé sur le dos de la Sécu. À quoi il faut ajouter 130 millions d’euros de crédit impôt-recherche que le groupe encaisse de la part de l’État, chaque année.

Sanofi recherche de nouvelles molécules et finit par produire les médicaments avec son secteur développement. Mais ce qui intéresse les patrons de l’industrie pharmaceutique, c’est de développer de nouvelles molécules sans prendre le moindre risque de mettre des sous dans leurs recherches, parce qu’ils estiment que ça leur coute trop cher. Ils veulent faire 2 milliards d’économies en France sur 3 ans.

LR : Sanofi exige des sacrifices, juste pour réaliser plus de bénéfices. Mais est-ce qu’il n’y a pas la perspective de vendre moins de médicaments ?

Oui, mais c’est aussi que les médicaments passent dans le domaine des génériques à un moment donné, ce qui fait qu’ils sont vendus moins cher. Les patrons considèrent qu’ils ne font pas assez de profits sur les médicaments génériques – et la concurrence est plus sévère avec des fabricants de génériques qui fabriquent en Inde, par exemple.

Sanofi rachète des sociétés concurrentes qui font du développement, comme Genzyme, entreprise de biotechnologies aux États-Unis (10 000 employés). Ils l’ont rachetée pour 20 milliards de dollars.

Au fond, ils ne veulent pas financer de recherche privée dans l’industrie pharmaceutique, parce que le risque de pertes existe. Ils voudraient que le secteur public soit en mesure d’assurer toute la recherche. Sanofi ne ferait alors que le développement, ce qui est très lucratif.

Dans sa course aux profits, Sanofi a même racheté ses propres actions pour en faire monter la valeur boursière. Ils ont reversé 35 % des bénéfices aux actionnaires en 2011 et veulent en reverser 50 % en 2015. On ne sait pas ce que sera le chiffre d’affaires. Toute la pression repose sur les salariés. Tout va servir à atteindre cet objectif de rendement. Il faut alimenter les actionnaires !

LR : Comment est venue cette idée des « jeudis de la colère » ?

C’est parti des salariés. On a pris conscience qu’il fallait immédiatement réagir, ne pas attendre que le couperet soit entièrement tombé sur notre tête. Après l’annonce des suppressions d’emplois le 5 juillet, il fallait essayer, comme nos camarades de Montpellier, de maintenir la mobilisation la plus forte possible. En plein été, c’est la plus mauvaise période pour cela, mais malgré tout, on a fait de superbes actions.

On mène des actions tous les jeudis. On a commencé la première fois par une marche sur l’Oncopôle. Puis on a fait une petite manif en ville qui s’est terminée place du Capitole, où on a remis nos analyses au maire de Toulouse. On a aussi organisé une initiative sur Toulouse-plage.

Pour ces salariés, la lutte, c’est complètement nouveau. Il n’y a pas de traditions de lutte au niveau de la recherche. Jusqu’à présent, la recherche était financée et les salaires étaient satisfaisants. Avec l’annonce du désengagement de Sanofi de la recherche, le ciel leur est tombé sur la tête.

LR : Comment envisagez-vous la suite de votre lutte ?

Nous fonctionnons en intersyndicale pour maintenir l’unité des salariés dans la lutte. On va rentrer dans une nouvelle phase, pour étendre la lutte. On va organiser des manifestations qui mobilisent d’autres secteurs professionnels touchés par les licenciements, et pas seulement dans l’industrie pharmaceutique.

On sait qu’on a en face de nous une machine à broyer. La syndicalisation est très faible, il faudra donc être vigilant pour maintenir l’unité des salariés et de l’intersyndicale dès que la direction de Sanofi entamera ses manœuvres de division du personnel (départs en retraite anticipés, mutations, etc.).

Nous voulons prendre contact avec d’autres secteurs comme les hôpitaux, les universitaires, la communauté scientifique, mais aussi d’autres industries pharmaceutiques comme Fabre.

LR : le ministre Montebourg a dit qu’il s’opposerait aux licenciements, qu’il n’était pas question de s’engager dans l’accompagnement de la fermeture, mais aussi que tout conflit devait se résoudre par un accord entre les syndicats et les patrons. Qu’en pensez-vous ? Et que pensez-vous de ce que réclame La Riposte, à savoir la nationalisation de Sanofi ?

Montebourg a été très influencé par les patrons, qui lui ont assuré que Sanofi assumerait tous les frais de restructuration. Ce qui a été évoqué, c’est toutes les possibilités comme la cessation anticipée d’activité, les reclassements, les départs en préretraite...

Oui, ça serait logique que le gouvernement nationalise Sanofi. Surtout quand on pense que les actionnaires se sont fait énormément d’argent sur le public, notamment avec les vaccins contre la grippe A de Bachelot.

On est sur le programme du CNR, on est pour une maîtrise de l’industrie pharmaceutique – et sa nationalisation ne nous poserait aucun problème, bien au contraire.

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