Le 1er mars 2022, à 6 heures du matin, des CRS ont expulsé la centaine de personnes qui occupaient La Clef, un cinéma historique du Quartier latin, dans le 5e arrondissement. Cette occupation visait à s’opposer au projet de rachat de ce cinéma par le groupe SOS.

Le soir même, un rassemblement de solidarité était organisé sur le parvis de l’Institut du monde arabe. Des militants de Révolution étaient présents. Ils y ont rencontré et interviewé Lawrens, une militante qui a participé à l’occupation du cinéma associatif.


Peux-tu nous présenter brièvement La Clef ?

La Clef est un cinéma indépendant né en 1973, véritable enfant de Mai 68. Il accueillait des festivals marginalisés, assumait une programmation engagée en diffusant des films qui ne passaient nulle part ailleurs, et mettait ses salles à la disposition des sociétés de production les plus modestes, à des prix abordables.

La Clef a toujours résisté aux injonctions du marché de l’industrie culturelle. Sa spécificité était notamment de mettre en valeur le cinéma africain et latino-américain. Mais La Clef, c’est surtout, aujourd’hui, dans le cadre de cette lutte, un formidable élan de solidarité en faveur d’une vision partagée de ce que devrait être la culture.

C’est-à-dire ?

En avril 2018, la Caisse d’Epargne Île-de-France, qui est propriétaire du bâtiment depuis 1981, a décidé de mettre en vente ses murs. Pendant des mois, on est resté sans nouvelles de l’avenir du lieu, qui participait tant à l’identité du quartier. Puis, en septembre 2019, à l’initiative d’un collectif de spectateurs dénommé « Laissez-nous La Clef », ce cinéma, sans vie depuis des mois, s’est vu investir par une foule de personnes qui l’ont littéralement ressuscité.

On parle de plus de 400 bénévoles qui se sont organisés pour qu’il y ait toujours la présence de personnes sur place, avec un roulement 24 heures sur 24, de jour comme de nuit. On comptait au moins 30 programmateurs et une vingtaine de personnes qui assuraient de façon permanente le fonctionnement du cinéma. Cette occupation a suscité un réel engouement auprès du public ! Chaque soir, un film différent, rare et inattendu, était diffusé. L’entrée était à prix libre et les salles souvent combles. On s’est engagé à conserver une programmation exigeante pour que La Clef retrouve son label « Art et Essai ».

De cette mobilisation inédite est né le collectif « Home Cinéma », avec des pôles gestion administrative, communication, programmation, maintenance, trésorerie – et, depuis un an, un pôle « expulsion imminente ».

Ce pôle « expulsion imminente » est né suite à la volonté du groupe SOS de racheter le cinéma la Clef ?

Oui. Ils ont manœuvré en douce – avec le Conseil social et économique de la Caisse d’Epargne Île-de-France – pour racheter le bâtiment pour près de 4 millions d’euros. Le groupe SOS est une vaste blague : c’est un mastodonte de l’« Economie Sociale et Solidaire » qui réalise près d’un milliard d’euros de chiffre d’affaires et fonctionne quasi-essentiellement grâce à des subventions publiques. Son dirigeant est Marc Borello, un pilier de La République en Marche : il est délégué général adjoint du parti.

Le groupe SOS nous parlait d’« entrepreneuriat culturel », de « start-up culturelle »… Ils étaient clairement dans une marchandisation de la culture, à l’opposé de tout ce que nous avions mis en place depuis plus de deux ans. C’est pour cela qu’on a décidé de rebaptiser le cinéma « La Clef Revival » : pour nous, la culture est avant tout une chose vivante, et pour qu’elle le reste, il faut que le cinéma sorte de l’enclave marchande d’aujourd’hui !

Où en est la lutte à ce jour ?

Ces dernières semaines, après l’avis d’autorisation d’expulsion de la Préfecture, de plus en plus de personnes sont venues nous apporter leur soutien, et même des personnalités médiatiques telles que Arthur Harari, Adèle Haenel, Agnès Jaoui ou Damien Bonnard. On s’est finalement fait expulser le 1er mars dernier. Mais le matin même de l’expulsion, on apprenait que le groupe SOS abandonnait son projet de rachat de l’immeuble, sûrement de peur de ternir son image de belle entreprise de l’« Economie Sociale et Solidaire » (rires). On veut revenir occuper le lieu. Aujourd’hui, on cherche surtout des mécènes pour trouver un compromis avec la Caisse d’Epargne, pour faire de ce lieu un bien commun, et du cinéma La Clef ce qu’il a toujours été : un lieu où il est possible de voir des films originaux, que le marché actuel de la culture refusera toujours de diffuser.