Politique française

E n février, le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, a revu à la baisse les perspectives de croissance du PIB français en 2024. Pendant des semaines, le gouvernement n’avait pas touché aux prévisions « volontaristes » de Bercy (+1,4 %), pourtant nettement supérieures aux chiffres avancés par les grands organismes internationaux.

Il faut reconnaître qu’entre un remaniement chaotique et une révolte paysanne, les semaines qui ont précédé cette révision officielle étaient peu propices aux mauvaises nouvelles.

Souhaitant maintenir l’illusion d’une amélioration, Bruno Le Maire a visé plus haut que l’année dernière (+0,9 %) en anticipant 1 % de croissance ! Moins « optimiste », la Commission européenne table sur 0,9 %.

Redoutant le verdict des agences de notation financière, le gouvernement doit désormais rectifier le budget de l’Etat pour qu’il corresponde aux nouvelles perspectives économiques. Pour limiter le déficit, Le Maire a annoncé un coup de rabot de 10 milliards d’euros dans les dépenses. Il y a peu, Bruno Le Maire évitait de justesse la dégradation de la note française en promettant que le gouvernement tiendrait « quoi qu’il en coûte » ses 4,4 % de déficit. Mais même en atteignant cet objectif, l’Etat français ferait figure de « mauvais élève » de la zone euro.

Des parlementaires macronistes se sont permis de remettre en cause la promesse historique du Président : « pas de hausse d’impôts ». Quelques téméraires ont même suggéré de recourir à la « solidarité nationale » en « taxant les plus aisés ». Le Maire a rapidement balayé ces hypothèses en les qualifiant de « solutions de facilité ». La solution courageuse et responsable, c’est évidemment de faire payer les plus pauvres. Par exemple, le budget de l’Education nationale sera réduit de 700 millions d’euros. L’exécutif puisera aussi dans « l’aide publique au développement » destinée aux pays pauvres, qui sera amputée de 800 millions d’euros. Il est vrai que les pauvres des pays en question ne voyaient jamais la couleur de cette « aide », de toute façon.

Sans un vote des députés, le gouvernement ne peut pas aller au-delà des 10 milliards de coupes. Si la conjoncture économique continue de se dégrader, il devra passer par un nouveau projet de loi de finances (PLF) rectificative. Lors de l’adoption du dernier PLF, en décembre, Elisabeth Borne avait dû recourir au 49.3. Le premier 49.3 de Gabriel Attal approche à grands pas !

D epuis décembre dernier, Montpellier est la plus grande ville d’Europe dont les transports publics sont gratuits. « L’écologie et l’égalité, ça n’a pas de prix », clame la mairie « socialiste » dans une grande campagne d’affichage.

La réalité est moins idyllique. Le 17 décembre, la section CGT de la TaM (Transports de Montpellier) déposait un préavis de grève. Le délégué syndical, Réda Berrada, dénonçait des salaires inférieurs à la moyenne des grandes villes, mais aussi la détérioration des conditions de travail et d’accueil des usagers :

« Les trams sont bondés, les bus sont bondés. Avec la mise en place de la gratuité des transports, l’offre et la demande ne sont pas équilibrées. On laisse des clients sur les quais. On déshabille Paul pour habiller Jacques : on prend des conducteurs des bus pour les mettre aux tramways. Avec les travaux partout dans la ville, les conducteurs du bus sont tout le temps en retard. On n’arrive même pas à prendre notre pause au terminus ».

Malgré l’augmentation prévue de la fréquentation du tram sur un réseau déjà surchargé, la mairie ne compte pas embaucher de nouveaux conducteurs. Pour faire des économies, elle mise même sur l’intensification de l’exploitation des travailleurs de la TaM.

C’est qu’il faut bien « compenser » le manque à gagner de la société privée exploitante. L’adjointe au maire, Julie Frêche, promet de la rembourser « à l’euro près ». Il faut donc trouver des moyens de remplir les caisses – par exemple en multipliant les contrôles. En effet, les transports publics ne sont pas gratuits pour tout le monde. Faute d’un titre de transport, ceux qui n’habitent pas Montpellier ou ne peuvent pas présenter un justificatif de domicile écoperont d’une amende de 72 euros – majorée à 122 euros si elle n’est pas payée immédiatement.

Le bilan n’est pas meilleur au niveau écologique. Le réseau de transport public dessert surtout le centre, mais la plupart des automobilistes viennent travailler en ville depuis la périphérie. Rares sont ceux qui pourront renoncer à prendre leur voiture, surtout pour se retrouver dans des trams et des bus bondés (et en retard). Seul un plan d’investissement comprenant l’embauche d’un grand nombre de conducteurs et la construction de nouvelles lignes ferait des transports publics une véritable alternative à la voiture – à Montpellier comme ailleurs.

L e 30 janvier dernier, le Premier ministre Gabriel Attal annonçait la généralisation du Service National Universel (SNU) pour la rentrée 2026. Jusqu’alors facultatif, il deviendrait obligatoire pour tous les lycéens.

Dans les cartons depuis 2018, cette généralisation vient de connaître une première étape, ce mois-ci : le SNU peut désormais constituer une alternative au stage obligatoire en classe de seconde.

A ce jour, les jeunes de 15 à 17 ans peuvent volontairement participer à ce dispositif composé de deux étapes : d’abord un séjour de douze jours, sobrement intitulé « séjour de cohésion », censé répondre à quatre objectifs : « faire vivre les valeurs et principes républicains, renforcer la cohésion nationale, développer une culture de l’engagement, accompagner l’insertion sociale et professionnelle. »

Le deuxième temps, une « mission d’intérêt général », est un dispositif de volontariat indemnisé dans une association, une entreprise, l’armée, la police ou un autre service de l’Etat.

Chaque « séjour de cohésion » réunit une centaine de jeunes sous la surveillance de militaires réservistes. Au menu (entre autres) : lever de drapeau au petit matin et chant de la Marseillaise en uniforme – le tout copieusement arrosé de « principes » nationalistes, sous couvert de « républicanisme ».

Dans les faits, depuis les premières expérimentations du SNU, des encadrants ont été accusés de harcèlement sexuel et de racisme à l’encontre de mineurs ; des dizaines de jeunes au « garde à vous » ont fait une insolation dans différentes villes ; une centaine d’autres ont reçu une punition collective à Strasbourg. C’est donc cela qu’Attal veut généraliser ?

Le SNU sera financé sur le budget de l’Education nationale, à hauteur de 160 millions d’euros en 2024. Or dans le même temps, le budget de ce ministère doit subir une coupe franche de près de 700 millions d’euros dans le cadre d’un décret annulant 10 milliards de dépenses publiques !

C’est une véritable provocation. Les lycéens ont besoin d’établissements rénovés, d’un matériel qui fonctionne, des personnels formés et en nombre suffisant. Macron, Attal et Belloubet font tout le contraire. Pour conquérir les moyens humains et financiers d’une éducation publique de qualité, il faudra renverser ce gouvernement – et le système qu’il défend.

La France et l’Europe vivent l’une des plus importantes révoltes agricoles des dernières décennies. Le climat de tension dans lequel s’est ouvert le Salon de l’Agriculture, fin février, a souligné que les multiples annonces de Gabriel Attal n’ont pas répondu aux attentes et aux souffrances des couches les plus pauvres de la paysannerie.

La masse des petits agriculteurs est écrasée par l’agro-industrie, la grande distribution et les banques. Elle est exposée à la concurrence internationale et aux aléas du changement climatique, lésée par un système de subventions qui favorise les plus gros exploitants, confrontée à une double inflation : celle des frais de production et celle des biens de consommation courante. Pour ne rien arranger, l’entrée massive de denrées ukrainiennes sur les marchés européens a fait chuter divers prix agricoles.

Le gouvernement des riches

Le 1er février, Gabriel Attal déclarait : « Notre exception agricole française, ce n’est pas une question de budget, mais de fierté et d’identité ». C’est une rhétorique bien connue des travailleurs de la Fonction publique – et qui signifie : « débrouillez-vous ! ». La « fierté » et « l’identité » remplacent les solutions concrètes. Ceci ne pouvait pas convaincre les nombreux agriculteurs qui vivent sous le seuil de pauvreté – ni ceux qui vivent à peine au-dessus, malgré des 50 à 70 heures de travail hebdomadaires.

Ce gouvernement est organiquement incapable de résoudre la crise agricole. Et pour cause : Macron et sa clique travaillent pour le compte des gros capitalistes, des banques, de la grande distribution et des géants de l’agro-alimentaire, c’est-à-dire pour ceux-là mêmes qui écrasent les petits agriculteurs. Parmi les mesures annoncées par le gouvernement figurent la suspension du plan « Ecophyto » (censé réduire l’utilisation des pesticides) et l’abrogation des « chartes de voisinage » (qui limitent les épandages à proximité des habitations et des écoles). Ces deux mesures sont conformes aux intérêts des plus gros producteurs, mais ne règleront rien aux problèmes des plus petits.

Le RN, bien sûr, en rajoute dans la rhétorique nationaliste. Dans une lettre ouverte aux agriculteurs, Jordan Bardella propose « une grande loi “Mangeons français !” de patriotisme économique », qui fixerait l’objectif d’atteindre 80 % de produits agricoles français dans les cantines scolaires. Autrement dit, le dirigeant du RN évite soigneusement de pointer la responsabilité des grands capitalistes qui dominent ce secteur. C’est que le RN, comme le gouvernement, roule pour la classe dirigeante.

En ce qui concerne les dirigeants de la gauche réformiste, FI en tête, ils dénoncent le rôle des gros bonnets de l’agro-industrie et de la grande distribution, dont les marges ont nettement augmenté pendant que les petits agriculteurs s’enfonçaient dans la misère. Mais pour le reste, les dirigeants réformistes placent tous leurs espoirs dans des mesures telles que les « prix planchers » payés aux agriculteurs par l’agro-industrie et la grande distribution. Problème (parmi d’autres) : dans une économie de marché ouverte aux quatre vents de la production mondiale, ces « prix planchers » pousseront les gros acteurs à se tourner vers la concurrence internationale. Au passage, le caractère illusoire de cette mesure est aussi démontré par le fait que Macron lui-même s’est « engagé » à la mettre en œuvre !

Agriculture et révolution

Le révolutionnaire Léon Trotsky soulignait qu’« on ne peut pas aider les paysans sans porter atteinte aux intérêts du grand capital ». C’est le fond du problème. La crise agricole ne peut être résolue que sur la base d’un programme d’expropriation et de nationalisation – sous le contrôle démocratique des travailleurs – des banques, de la grande distribution et des géants de l’agro-alimentaire. Or ceci, à son tour, suppose un gouvernement ouvrier, un gouvernement des travailleurs. Ce dernier garantirait aux petits paysans des conditions de crédit, de production et de débouchés leur permettant de vivre dignement de leur travail. Dans le même temps, un gouvernement ouvrier donnerait aux petits exploitants tous les moyens de se regrouper en coopératives agricoles. Ce serait une étape dans la généralisation de l’agriculture collectivisée, qui démontrera sa supériorité sur la petite production privée.

Tel est le programme et la perspective que défendent les sections de la Tendance Marxiste Internationale en Allemagne, en Pologne, en Italie, aux Pays-Bas, en Espagne et en Belgique, où des mobilisations de paysans ont éclaté. Les petits agriculteurs ne peuvent pas s’en sortir seuls. Ils doivent s’allier aux salariés des villes et des campagnes. Le problème, c’est que les dirigeants officiels de la classe ouvrière s’arrêtent, pétrifiés, devant la grande propriété capitaliste, qu’ils n’osent pas toucher.

La lutte des paysans pauvres est donc indissociable, au fond, de la lutte pour doter la classe ouvrière d’une direction déterminée à en finir avec le système capitaliste. Dans l’immédiat, des millions de travailleurs ont pris note des méthodes combatives des paysans, qui ont immédiatement jeté le gouvernement Macron sur la défensive. Cette leçon ne sera pas perdue pour tout le monde !

L e 11 février dernier, Gérald Darmanin annonçait vouloir supprimer le droit du sol à Mayotte. Depuis, plus de 300 migrants ont été transférés en métropole.

Ces attaques contre les migrants sont des manœuvres visant à détourner l’attention des vrais responsables de la crise sociale et économique à Mayotte.

Pauvreté extrême

Situé au large de Madagascar, Mayotte est le département le plus pauvre de France. D’après l’Insee, 77 % de sa population vit sous le seuil de pauvreté. En 2022, 70 % des habitants de 15 à 64 ans étaient privés d’emploi – en hausse de 4 points depuis 2019.

Toujours en 2019, donc avant la poussée inflationniste, le panier de courses moyen était 73 % plus cher à Mayotte qu’en métropole. Le mal-logement est endémique. 40 % des résidences principales sont des fabrications de fortune. L’année dernière, une crise de l’eau d’une ampleur inédite frappait l’île : l’eau courante était coupée pendant plusieurs jours, alors qu’un tiers des foyers n’y avait déjà pas accès. 

Manœuvres racistes

C’est cette situation qui nourrit la colère et l’exaspération des habitants de Mayotte. En réponse, la classe dirigeante française, les médias et les élites mahoraises accusent les migrants d’être la source de tous les problèmes. Le pouvoir attise le racisme et favorise l’émergence de collectifs aux revendications xénophobes, comme « Les forces vives de Mayotte ». Cette organisation réclame l’instauration d’un état d’urgence sécuritaire, le démantèlement des camps de migrants et leur expulsion systématique. Depuis janvier, ses membres organisent des blocages d’axes routiers pour appuyer leurs revendications réactionnaires.

Le gouvernement français surfe sur cette vague xénophobe – qu’il a lui-même créée – afin d’amplifier les sentiments racistes. En juin 2023, Gérald Darmanin lançait l’opération « Wambushu » (« reprise en main ») et envoyait 1800 policiers et gendarmes pour traquer les migrants et « sécuriser » les bidonvilles. Une vague de violence inouïe frappait Mayotte.

Fin février, Marie Guévenoux, la ministre des Outre-mer, annonçait un « Wambushu 2 » d’ici le mois d’avril. Cette nouvelle opération provoquera fatalement une escalade de la violence contre les migrants, dont beaucoup sont originaires des Comores et d’autres pays d’Afrique de l’Est.

Les travailleurs mahorais ne doivent pas se tromper. Les migrants ne sont pas leurs ennemis. Les vrais responsables de la situation désastreuse, à Mayotte, sont les capitalistes et les impérialistes français, qui ne peuvent qu’aggraver la crise économique et sociale. C’est eux qu’il faut expulser, c’est-à-dire exproprier !

Mardi 12 mars, une centaine d’étudiants ont occupé un amphithéâtre de Sciences Po Paris pour protester contre le massacre en cours à Gaza. C’était intolérable pour le gouvernement et la presse bourgeoise, qui sont immédiatement passés à l’offensive à coup de calomnies et de menaces !

Une avalanche de propagande calomnieuse

D’après la presse bourgeoise, une étudiante pro-israélienne aurait été empêchée d’accéder à l’amphithéâtre occupé, sur fond de « cris antisémites ». Problème, le témoignage de cette étudiante, publié dans Le Parisien, est légèrement différent : on lui a permis d’entrer, mais elle aurait dû affronter des regards hostiles et, plutôt que des cris antisémites, elle aurait entendu quelqu’un lui dire « on te connaît ». Ce qui n’est pas surprenant : l’étudiante en question avait déjà été signalée à l’administration de Sciences Po pour avoir photographié à leur insu des militants pro-palestiniens pour les dénoncer ensuite sur les réseaux sociaux.

Mais, pour les propagandistes bourgeois, les faits sont une question secondaire. Cette anecdote a été déformée et amplifiée pour servir de point de départ à une véritable avalanche de propagande calomnieuse contre les organisations de gauche, les musulmans et les étrangers. « Des étudiants ont été empêchés de rentrer au motif qu’ils étaient juifs », a affirmé Le Point, sans l’ombre d’une preuve. Emmanuel Macron a dénoncé un « début de séparatisme ». Gérard Larcher, président du Sénat, a expliqué sans peur du ridicule que Sciences Po Paris était devenu « un bunker islamo-gauchiste ». Sur CNews, l’essayiste Chloé Morin n’y est pas allée par quatre chemins : pour elle, « il y a un problème à Sciences Po : la moitié des étudiants sont étrangers ». Pour être sûr que les choses soient claires, le Journal du Dimanche précise que nombre des étrangers en question viennent « des pays arabes »

Défendre les droits démocratiques !

Sur la base de ces affabulations racistes, Gabriel Attal a réclamé des « sanctions extrêmement fermes » contre les organisateurs de ce rassemblement. Et un rassemblement prévu jeudi 14 mars devant Sciences Po, intitulé « Stop à la répression de la solidarité avec la Palestine dans les universités », a ainsi été interdit par la préfecture de police de Paris.

Cette situation se reproduit régulièrement depuis le 7 octobre. Toute solidarité avec la Palestine est taxée d’antisémitisme ou de complicité avec le terrorisme. Et la répression s’abat sur tous ceux qui protestent contre le massacre des Palestiniens. Le mouvement ouvrier ne doit pas rester sans réagir face à cette violation de notre droit à affirmer notre solidarité avec la Palestine. Seule une mobilisation de masse peut enrayer cette vague répressive !

Dans le précédent numéro de Révolution, nous écrivions : « le nouveau Premier ministre poursuivra la politique de contre-réformes drastiques dont la bourgeoisie française a besoin, dans un contexte de stagnation économique, d’inflation persistante et de hausse du chômage. En conséquence, sa prétendue “popularité” ne passera pas l’hiver. » Depuis, c’est la dégringolade. Selon une enquête Ifop, 52 % des Français se disaient mécontents de Gabriel Attal à la mi-février, soit 6 % de plus qu’au lendemain de sa nomination, mi-janvier. Tous les autres sondages confirment cette tendance, qui se poursuivra.

Les mauvaises nouvelles et les mauvais coups s’accumulent. Le gouvernement table désormais sur 1 % de croissance du PIB français en 2024 – un chiffre qui pourrait encore être révisé à la baisse. En conséquence, l’Insee prévoit que le chômage, en hausse depuis le premier trimestre 2023, continuera d’augmenter en 2024. Et c’est le moment choisi par le Premier ministre pour annoncer que la durée d’indemnisation des chômeurs « peut encore » être réduite et que le gouvernement « peut aussi accentuer la dégressivité des allocations ». [1]

Il s’agit d’« inciter toujours plus à la reprise du travail, sans tabou », expliquait-il lors de sa déclaration de politique générale. « Sans tabou » signifie : quitte à plonger dans la misère des centaines de milliers de personnes supplémentaires. Il faut bien cela pour en obliger d’autres à accepter des emplois archi-précaires et payés au lance-pierre.

Dans le même temps, sous la pression de la conjoncture économique, Bruno Le Maire a décrété 10 milliards d’euros de coupes budgétaires, principalement sous la forme de suppressions de postes dans la Fonction publique, dont 8 à 11 000 dans l’Education nationale – cette « mère des batailles » disait pourtant Gabriel Attal. On le voit : la seule « bataille » que mène ce gouvernement, c’est celle visant à transférer tout le poids de la crise sur le dos des travailleurs et des classes moyennes.

Angoisses européennes

Dans ce contexte, Macron considère les élections européennes de juin prochain avec une profonde et légitime inquiétude. Les sondages donnent son parti très loin derrière le RN, qui profite à la fois de l’impopularité du pouvoir et du fiasco de la NUPES. Si le résultat des élections confirme les projections actuelles, le gouvernement fera un pas de plus vers l’abîme – dans lequel LR et le RN pourraient se décider à le pousser via une motion de censure.

A la recherche d’un axe de campagne percutant et disruptif, le chef de l’Etat semble miser sur l’idée suivante : son parti est l’avant-garde mondiale de la lutte contre Vladimir Poutine, c’est-à-dire l’avant-garde mondiale du soutien au gouvernement réactionnaire et corrompu de Volodymyr Zelensky.

En déclarant « ne plus exclure » l’envoi de soldats français sur la ligne de front, en Ukraine, Macron-Jupiter a réussi à faire l’unanimité contre lui dans les chancelleries occidentales. Celles-ci sont moins préoccupées par les performances électorales des candidats macronistes, en juin prochain, que par les voies et moyens d’abandonner l’Ukraine face à une armée russe dont la supériorité semble irréversible et la victoire garantie, désormais.

Par ailleurs, il est permis de douter que le parti de Macron puisse remonter la pente, ces prochains mois, à coup de déclarations fantasques « n’excluant pas » ce qui, de toute évidence, est absolument exclu. Mais en même temps, il faut bien reconnaître que les macronistes sont à court d’options. Ils ne peuvent pas faire campagne sur leur catastrophique bilan économique et social. Ils ne peuvent même plus jouer leur numéro hypocrite contre le racisme du RN, car ils ont eux-mêmes voté le programme xénophobe de Marine Le Pen à l’Assemblée nationale, en décembre dernier. Il va sans dire qu’ils ne peuvent pas faire semblant de s’opposer au génocide des Gazaouis, puisqu’ils soutiennent « inconditionnellement » le gouvernement criminel de Netanyahou et répriment le mouvement de solidarité avec le peuple palestinien, en France. Il ne leur reste plus qu’une carte à jouer : « A bas Poutine ! Vive Zelensky ! » – et advienne que pourra, c’est-à-dire une cuisante défaite, probablement.

Il faut souligner, au passage, que le RN caracole en tête des sondages malgré son soutien sans faille au massacre des Gazaouis, qui suscite une indignation croissante et brûlante dans la masse de la population. Les premiers responsables de ce paradoxe sont les dirigeants de feu la NUPES, dont une partie soutient, elle aussi, « le droit d’Israël à se défendre », c’est-à-dire à réduire Gaza à l’état de cendres, et dont l’autre partie en appelle à la « communauté internationale », à l’ONU, à la Cour de Justice Internationale, au Pape et à tout ce qu’on voudra – sauf à la lutte révolutionnaire contre le capitalisme et l’impérialisme, qui seule permettra d’en finir avec l’oppression des Palestiniens.

Embourbés dans leur modération programmatique et leur électoralisme à courte vue, les dirigeants de la France insoumise – ceux du « clan Mélenchon » comme ceux du « clan Ruffin » – ont ouvert un boulevard à Marine Le Pen. Bien sûr, les dirigeants du PS, des Verts et du PCF ont leur part de responsabilité, qui n’est pas mince ; mais ce sont les dirigeants de la FI qui, en formant la NUPES, ont repêché ces trois naufragés des élections présidentielles.

La contradiction centrale

Nous l’avons maintes fois souligné dans les pages de ce journal : il y a un énorme décalage entre la profondeur de la crise du capitalisme, d’une part, et d’autre part l’extrême modération des directions officielles du mouvement ouvrier (partis et syndicats). C’est la contradiction centrale de notre époque.

Prenons un exemple parmi tant d’autres qui se présentent chaque jour. En réponse à l’annonce des 10 milliards de coupes budgétaires évoquées plus haut, la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, écrivait sur Twitter : « pour faire des économies il suffirait de s’attaquer aux 200 milliards d’aides aux entreprises. Mais pour cela il faut oser affronter les multinationales ».

A qui la dirigeante de la plus puissante confédération syndicale suggère-t-elle d’« oser affronter les multinationales » ? Il semble que ce soit au gouvernement lui-même, faute de précisions supplémentaires. C’est en tout cas ce qu’on comprend et ce que la plupart des travailleurs comprendront. Or le problème, bien sûr, c’est que le gouvernement Macron, le « gouvernement des riches », travaille pour les multinationales. C’est même le gouvernement des multinationales, de sorte que les 10 milliards de coupes budgétaires visent à garantir le transfert d’un maximum d’argent public dans les coffres du grand patronat.

Sophie Binet l’ignore telle ? Bien sûr que non. Mais comme elle ne veut pas mobiliser sérieusement les travailleurs contre la bourgeoisie et son gouvernement, elle suggère que le gouvernement pourrait – ah, s’il « osait » ! – nous épargner une énième coupe franche dans les dépenses publiques. Les dirigeants de toutes les organisations syndicales et de tous les grands partis de gauche se livrent en permanence à ce type de mascarade, sous une forme ou sous une autre.

Heureusement, loin des sommets endormis du mouvement ouvrier, dans les entreprises, les lycées et les universités, un nombre croissant de jeunes et de travailleurs tirent des conclusions révolutionnaires. En France comme partout ailleurs, la crise du capitalisme est en train de forger une nouvelle génération de communistes. Ils commencent à rejoindre les rangs de la Tendance Marxiste Internationale dans les 40 pays où elle est active. Ils ne veulent plus des demi-mesures, de la modération réformiste, du soi-disant « réalisme » de ceux qui se préparent à capituler face à la bourgeoisie. Ils ne veulent pas se contenter de ponctionner 10 milliards d’euros dans les coffres du grand capital. Ils veulent porter les travailleurs au pouvoir, exproprier les multinationales et engager la transformation révolutionnaire de la société. C’est exactement ce que nous voulons, nous aussi – ce que veut la Tendance Marxiste Internationale. Renverser le capitalisme à l’échelle mondiale : voilà ce qu’il faudra « oser » pour sauver l’humanité de la barbarie.


[1] Lemonde.fr du 26 février.


Sommaire

Un gouvernement tout près du gouffre - Edito du n°78
Grand succès de nos réunions publiques sur les idées de Lénine !
Participez à l’Ecole communiste du Sud !
Autriche : l’Etat cible nos camarades sur la question palestinienne
Nos camarades canadiens fondent un Parti Communiste Révolutionnaire !
Brèves
SNU : « cohésion nationale » et…coupes budgétaires
Gratuité des transports à Montpellier : le revers de la médaille
Quel programme pour les petits agriculteurs ?
Bruno Le Maire promet l’austérité « quoi qu’il en coûte »
Mayotte : les migrants comme boucs émissaires
Il est temps de lancer une Internationale Communiste Révolutionnaire !
Comment construire l’ICR ?
La guerre contre Gaza et les contradictions des impérialistes
Inde : les dockers se mobilisent en soutien aux Palestiniens
Aaron Bushnell et le mouvement de solidarité avec le peuple palestinien
Où vont les Etats-Unis ?
Ukraine : la chute d’Avdiivka marque le début de la fin
BD : Frontier, ou quand le capitalisme détruit l’univers
Combattre l’oppression des femmes ! Lutter pour le communisme !
Les origines de l’oppression des femmes

L’Education nationale est l’objet d’attaques constantes. La question de l’uniforme scolaire, chère à Macron, vise à cacher la dégradation des conditions d’enseignement et d’étude. Il s’agit de masquer des inégalités qui ne cessent de se creuser, sur fond de contre-réformes.

 

Précarité et manque de moyens

Avant chaque rentrée, l’Education nationale recrute en 10 minutes, montre en main, des contractuels souvent en reconversion professionnelle et sans qualification adaptée. Le phénomène n’est pas nouveau, mais il ne cesse de s’amplifier. Entre 2015 et 2020, sur l’ensemble du personnel éducatif, la part des contractuels est passée de 14,5 % à 22 %. Recrutés en CDD d’un an, ces « non-titulaires » sont très appréciés en hauts lieux, car ils sont archi-précaires et coutent moins cher que les enseignants titulaires.

Parallèlement, le gouvernement Macron poursuit ses contre-réformes. Au lycée professionnel, il applique la formule : « moins d’heures d’enseignement, plus d’heures en entreprise ». Autrement dit : moins de formation et plus d’exploitation. Sur les trois années de formation, 200 heures de cours en présentiel sont supprimées.

Le collège est aussi dans le viseur de l’exécutif : un projet de réforme veut constituer des groupes de niveau, en français et en mathématiques, pour séparer les « bons » élèves des « mauvais ». Sans moyens supplémentaires alloués, cela ne peut qu’aggraver les inégalités entre élèves issus de différents milieux sociaux. Rien n’est prévu pour régler le problème des classes surchargées, des enseignants non remplacés, du manque criant de matériel informatique et pédagogique, etc.

La carotte du « pacte enseignant »

En 30 ans, le salaire minimum des enseignants est passé de 2 à 1,2 Smic. Face à cette paupérisation du personnel de l’Education nationale, le gouvernement propose un « pacte enseignant » dont le principe n’est pas très original : « travailler plus pour gagner plus ». Les enseignants effectuant des « missions supplémentaires » – sur la base du « volontariat » – recevront une rémunération qui s’ajoutera à leur salaire de base. L’augmentation du nombre d’heures devant les élèves, d’un volume annuel de 72 heures, serait donc une condition pour augmenter les salaires.

Les « missions » incluent les remplacements de courte durée, mais aussi des responsabilités liées à l’orientation et à l’accompagnement des élèves. Dans le premier degré, la possibilité d’enseigner aussi au collège est envisagée. Chacun pourrait exercer quasiment n’importe quelle fonction : le professeur d’italien pourrait remplacer celui de mathématiques ou d’allemand, etc., et peu importe si les élèves perdent des heures d’enseignement qualifié. De plus, un enseignant en arrêt maladie pourrait être contraint de récupérer ses heures « manquées ».

Pour l’instant, le « pacte » est massivement refusé par les enseignants, car ils sont déjà soumis à une charge de travail conséquente : plus de 43 heures par semaine, en moyenne, et plus de 30 jours pendant les vacances scolaires. Les enseignants ne veulent pas travailler plus ; ils veulent travailler mieux.

L’exemple de la Seine-Saint-Denis

Dans les quartiers populaires, la situation est encore plus difficile qu’ailleurs. Prenons l’exemple de la Seine-Saint-Denis, où se combinent un manque de personnel et une explosion des effectifs par classe. En septembre, il manquait au moins un enseignant dans 6 établissements sur 10. Dans 8 établissements sur 10, il manquait du personnel éducatif (CPE, surveillant, enseignant, infirmière...). En novembre, le problème n’était pas réglé et les effectifs par classe atteignaient jusqu’à 32 élèves dans certaines filières de lycée professionnel. Dans ce département, la pénurie de personnel de remplacement entraîne la perte d’une année de cours sur l’ensemble de la scolarité des élèves.

Par ailleurs, la vétusté des infrastructures est scandaleuse. L’hiver, dans le lycée Paul Eluard (Saint-Denis), il peut faire 8 degrés dans certaines salles de cours. Le matériel informatique est souvent défaillant. Les chaises sont si vétustes qu’elles tombent sous le poids des élèves. De son côté, le lycée privé Stanislas, à Paris, a reçu en 2023 une subvention régionale de 487 000 euros. Il est vrai que la ministre de l’Education nationale y a inscrit ses enfants.

L’Education nationale a de grandes traditions de lutte. La grève du 13 janvier 2022 a montré le potentiel : 62 % de grévistes dans le secondaire, 75 % dans le primaire. Cependant, des grèves de 24 heures – même massives – ne feront pas reculer le gouvernement. Une victoire ne sera possible que sur la base d’un mouvement de grève interprofessionnel et reconductible.

La lutte pour une éducation publique et de qualité concerne l’ensemble du mouvement ouvrier. Les besoins sont clairs : il faut l’embauche massive de personnel, la fin des statuts précaires, une augmentation générale des salaires et leur indexation sur l’inflation. Pour consacrer du temps aux élèves en difficulté, il ne faut pas plus de 20 élèves par classe. Nous n’avons besoin ni de « groupes de niveau », ni de sélection, ni d’exclusion. Nous avons besoin de moyens, de personnels et de salaires décents !

En novembre dernier, les tempêtes Ciarán, Domingos et Federico balayaient le nord-ouest de la France, provoquant d’importants dégâts matériels et la mort de plusieurs personnes. Le 13 novembre, France Assureurs recensait 517 000 sinistres et près de 1,3 milliard d’euros de dommages.

Des pluies diluviennes se sont ensuite abattues, causant des inondations et des coulées de boue dans les Hauts-de-France. Des milliers d’habitations et de nombreuses exploitations agricoles ont été noyées sous les eaux. Début janvier, de nouvelles inondations frappaient des communes déjà sinistrées.

Réchauffement climatique

Selon Météo France, la pluviométrie moyenne, pour un mois de novembre, a été excédentaire de plus de 50 %. Dans certaines localités, il a plu 32 jours d’affilée. Cela ne s’est produit qu’une fois depuis 1958, et pas dans de telles quantités.

Davide Faranda, directeur de recherche au CNRS, interprète « les inondations de l’automne en France et en Italie comme un événement inhabituel pour lequel le changement climatique causé par l’homme et la variabilité climatique naturelle ont joué un rôle important ». Dans un récent rapport, le GIEC souligne aussi le lien entre le changement climatique et les tempêtes qui ont frappé l’Europe ces dernières années.

Il est indéniable que le changement climatique – dont les capitalistes sont responsables – a une incidence directe sur la multiplication des phénomènes climatiques extrêmes. Mais d’autres facteurs viennent en aggraver les effets. Les inondations de cet automne ont été favorisées par le manque d’entretien des infrastructures (canaux d’évacuation, etc.), des plans d’urbanisation anarchiques, mais aussi l’artificialisation des sols et l’agriculture intensive, qui aggravent les phénomènes de ruissellement.

Hausse des assurances

Alors que l’eau commence à se retirer, les sinistrés – qui ont parfois tout perdu – doivent affronter les assurances. En France, la Caisse Centrale de Réassurance (CCR) assure une indemnisation minimale en cas de sinistre résultant d’une catastrophe naturelle. Pour être indemnisé, l’état de catastrophe naturelle doit être reconnu par une décision ministérielle, mais il faut aussi avoir préalablement souscrit un contrat d’assurance « dommages ». La CCR réassure ensuite l’assureur en prenant en charge une partie des sommes avancées. Une franchise, supportée par l’assuré, est cependant appliquée. Ce dispositif permet certes de garantir un minimum d’indemnités tout en évitant un défaut de paiement des assureurs privés, mais cela évite surtout à ces derniers de prendre trop de risques !

Fin janvier, la CCR estimait le coût des inondations dans les Hauts-de-France – couvert par le régime de catastrophe naturelle – à 640 millions d’euros, dont la moitié sera prise en charge au titre de la réassurance publique.

Cependant, le régime de catastrophe naturelle ne couvre pas les tempêtes qui ont frappé les communes de Bretagne et de la Manche. Il pourrait donc être plus difficile, pour ces victimes, d’être correctement indemnisées. En effet, les compagnies d’assurance ont avant tout pour objectif de réaliser des profits, et non de venir en aide aux victimes de sinistres ou d’accidents de la vie.

Par exemple, en 2021, le groupe Axa réalisait un bénéfice net record : 7,3 milliards d’euros. Dans le même temps, face à l’accroissement des risques climatiques, le coût des assurances – et notamment la couverture des catastrophes naturelles – est sans cesse réévalué à la hausse. Selon le cabinet d’assurance Fact&Figures, le montant de l’assurance habitation devrait augmenter de 6 % cette année, en moyenne. A partir du 1er janvier 2025, la cotisation finançant le régime de catastrophes naturelles de la CCR sera également relevée. Ces hausses du coût des assurances viennent s’ajouter à l’inflation générale qui ronge chaque jour un peu plus le pouvoir d’achat de millions de jeunes, de travailleurs et de retraités. 

Réponses exceptionnelles

Début janvier, lors d’une visite dans le Pas-de-Calais, Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique, promettait des «réponses exceptionnelles» du gouvernement. Pour le moment, les mesures annoncées se réduisent à une aide de 50 millions d’euros aux collectivités territoriales, à l’activation du dispositif de calamité agricole et au lancement d’une « réflexion » sur l’amélioration de l’évacuation des cours d’eau.

Le changement climatique impose des réponses « exceptionnelles » d’une tout autre ampleur. Des zones entières ne seront bientôt plus habitables en raison des risques d’inondations. Il faut dès à présent prévoir le déplacement potentiel de populations qui devront être relogées dignement. Des investissements massifs sont aussi requis pour adapter et entretenir les infrastructures nécessaires à la lutte contre les effets du changement climatique.

Face au coût économique de plus en plus important des catastrophes climatiques, l’indemnisation des victimes ne doit pas être laissée au bon vouloir des compagnies d’assurances privées. L’ensemble de ce secteur doit être nationalisé et harmonisé afin de sortir d’une logique de rentabilité. De manière générale, pour lutter contre le changement climatique et ses effets immédiats, il faut des investissements colossaux qui sont exclus dans le cadre d’une économie de marché subordonnée à la course aux profits. Cette lutte est indissociable d’une lutte contre le capitalisme et pour une économie démocratiquement planifiée.

A l’heure où nous bouclons ce journal, il est clair que les annonces de Gabriel Attal, le 26 janvier, n’ont pas suffi à désamorcer la mobilisation des agriculteurs. A part sur la question du gazole non routier, ils n’ont rien obtenu de très concret. Le Premier ministre a « débloqué » 50 millions d’euros par-ci et par-là ; il a promis de « simplifier » ceci et de « moins contrôler » cela ; il a multiplié les tapes dans le dos et les formules creuses. Mais après tant de phrases, le paysan pauvre qui calcule son revenu, en fin de mois, voit bien qu’il n’a pratiquement pas bougé.

Sur la question des prix agricoles, Gabriel Attal a annoncé « trois sanctions très lourdes » contre des entreprises « importantes » qui ne respectent pas la loi censée protéger les petits agriculteurs contre des ventes à perte de leur production. Il a également promis de « mettre une pression maximale dans les négociations » entre petits et gros – de façon à ce que les gros, à l’avenir, cessent d’écraser les petits. C’est une mauvaise plaisanterie. Le soi-disant « charisme » de Gabriel Attal peut bien sidérer des éditorialistes de droite, mais il n’est pas assez puissant pour neutraliser les lois de l’offre et de la demande sur un marché ouvert aux quatre vents de la concurrence internationale.

Faux amis

Le gouvernement, les Républicains, le RN et le grand patronat du secteur agricole – qui contrôle la FNSEA – parlent délibérément du « monde paysan » comme s’il s’agissait d’un bloc homogène. Il n’en est strictement rien. Il y a un gouffre entre le multi-millionnaire Arnaud Rousseau, président de la FNSEA et dirigeant de la multinationale Avril (entre autres) – et le petit producteur endetté, confronté à la concurrence mondiale, spolié par la grande distribution et dont les revenus nets sont souvent inférieurs au Smic.

Les gros bonnets du secteur agricole n’étaient pas à l’initiative de ce mouvement, qu’ils s’efforcent à présent de contrôler et d’instrumentaliser. De son côté, le gouvernement redoute que la mobilisation de la « base » échappe totalement au contrôle de la FNSEA – et, au passage, déclenche une mobilisation de la classe ouvrière. D’où l’extrême prudence du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin : « aucune évacuation des blocages par les forces de l’ordre n’est prévue à ce stade », a-t-il déclaré. Il a même ajouté qu’« on n’envoie pas les CRS sur des gens qui souffrent ». Il faut croire que les nombreux grévistes et manifestants réprimés par les CRS, ces dernières années, ne souffraient pas assez aux yeux du ministre de l’Intérieur !

Ceci étant dit, les appels au « siège de Paris » et au « blocage » du marché de Rungis pourraient contraindre le gouvernement à prendre le risque d’un affrontement musclé avec les agriculteurs. Ce serait lourd de conséquences potentiellement explosives.

La seule voie

Les petits exploitants mobilisés ne doivent accorder aucune confiance à ce gouvernement et aux dirigeants de la FNSEA. Leurs seuls véritables alliés sont les salariés des villes et des campagnes, qui eux aussi subissent de plein fouet les conséquences de la crise du capitalisme. En 2023, pendant que les prix agricoles reculaient de 10 %, les prix de l’alimentation, dans les rayons, augmentaient de 8 à 14 % (selon les modes de calcul). Dans le même temps, les profits des grands groupes du secteur – et de la grande distribution – battaient des records.

A gauche, les dirigeants réformistes rivalisent d’imagination pour avancer des « solutions » aux problèmes des petits exploitants sur la base du capitalisme. Mais de telles solutions n’existent pas. En 1935, dans une critique de la direction réformiste de la CGT (déjà), le révolutionnaire Léon Trotsky écrivait : «il faut nous arrêter sur une question d’une gravité exceptionnelle : la question paysanne. Tout le monde en parle, tout le monde proclame la nécessité d’améliorer la situation des paysans, mais il y a beaucoup de malins qui voudraient préparer aux paysans une omelette sans casser les œufs du grand capital. »

Précisément : le mouvement ouvrier doit intervenir dans cette lutte en expliquant aux petits exploitants qu’il faut « casser les œufs du grand capital », c’est-à-dire mener une lutte commune pour l’expropriation des banques et des grands groupes de l’énergie, de l’agro-industrie et de la distribution – qui tous contribuent sans cesse à appauvrir non seulement la masse des petits agriculteurs, mais la masse de la population en général. Ce mos d’ordre rencontrerait un puissant écho dans de larges couches du monde agricole et contribuerait à le diviser suivant une ligne de classe.

Le secteur agricole est malade du capitalisme. Seuls le renversement de ce système et la réorganisation de la production sur la base d’une planification rationnelle et démocratique, dans l’intérêt du plus grand nombre, permettront aux petits agriculteurs de vivre dignement de leur travail et de leurs compétences.