Monde du travail

J e suis un ancien formateur et manutentionnaire chez McDonald’s. Dans cet empire mondial de 40 000 restaurants, la réalité que subissent 2,5 millions de salariés est bien éloignée des campagnes publicitaires colorées.

 

 

Une journée chronométrée

La vie quotidienne dans un restaurant McDo est un véritable défi pour les « équipiers », mais aussi pour les managers qui subissent des pressions constantes de la part de leurs supérieurs. Pour éviter d’être humiliés par ces derniers devant toute l’équipe, ils excellent dans le bénévolat : chaque mois, ils cumulent des dizaines d’heures supplémentaires non rémunérées. Cette pression se manifeste et se répercute dans tous les aspects du travail, de l’ouverture à la fermeture du restaurant.

Dès 8 heures du matin, le personnel fait face au sous-effectif chronique. Tout en imposant un nombre croissant de tâches, McDo France réduit les moyens alloués. La polyvalence est de mise : embauché comme manutentionnaire, je devais tout le temps interrompre mes tâches pour aider le manager qui, de son côté, se postait en cuisine. Les équipiers, déjà surmenés, accueillaient les clients sans avoir terminé leur préparation.

Le temps est compté : avec la réduction de la durée des plannings d’ouverture, les équipiers doivent arriver plus tôt, sans pointer, pour être prêts à l’heure.

Le rush du midi transforme le restaurant en une véritable usine. Le travail devient mécanique, il est réalisé « à la chaîne » et centré sur la rapidité. La préparation anticipée des produits est minimisée, car chaque seconde compte. Dans cette précipitation, les procédures d’hygiène et de sécurité alimentaire passent au second plan. Entre les bornes numériques et quatre applications de livraison différentes, les commandes s’accumulent au-delà des capacités d’une équipe assourdie par un vacarme de « bips » incessant. Les délais de service s’allongent bien au-delà de l’objectif officiel de 90 secondes par commande. Tous les écrans virent au rouge et certains clients deviennent agressifs. Les équipiers les plus âgés, qui ont 60 à 65 ans, souffrent énormément de ces conditions infernales.

L’après-midi, le sous-effectif persiste et rend impossible une préparation adéquate du restaurant pour le reste de la journée. On ne peut pas correctement laver la salle, les toilettes et la vaisselle tout en gérant les commandes. Obligé d’intervenir sur le terrain, le manager ne peut pas sérieusement se consacrer à la préparation du rush du soir.

Celui-ci est généralement chaotique. La présence accrue d’un personnel jeune et étudiant, y compris parmi des responsables peu expérimentés et mal formés, ajoute un élément de pression supplémentaire. Parfois, même l’agent de sécurité – employé par une société extérieure – reçoit des ordres du manager et participe à l’envoi des commandes, alors que ce n’est pas du tout sa fonction.

La fermeture du restaurant est également tendue. Le personnel, toujours en sous-effectif, doit jongler entre le service des derniers clients et le nettoyage des appareils, le tout dans un temps strictement limité. Des produits et des ingrédients invendus voient leurs « Dates Limites de Consommation » (DLC) ré-étiquetées – de manière totalement frauduleuse – pour diminuer les écarts de rendement.

La nuit, de 21 heures à 8 heures du matin, révèle un aspect encore plus sombre. Des travailleurs maliens, employés en sous-traitance, sont payés une somme dérisoire pour nettoyer le restaurant et le Burger King en face, parfois sept jours sur sept. Leurs conditions de travail sont déplorables. Leurs « vestiaires » sont relégués dans le local poubelle infesté de cafards, au sous-sol, dans une odeur insoutenable. Quelquefois, après toute une nuit de travail, ils sont réprimandés pour des « erreurs » minimes et sont contraints de prolonger leur service. Le rythme de vie de ces travailleurs invisibles est infernal. Ils cumulent souvent plusieurs emplois, sans repos suffisant, et logent dans des foyers insalubres.

La recette du profit

Au cœur du modèle économique de McDonald’s, la « Vente Par Heure par Equipier » (VPHE) joue un rôle crucial. Cette statistique, qui compare les performances relatives des managers et des restaurants, est calculée pour chaque heure en divisant le total des ventes par le nombre d’équipiers présents. Par exemple, si 10 équipiers génèrent 1000 euros de ventes en une heure, la VPHE est de 100 euros. Cette mesure incite les managers à optimiser le ratio ventes/employés, au détriment des conditions de travail du personnel.

Pour augmenter leur VPHE, les managers recourent souvent aux « bons de sortie » (BS) : lors d’une baisse – même mineure – du nombre de commandes, les équipiers sont incités à accepter un BS, c’est-à-dire à quitter leur poste avant la fin prévue de leur service. Ce départ anticipé, perçu par certains nouveaux employés comme un geste de bienveillance, sera évidemment compensé ultérieurement, souvent pendant un rush.

Cette pratique s’inscrit dans le cadre des contrats précaires à temps partiel. Par exemple, un employé engagé pour 20 heures par semaine doit se rendre disponible 40 à 60 heures. Par ailleurs, il est implicitement recommandé de venir travailler en renfort en dehors de ses disponibilités contractuelles, parfois sur des jours de repos. Beaucoup acceptent pour valider leur période d’essai ou obtenir des miettes de récompense, ce qui évite aux franchises de recruter.

Fin 2019, les franchises représentaient plus de 80 % des restaurants McDonald’s en France, avec une moyenne de 3 à 4 restaurants par franchisé. Certains en possèdent une vingtaine. McDonald’s France se charge de la création des procédures, du choix des fournisseurs et des campagnes publicitaires. Tout ce qui concerne les ressources humaines, la gestion des restaurants, les commandes et la maintenance des équipements est du ressort des franchisés.

Dans ce système, McDonald’s tire toujours son épingle du jeu, indépendamment de la performance individuelle des restaurants. La firme prélève généralement un quart du chiffre d’affaires des franchises pour payer le loyer, l’utilisation de la marque et les frais publicitaires. L’absence de territoire exclusif, pour chaque restaurant, permet l’ouverture de plusieurs établissements dans un même secteur, sous différentes franchises. Si un restaurant voit son chiffre d’affaires diminuer à cause de la concurrence d’un autre McDo, le siège national, lui, bénéficie de l’addition des ventes des deux établissements.

Le budget réduit des franchises impacte directement la qualité de l’équipement et les conditions de travail. Le matériel est souvent en mauvais état, mal entretenu et inadapté à la réalité du terrain. Et même lorsqu’une installation est renouvelée, ce n’est pas correctement planifié. J’ai personnellement subi les conséquences de cette négligence : lors de la rénovation du monte-charge, j’ai dû pousser des palettes de marchandises sur la pente du parking sans assistance électrique, ce qui a aggravé mes problèmes de dos. De manière générale, aucune prévention n’est organisée pour le port de charges lourdes. A quoi s’ajoutent les blessures qui sont monnaie courante, telles que des brûlures lors des cuissons et des coupures sur les rebords tranchants des meubles usés. Tout ceci résulte du support, par la franchise, des coûts de maintenance et de fonctionnement, pendant que McDonald’s France tire profit de ses revenus.

Cette dynamique financière s’est retrouvée sous les feux des projecteurs en 2015, lorsque la CGT a porté plainte contre McDonald’s pour fraude fiscale. L’accusation portait sur le transfert de la redevance des franchises à la maison mère européenne, située au Luxembourg, ce qui permettait à l’entreprise de réduire ses obligations fiscales en France. En 2022, la société a partiellement reconnu ces pratiques et accepté de payer une amende record de 1,25 milliard d’euros, évitant ainsi un procès.

Manipulation et contrôle

Tenir les employés « sous influence  », pour ainsi dire, est un élément clé pour accroître les profits. Chaque franchise doit s’incorporer à la politique interne de l’entreprise et promouvoir une culture quasi sectaire. Aux Etats-Unis, ils appellent ça la « McFamily ». Il s’agit de masquer la distance entre la direction et les équipes : le vouvoiement est proscrit, le style est faussement « décontracté ». Les franchisés doivent faire preuve d’éloquence et de persuasion, particulièrement pour convaincre les jeunes de faire carrière chez McDonald’s. Ils créent ainsi une proximité avec leurs futurs caporaux ; ils leur promettent un suivi personnalisé et des promotions rapides. Nombre de jeunes managers ont été séduits par la perspective de diriger un restaurant avant l’âge de 30 ans – le tout sur la foi d’une promesse parfois illusoire, mais assez efficace pour maintenir des équipes dociles.

Tout le monde doit rester dans les clous : un responsable qui fait preuve d’un brin d’humanité ou contredit les ordres du franchisé est écarté de façon plus ou moins subtile. Inversement, un manager au comportement abusif est généralement protégé par la direction de la franchise, qui reconnait là un soldat fidèle, entièrement dévoué à ses directives.

Bien sûr, McDonald’s promeut cette notion de « famille » dans les limites de son propre intérêt, et la formation de syndicats ou de comités de salariés est fermement découragée. Pour ce faire, la firme, déjà fracturée en milliers de franchises, incite ces dernières à se diviser en petites entités. Bien que ses employés réalisent le même travail sous une direction commune et peuvent être mutés d’un restaurant à l’autre, une franchise n’est souvent pas considérée comme une entité économique et sociale unique. Il suffit qu’un franchisé possédant plusieurs restaurants déclare chaque établissement comme une société distincte, de façon à ce que chacune soit maintenue sous le seuil des 50 employés. Cette stratégie lui permet d’éviter certaines obligations légales telles que le versement de primes de participation, l’organisation d’un comité d’entreprise ou la tenue de négociations collectives, privant ainsi les salariés de revenus et d’avantages auxquels ils auraient normalement droit.

Les seules primes accessibles aux employés sont souvent dérisoires – par exemple une trentaine d’euros s’ils atteignent tel ou tel objectif de rapidité. Trop élevés, ces objectifs sont rarement atteints ; ils ont surtout un caractère incitatif. Ponctuellement, quelques primes sont versées, pour créer une illusion semblable aux jeux d’un casino.

En définitive, McDonald’s France organise l’isolement de chaque restaurant tout en favorisant un turnover élevé parmi les jeunes employés à temps partiel. Cette stratégie vise à empêcher la formation de syndicats ou de comités de travailleurs organisés pour défendre leurs conditions de travail. L’entreprise utilise tous les moyens possibles pour promouvoir l’individualisme et la compétition, au détriment de la solidarité et de l’entraide au sein du personnel.

Par le passé, des petits groupes d’employés ont réussi, grâce à des grèves combatives, à arracher des victoires importantes, notamment contre le harcèlement moral et sexuel, ou encore pour l’amélioration des conditions de travail et de rémunération. Récemment, l’émergence de syndicats chez Amazon et Starbucks, aux Etats-Unis, a marqué une étape importante et fourni un modèle à suivre. De manière générale, la crise du capitalisme qui accable la classe ouvrière l’incite à ne compter que sur ses propres forces pour se défendre. Tôt ou tard, les équipiers de McDonald’s, en France, suivront cette voie et s’organiseront à une vaste échelle.

Cet été, 30 sites accueilleront les athlètes et les spectateurs des Jeux Olympiques. Un certain nombre de sites existent déjà (Roland-Garros, Stade de France, etc.), mais d’autres ont été construits pour l’occasion. La Solidéo, qui est chargée de diriger ces travaux, déclare en toute confiance que les chantiers seront livrés à temps. Elle oublie seulement de préciser que cet optimisme se fonde sur une exploitation brutale – et très rentable – de travailleurs sans-papiers.

On compte plus de 5000 ouvriers sur ces chantiers, dont une écrasante majorité d’immigrés. Sur la construction du Village olympique à Saint-Denis, par exemple, travaillent surtout des ouest-africains, ainsi que « des Turcs, des Portugais ou des Arabes », comme l’explique un ouvrier malien. Les géants du BTP – Bouygues, GCC, Eiffage, etc. – puisent allègrement parmi les 700 000 travailleurs sans-papiers du pays, qui constituent une main d’œuvre bon marché et corvéable à merci. Sans elle, les JO ne pourraient pas voir le jour, comme le souligne le mot d’ordre de collectifs de sans-papiers : « Pas de papiers, pas de Jeux Olympiques ! ».

Membre de la Coordination des Sans-papiers à Paris (CSP75), Mamadou Sow dénonce les conditions scandaleuses dans lesquelles travaillent ses camarades : « que ce soit pour les Jeux Olympiques ou ailleurs en France, lorsque les patrons savent que vous n’avez pas vos papiers, vous êtes comme un esclave ». N’ayant plus à se soucier du Code du travail, les employeurs imposent aux ouvriers des conditions extrêmement rudes : des rémunérations très inférieures au Smic (65 euros par jour) et des journées de travail dépassant souvent 10 heures – le tout sans Sécurité sociale, sans congés payés et sans accès aux soins. Ces témoignages nous rappellent les conditions barbares des travailleurs des chantiers de la Coupe du monde au Qatar, la chaleur en moins. Et l’Etat français, bien sûr, ferme les yeux.

De son côté, la préfecture de la Seine-Saint-Denis n’est pas pressée de régulariser ces travailleurs sans-papiers. Et pour cause : d’une part, de telles régularisations pèseraient sur les profits des grands groupes impliqués dans les chantiers des JO ; d’autre part, l’extrême précarité de ces travailleurs est un élément central dans la tenue des délais de construction.

Solidéo : médaille d’or de l’hypocrisie

La Solidéo rejette toute responsabilité dans l’exploitation des sans-papiers. Mieux : elle assure réaliser un « contrôle systématique » des entreprises sur les chantiers, afin de lutter « contre le travail illégal ». Mais alors, comment expliquer l’inefficacité notoire et massive de ces contrôles ? Il y a « toujours des trous dans la raquette », explique un dirigeant de Solidéo. Pour être sûr qu’on a bien compris son image, il insiste : certaines entreprises passent « entre les mailles du filet ».

En réalité, la Solidéo fonctionne comme le secteur du BTP a l’habitude de fonctionner : elle fait appel à des sous-traitants qui exploitent sans détour les travailleurs, y compris les sans-papiers. Et lors des contrôles de l’inspection du travail, ce sont les travailleurs sans contrat légal qui payent : ils perdent leur emploi. Daouda Tounkara, par exemple, a travaillé jusqu’au 18 octobre sur les chantiers des JO, puis s’est retrouvé sans travail et sans ressources suite à un contrôle. Et quand l’Etat se tourne contre les patrons, Solidéo se défausse sur les sous-traitants, comme ce fut le cas en octobre lorsque neuf entreprises sous-traitantes des chantiers des JO ont été placées en liquidation judiciaire.

Mais ceci ne règle aucun problème : de nouveaux sous-traitants apparaissent qui occupent le « marché ». Le Monde parle de « fausse sous-traitance », au sens où elle a pour seul et unique objectif de recruter des ouvriers sans-papiers. En marge des mastodontes du BTP, il existe une nébuleuse de micro-entreprises dont la spécialité est le recrutement et l’exploitation d’immigrés sans-papiers. Pour reprendre la métaphore du dirigeant de Solidéo, « les mailles du filet » sont précisément calibrées pour laisser passer un maximum de poissons. C’est tout un « système » hypocrite dont les principaux acteurs des JO sont complices, à commencer par Solidéo, l’Etat et les grands groupes du BTP.

Mobilisations

Le 17 octobre dernier, à l’appel de la CGT, 600 travailleurs sans-papiers se sont mobilisés en Ile-de-France pour réclamer la régularisation de leur situation. C’est dans ce contexte que les salariés du chantier olympique de l’Arena Porte de la Chapelle ont occupé leur lieu de travail. A l’initiative du collectif Gilets Noirs et d’autres associations de sans-papiers, la grève a porté ses fruits : craignant une extension du mouvement et donc un retard des chantiers, les entreprises sous-traitantes de Bouygues immobilier ont immédiatement signé un protocole d’accord pour la régularisation des sans-papiers. En une journée de grève, ces derniers ont obtenu gain de cause.

Cette lutte montre la voie à suivre. Seule la lutte des classes – et la solidarité active de l’ensemble du mouvement ouvrier – permettra aux travailleurs sans-papiers de défendre leurs droits et leurs conditions de travail.

Le métier d’animatrice périscolaire – que j’exerce à Marseille – ne consiste pas en de la simple « garderie » avant ou après les heures de classe. Il s’agit de préparer, de réaliser et d’encadrer des activités ayant un caractère pédagogique et stimulant le développement intellectuel, affectif, social et physique de l’enfant. C’est un métier passionnant qui fait appel à des compétences particulières. Cependant, les conditions dans lesquelles nous l’exerçons ont bel et bien tendance à transformer les temps d’animation en « garderie ». Cela provoque à la fois une dévalorisation et une désertion de ce métier.

Une formation très insuffisante

L’animateur est censé garantir la sécurité physique et morale des enfants, donner un aspect éducatif au temps de prise en charge, et enfin établir une bonne communication entre tous les acteurs : parents, personnels de l’école, équipe…

Or la formation pour devenir animateur est beaucoup trop légère. Dès l’âge de 16 ans, deux semaines de formation théorique et deux semaines de stage pratique permettent d’obtenir le Brevet d’Aptitude aux Fonctions d’Animateur (BAFA), qui suffira pour être embauché par une structure encadrant des mineurs en centre aéré, en colonie de vacances ou sur du temps périscolaire. D’ailleurs, rien n’interdit à un jeune de 16 ou 17 ans titulaire du BAFA d’encadrer des groupes qui ont le même âge que lui !

Sur le terrain, cela se traduit par d’importants écarts de compétences entre des travailleurs occupant le même poste. Les plus expérimentés portent une charge plus lourde, car outre leur mission officielle, ils doivent accompagner, voire former les nouveaux arrivants. C’est d’autant plus le cas en périscolaire que le BAFA n’y est même pas obligatoire.

La revalorisation de notre travail passe donc, en premier lieu, par une formation beaucoup plus solide, qui nous prépare bien mieux aux situations très diverses auxquelles nous sommes confrontés.

Précarité et bas salaires

A chaque rentrée de septembre, c’est le même rituel : la signature de notre « contrat à durée déterminée d’usage » avec l’association qui nous embauche. Il atteste d’un emploi jusqu’au mois de juillet, tout en précisant les dates où nous serons mobilisés. Ainsi, les vacances scolaires sont des périodes creuses – sans rémunération – pour les animateurs, qui doivent souvent trouver un autre emploi (précaire) pour boucher ces trous.

Sur une semaine, les temps périscolaires s’élèvent à 21 heures, soit 3 heures de moins que le minimum légal (24 heures) pour du temps partiel imposé. Pour contourner ce « problème » légal, l’association nous fait signer un document attestant que ce nombre d’heures a été limité… par la volonté du travailleur. En réalité, ces 21 heures de travail correspondent aux besoins de l’association, qui ne peut pas – ou ne veut pas – proposer des contrats de 24 heures (ou plus).

Dans les faits, nous consacrons beaucoup plus de temps à l’association. Chaque jour, les animateurs effectuent trois allers-retours (à leur charge) entre leur domicile et leur lieu de travail. Or certains animateurs vivent à plus de 30 minutes de l’école où ils sont affectés…

En ce qui concerne la rémunération, c’est bien simple : 21 heures de travail hebdomadaire payées au SMIC horaire, cela fait tout au plus 900 euros les mois « pleins » (sans vacances scolaires). En revanche, les mois où il y a des vacances scolaires et des jours fériés, le salaire peut descendre jusqu’à 400 euros.

Les « taux d’encadrement »

Le nombre d’animateurs par groupe d’enfants est déterminé par des « taux d’encadrement » fixés par la loi. Ils varient selon divers critères. Lors des temps extrascolaires (les accueils à la journée pendant les vacances), il faut qu’il y ait au moins un animateur pour 8 enfants de maternelle (moins de 6 ans) et un animateur pour 12 enfants d’élémentaire (plus de 6 ans).

En temps périscolaire (les mercredis et les temps d’accueil du matin, du midi et du soir en période scolaire), les choses se compliquent. Le taux d’encadrement varie selon deux critères supplémentaires : la durée de l’accueil (plus ou moins de 5 heures) et les caractéristiques du projet éducatif dans lequel il s’inscrit. Le projet éducatif (PE) est un document élaboré par la mairie. S’il se fait en partenariat avec d’autres acteurs territoriaux (musées, piscines, patinoire, associations…), il devient un Projet Educatif de Territoire (PEDT), ce qui ne change absolument rien aux conditions dans lesquelles nous exerçons, hormis… les taux d’encadrement ! Sur un temps d’accueil du matin, du midi ou du soir, s’il n’y a pas de PEDT, le taux d’encadrement est d’un animateur pour 10 maternelles et 14 élémentaires. S’il y a un PEDT, ces taux passent à 1 animateur pour 14 maternelles et 18 élémentaires ! A Marseille, nous exerçons dans le cadre d’un PEDT. Il est donc permis, dans une école élémentaire, qu’une équipe d’à peine 4 animateurs encadre un groupe de plus de 70 enfants.

Avec ou sans PEDT, les enfants restent les mêmes : ils ne sont ni plus autonomes, ni moins agités. Les animateurs ne sont pas plus en forme, n’ont pas plus de matériel ni de meilleur salaire. Et pourtant, il suffit de quelques signatures ajoutées en bas d’un document pour que le taux d’encadrement baisse. Du point de vue du travail que nous avons à effectuer, c’est complètement absurde. Mais d’un autre point de vue, c’est « logique » : cela permet de réduire la masse salariale en réduisant le nombre d’animateurs nécessaires pour le même nombre d’enfants – au lieu d’assurer un encadrement dans de bonnes conditions.

Casse-tête bureaucratique

Les associations qui assurent le service périscolaire et qui emploient les animateurs répondent à des appels d’offres de la mairie de Marseille. Selon différents critères, elles obtiennent des lots d’écoles avec lesquelles elles signent des conventions, chaque année, pour déterminer les conditions dans lesquelles seront animés les temps périscolaires : nombre d’enfants par groupe pour le midi, salles et équipements mis à disposition, horaires d’animation, etc. La mairie participe activement à l’élaboration de ces conventions.

Sur le temps du midi, nous devons prendre en charge environ 30 enfants. Or la mairie exige que, de ces 30 enfants, nous fassions deux groupes de 15. D’après les directives de la convention, nous devons répartir ces groupes dans deux salles différentes et mener deux activités distinctes. Dès lors, chaque animateur est censé se retrouver seul avec son groupe. Cela signifie qu’en cas d’accident, l’animateur devra aller chercher de l’aide en laissant son groupe sans surveillance, ce qui est une faute grave.

Par ailleurs, il est plus difficile d’encadrer un groupe de 15 enfants seul que 30 enfants à deux. En duo, nous pouvons nous répartir des tâches et assurer plus facilement la sécurité et l’encadrement : l’un mène l’activité pendant que l’autre l’assiste et, par exemple, veille à ce qu’elle ne soit pas perturbée par un enfant qui chahute. Il peut aussi aller chercher de l’aide en cas de problème.

Manque de moyens

Nous sommes payés pour les heures d’animation, mais pas pour les temps de préparation des animations. Par conséquent, deux options s’offrent à nous : soit du travail gratuit chez soi avec son propre matériel, soit pas de préparation – et donc des animations de qualité médiocre.

Dans les écoles, nous n’avons souvent pas de matériel à notre disposition. Et quand nous en avons, c’est en faible quantité. Dans une école où je travaille sur les temps du midi avec des groupes de 15 enfants, on ne m’a donné que 5 pinceaux. Dans une autre école, on m’a donné de la peinture, mais pas de pinceaux. De toute manière, dans les deux cas, il n’y avait pas de papier. Doit-on peindre sur les murs ?

Certaines équipes d’animation n’ont même pas de trousse à pharmacie, ou attendent plusieurs semaines après la rentrée pour l’obtenir, alors que c’est fondamental pour assurer la sécurité des enfants. Nous sommes aussi régulièrement en sous-effectif par rapport à ce qu’impose la loi – qui est pourtant déjà trop laxiste. C’est que nos responsables peinent à recruter, car des contrats aussi précaires n’attirent pas une foule de candidats. Cela se traduit, au final, par une charge de travail encore plus lourde pour les équipes.

Pour l’animation du midi, les écoles doivent mettre deux salles à notre disposition. Or elles sont souvent peu adaptées aux activités. Par exemple, dans une école où nous menons un atelier théâtre, la première salle que l’on nous a proposée est très mal insonorisée par rapport à la cour. Il est très difficile de se concentrer dans cet environnement sonore. En guise d’alternative, le seul espace qui nous a été proposé est une terrasse ouverte à la pluie, au vent et au froid. Au lieu d’être couvertes par les bruits de la cour de récréation, nos voix le sont par les moteurs et klaxons des motos et voitures du centre-ville.

Siège éjectable

Nos contrats signés à chaque rentrée de septembre, pour une durée de 10 mois, nous soumettent à une période d’essai d’un mois. Un animateur qui travaille depuis plusieurs années pour la même structure est donc en période d’essai tous les mois de septembre.

En septembre dernier, pendant cette période d’essai, une collègue animatrice a été soumise à un contrôle sur le temps d’animation de la pause méridienne. Elle a été licenciée sur le champ suite à un mail envoyé à l’association par un responsable du service jeunesse de la mairie : l’animatrice avait laissé les enfants se déplacer sans surveillance dans les couloirs de l’école. Or, je l’ai dit, ce genre de situation est inévitable. Il n’empêche : sans convocation, la responsable RH de l’association a appelé l’animatrice et lui a donné 48 heures pour venir signer les documents de cessation de contrat. Résultat : son équipe s’est retrouvée en sous-effectif les jours suivants.

La précarité de ce travail et ses mauvaises conditions créent un turn-over incessant. Tout au long de leur scolarité, les enfants voient défiler une série d’animateurs différents, sans pouvoir créer de vrais liens avec eux. Or plus on connaît un enfant, mieux on peut répondre à ses besoins. Et plus un enfant connaît un adulte, plus il aura confiance pour lui faire part de ses besoins.

Socialisme

Dans le développement d’un enfant, les temps périscolaire et extrascolaire jouent un rôle évident. Les foyers les plus riches ont les moyens de confier leur progéniture à des nourrices et autre personnel privé. La plupart des travailleurs, par contre, doivent se tourner vers le service public, dont je viens de décrire l’état à Marseille.

De nouvelles politiques d’austérité aggraveront la situation. De manière générale, le capitalisme en crise ne pourra pas régler ces problèmes. Seul un régime socialiste investira massivement dans des animateurs périscolaires bien formés, titularisés, en nombre suffisant, bien rémunérés et dotés de moyens leur permettant de donner à leur travail un riche contenu pédagogique et culturel.

Dans le Lot-et-Garonne, le « Collectif d’élimination rapide de l’amiante et de défense des exposés aux risques » – le CERADER 47 – est une association qui aide les personnes atteintes de maladies professionnelles à connaître et exercer leurs droits. Elle a été créée en 2005 par d’anciens salariés de l’usine métallurgique de Fumel, après que la présence d’amiante sur ce site industriel a été reconnue.

Le collectif aide notamment les salariés contaminés par ce matériau cancérogène à recevoir l’Allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante (ACAATA). Par ailleurs, il vient en aide à toutes les victimes de maladies professionnelles, quelles que soient leur secteur d’activité et leurs pathologies.

Nous avons rencontré Fatima, Fernand, Bernard et Alain – président du CERADER 47 – qui ont pris le temps de nous expliquer le travail et les combats de leur association.


Révolution : En quoi consiste le dispositif ACAATA mis en place pour les victimes de l’amiante ?

L’ACAATA est une allocation versée aux personnes contaminées par l’amiante et qui leur permet de passer en préretraite. Les bénéficiaires touchent une allocation leur permettant de cotiser jusqu’à l’âge de leur départ à la retraite.

Le montant de l’allocation est calculé au prorata de la dernière année d’activité. Son minimum est de 1180 euros pour les salariés à 35 heures, avec un plafond fixé à 65 % du salaire brut. L’âge maximum pour bénéficier de cette allocation est de 65 ans.

L’avantage de l’ACAATA est qu’elle permet de cotiser pour la retraite. Son inconvénient, c’est qu’elle n’est pas cumulable avec un autre revenu, quel qu’il soit. Par exemple, si un travailleur touche déjà une prime d’activité, les deux revenus se complètent sans se cumuler. De même, le propriétaire d’une entreprise ou d’un commerce ne peut pas poursuivre son activité s’il veut toucher l’allocation. En conséquence, certains travailleurs éligibles à l’ACAATA y renoncent parce qu’ils ne peuvent pas se permettre d’avoir cette allocation pour seul revenu.

Ceci dit, avec le dernier report de l’âge légal de départ à la retraite, et au vu du taux de chômage, la plupart des salariés qui peuvent prétendre à cette aide en font la demande, même si cela implique une baisse de leur revenu.

De quand date ce dispositif ?

La question de l’amiante est un sujet sensible pour l’Etat. Au début des années 90, lorsque la population française a pris conscience de l’ampleur du problème, le scandale fut énorme. Des millions de travailleurs ont compris qu’ils étaient peut-être contaminés. Pendant des décennies, l’amiante avait été massivement utilisé dans l’isolation de bâtiments industriels, mais aussi scolaires et résidentiels. Or ce matériau est hautement toxique : il peut suffire d’être en contact avec une seule fibre pour être contaminé et, potentiellement, développer une maladie.

Dans certaines régions, des familles entières ont été contaminées. Par exemple, dans notre cas, quand on rentrait de l’usine, le soir, et que nos épouses mettaient nos bleus de travail à la machine, cela suffisait pour les contaminer. L’Etat était conscient de la mise en danger de toute la population, mais n’en parlait jamais.

Un « Comité permanent amiante » est créé en 1982. Il est composé de scientifiques, de représentants des industries de l’amiante, de hauts fonctionnaires, de représentants des organisations syndicales et d’organismes publics comme la Sécurité sociale. Mais ce Comité était complètement informel, et son fonctionnement dépendait du bon vouloir des représentants des industriels de l’amiante !

Le patronat est rapidement arrivé à la conclusion que si l’on se donnait réellement les moyens d’éradiquer l’amiante, cela risquait de mettre à l’arrêt un grand nombre d’entreprises. Le « Comité permanent amiante » était donc complètement bloqué par le patronat et les industriels de l’amiante, qui défendaient leurs intérêts. Concrètement, rien n’était fait pour les victimes. Dans notre usine, par exemple, la question de l’amiante ne fut mentionnée nulle part jusqu’en 2002 : ni dans les bilans sociaux, ni dans les comptes rendus du CHSCT. Finalement, face à l’ampleur du scandale, l’Etat a été contraint de mettre en place une aide aux victimes : c’est la création de l’ACAATA en 1998.

Quels sont les moyens d’éradiquer l’amiante ?

Aujourd’hui, il existe plusieurs techniques qui permettent de rendre l’amiante inerte. On peut la vitrifier avec des torches à plasma ou des bains d’acide. Mais pendant longtemps, le recyclage de l’amiante consistait simplement à l’incorporer au goudron des routes : imaginez l’impact sur la santé des agents de la voirie !

Actuellement, avec la Coordination des associations de victimes de l’amiante et de maladies professionnelles (CAVAM), nous sommes engagés dans une bataille pour la création d’un Pôle national d’éradication de l’amiante. Nous luttons pour que soient mobilisés les moyens à la hauteur de cette tâche immense. Nous voulons aussi obtenir la garantie que les méthodes de désamiantage utilisées respecteront la santé des travailleurs du secteur – et que ceux qui ont été contaminés, par le passé, seront indemnisés.

Quelles difficultés rencontrent les salariés pouvant prétendre à l’ACAATA et, plus largement, tous ceux qui demandent la reconnaissance d’une maladie professionnelle ?

La première difficulté est de trouver un médecin qui accepte de réaliser un certificat reconnaissant l’existence d’une maladie professionnelle. Ce n’est pas simple : non seulement il y a une pénurie de médecins dans de nombreux territoires, mais en outre peu de médecins sont formés à la reconnaissance des maladies professionnelles.

Ensuite, il y a les difficultés administratives. Lorsqu’on soumet une demande de reconnaissance de maladie professionnelle à la CPAM, une procédure s’enclenche qui dure en moyenne 120 jours. Puis, soit la demande est acceptée, soit elle est envoyée en commission pour examen.

La reconnaissance d’une pathologie comme maladie professionnelle dépend de sa présence dans le tableau des maladies professionnelles. Pour chaque pathologie, ce document indique les métiers concernés, les délais de demande et le nombre d’années d’exposition cumulées pour prétendre à une aide. Si une pathologie n’est pas inscrite au tableau des maladies professionnelles, ou si le dossier déroge à l’un des critères fixés par ce tableau, la demande est envoyée en commission au Pôle social du tribunal judiciaire.

En cas de litige sur l’origine de la pathologie, on fait appel à des médecins spécialisés pour évaluer la possibilité de la faire reconnaître comme maladie professionnelle. C’est là que nous pouvons intervenir pour qu’il y ait reconnaissance d’une maladie professionnelle. Nous faisons alors appel à un cabinet d’avocats pour aider les victimes, afin qu’elles ne se retrouvent pas seules pour défendre leur dossier. Nous les aidons à défendre leurs intérêts face aux méandres du système judiciaire. Par exemple, les délais de recours sont très courts : au-delà de deux mois, il n’est plus possible de déposer un recours ou de renouveler la demande.

Dans le cas de l’amiante, la principale difficulté consiste à prouver que les salariés ont été exposés à un risque de contamination – et qu’il y a eu une faute de l’employeur. Lorsque le site est répertorié à l’ACAATA, c’est plus facile parce que la CPAM sait qu’il y a eu de l’amiante ou de la silice : les salariés sont alors automatiquement indemnisés. Mais si le site n’est pas répertorié, il faut prouver qu’il y a eu contamination sur le lieu de travail et que l’employeur n’a pas pris les dispositions nécessaires à la protection des salariés. Or ce n’est pas simple, car en face ils font tout pour ne pas reconnaître la responsabilité de l’entreprise. Ils cherchent à rejeter la faute sur les salariés. Par exemple, si un salarié fumeur développe un cancer, ils diront qu’on ne peut pas prouver que son cancer résulte de ses conditions de travail, et non de la cigarette. C’est la même chose dans toutes les professions : les patrons cherchent systématiquement à rejeter la faute sur l’hygiène de vie des salariés.

Par ailleurs, dans les cas où la direction d’une entreprise change fréquemment, il est très difficile de déterminer qui est responsable, sachant qu’il n’est pas possible d’attaquer au pénal une entreprise ou l’Etat.

Notre association est tout de même parvenue, avec l’aide d’un cabinet d’avocats, à gagner 650 dossiers de demande de reconnaissance du préjudice d’anxiété subi par des victimes de l’amiante et d’autres matériaux CMR (Cancérigènes, Mutagènes et Reprotoxiques). Ces victoires nous ont permis de faire connaître notre association auprès d’un public plus large. Mais surtout, c’est en gagnant des dossiers comme ceux-là que l’on parvient à faire évoluer le périmètre de reconnaissance du tableau des maladies professionnelles. C’est comme cela, par exemple, que l’Etat a été contraint d’inscrire le cancer du pharynx au tableau des maladies professionnelles agricoles.

Actuellement, on mène un combat sur la reconnaissance du cancer du sein comme maladie professionnelle. En effet, il est apparu que les femmes travaillant de nuit sont bien plus touchées par cette maladie que celles travaillant de jour.

Récemment, vous avez réussi à obtenir une extension du délai de prise en compte de l’exposition à l’amiante pour les salariés de l’usine métallurgique de Fumel. Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?

Dans le cas de l’usine métallurgique de Fumel, nous avons mené ce combat avec la CGT. La dernière génération de salariés ne bénéficiait pas du dispositif d’aide en raison de critères trop restrictifs. Dans ce genre de situation, obtenir gain de cause est difficile, car l’augmentation du nombre de bénéficiaires de l’ACAATA représente un coût pour l’Etat. Donc tous les moyens sont bons pour mettre en échec les revendications des associations et des syndicats. Par exemple, les services de l’Etat affirmaient que tout le site était décontaminé, alors qu’en réalité la décontamination ne concernait qu’une zone bien déterminée.

Nous avons fini par obtenir gain de cause. Il faut dire que la direction de l’usine ne s’est pas trop opposée à nous : l’entreprise allait fermer, et donc en un sens cela arrangeait la direction, qui n’avait pas à payer d’indemnités de licenciement.

Votre association fait un travail important pour informer, aider et défendre les droits des personnes touchées par les maladies professionnelles. Avez-vous des aides de l’Etat pour mener ce travail ?

Notre association est reconnue d’intérêt public, ce qui permet à nos adhérents de déduire leurs cotisations de leurs impôts. Mais ce statut n’est pas systématiquement donné aux associations qui mènent le même travail que nous. La décision revient au centre des impôts.

Ceci dit, notre association a choisi de ne recevoir aucune subvention de l’Etat. Ce sont les cotisations de nos adhérents qui font vivre l’association : c’est un moyen de garantir notre indépendance et de pouvoir choisir en toute liberté nos modes d’action. Quant au cabinet d’avocats avec lequel nous travaillons, il touche un pourcentage des dédommagements que perçoivent les plaignants lorsque nous attaquons les entreprises pour « faute inexcusable ». Notre association traite des dizaines de nouveaux dossiers chaque année, et malheureusement notre travail sera nécessaire pendant encore longtemps.

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Tél. : 06 31 97 56 91

En 2020 et 2021, la crise du Covid a frappé de plein fouet le secteur des salles de sport privées. Mais depuis, leurs patrons se sont bien rattrapés. En 2022, le chiffre d’affaires des salles de fitness était en hausse de 21 % par rapport à la période pré-Covid. De manière générale, les salles de fitness, d’escalade, de boxe, de yoga ou de futsal ont le vent en poupe.

Par exemple, depuis le mois de janvier dernier, Basic Fit a ouvert plus de 100 nouvelles salles et réalisé 500 millions d’euros de chiffre d’affaires, en hausse de 41 % par rapport au premier semestre 2022. Autre exemple : Arkose, qui gère des salles d’escalade, vise les 45 millions d’euros de chiffre d’affaires cette année, contre 21 millions en 2019.

Le secret de cette réussite ? Une exploitation intense de la force de travail. Entre le premier semestre 2022 et celui de 2023, la masse salariale de Basic Fit a augmenté de 18 millions d’euros. Dans le même temps, son chiffre d’affaires a augmenté de 146 millions d’euros, soit 8 fois plus. La croissance s’est faite sur le dos des travailleurs.

Exploitation

Dans la « Orange Family » de Basic Fit, on fait tourner les établissements avec le moins de salariés possible. Très souvent, un employé seul, livré à lui-même, doit s’occuper de la gestion de la salle. Au-delà de la charge de travail, cela pose des problèmes de sécurité. Plusieurs salariés – souvent des femmes – disent avoir été victimes d’agressions, d’insultes ou d’intimidations. En réponse, la direction ferme les yeux, « faute de preuves ».

Les salles d’escalade et les restaurants d’Arkose recrutent sur la base d’une ambiance jeune et festive. Les nouveaux arrivants intègrent l’« Arkose Family ». La majorité des employés sont des « hôtes d’accueil polyvalents ». Souvent jeunes et surdiplômés, les employés doivent gérer le bar, le service du restaurant et la vente d’abonnements. Mais on leur demande aussi d’assurer la sécurité sur les murs d’escalade, ce qui implique de prendre la responsabilité des accidents – fréquents et parfois graves – sans avoir reçu de formation aux premiers secours. Parfois, on les retrouve même en cuisine !

Bas salaires et sous-effectifs

Même à Paris, la majorité des salariés d’Arkose touchent le Smic. Ils peuvent commencer tôt le matin (6h30) ou terminer tard le soir (minuit et demi). Ceux qui deviennent « responsables » de pôles obtiennent rarement plus de 50 euros supplémentaires sur leur fiche de paie. Les salariés plus qualifiés, comme les moniteurs ou les ouvreurs (qui construisent les voies sur les murs), touchent en général entre 1400 et 1600 euros nets par mois.

Il arrive souvent que des « hôtes d’accueil » travaillent onze jours de suite, ou qu’ils terminent le soir à minuit et demi pour enchainer le lendemain matin à 8h. En conséquence, les démissions sont fréquentes et aggravent le sous-effectif chronique. Selon Les Echos, il manquerait 0,8 équivalent temps plein par salle de sport, en moyenne. Et les beaux discours sur la « grande famille » de l’entreprise s’arrêtent brutalement dès que des salariés remettent en cause ce modèle. « Si vous n’êtes pas contents, démissionnez », expliquent en somme les patrons de Basic Fit.

Les salariés ne sont pas les seuls à en faire les frais. La réduction systématique des coûts mine les infrastructures et dégrade la qualité des enseignements proposés aux clients. Récemment, dans la salle d’escalade Arkose de Pont de Sèvres, à Boulogne, une gaine de ventilation est tombée sur la tête d’un client, qui a fini aux urgences.

Enfin, les entreprises de ce secteur ont nettement augmenté les prix des entrées, des abonnements et des cours. Pour un nombre croissant de jeunes et de travailleurs, la fréquentation de ces salles de sport est devenue un luxe inaccessible.

S’organiser !

Le discours patronal – « tout le monde est dans le même bateau » – avait relativement bien marché pendant la crise sanitaire. Cependant, la croissance de l’activité et des profits, sur fond d’inflation et de dégradation des conditions de travail, a stimulé le mécontentement et les revendications des salariés.

Dans ce secteur peu syndiqué, les patrons ne lésinent pas sur les moyens de lutter contre la syndicalisation : intimidations, licenciements, chantages… Les éléments « perturbateurs », qui réclament de meilleures conditions, voient leur progression dans l’entreprise paralysée, quand ils ne sont pas poussés à la démission.

Marx expliquait que sans organisation la classe ouvrière n’est que de la matière brute pour l’exploitation. De fait, une couche croissante de salariés commence à tirer les bonnes conclusions : pour changer les choses, il faut s’organiser. Des groupes WhatsApp de plusieurs dizaines de travailleurs se sont formés dans différentes entreprises du secteur, dans le but de créer des syndicats. Ces derniers temps, la CGT s’est implantée notamment chez Climb Up, Arkose, Basic Fit et le Stade Français. La lutte des classes est à l’ordre du jour dans les diverses « familles » du sport en salles !

Le mercredi 20 septembre, insultés par plusieurs députés de droite et d’extrême droite, les représentants des syndicats de l’enseignement claquaient la porte de l’Assemblée nationale, où ils devaient présenter un rapport sur la rentrée scolaire. La rentrée, d’ailleurs, n’avait pas très bien commencé : tandis que Gabriel Attal, le nouveau ministre de l’Education nationale, lançait une énième opération de diversion raciste en interdisant le port de l’abaya, un collège parisien recrutait une enseignante de… 85 ans ! Le tout sur fond de délabrement général de l’Education nationale.

Deux jours plus tôt, Gabriel Attal relançait un « cycle de concertation sur l’Ecole inclusive », c’est-à-dire sur l’intégration des élèves en situation de handicap. Ces « concertations » prenaient la suite des engagements pris par le gouvernement, en avril dernier, à l’occasion d’une Conférence nationale du handicap. Au programme : un peu de rafistolage, pas mal de désintérêt – et beaucoup de précarité, en premier lieu pour les AESH, ces travailleurs qui accompagnent les jeunes handicapés. Plusieurs milliers de ces élèves, d’ailleurs, n’ont pas pu faire leur rentrée.

Un statut dégradé

Plus de 130 000 « accompagnants des élèves en situation de handicap » (AESH) jouent chaque jour un rôle indispensable dans la scolarité de plusieurs centaines de milliers d’élèves. Ils les assistent dans la prise de notes, l’apprentissage et les devoirs, mais aussi dans leur vie sociale à l’école, ou encore dans leurs déplacements quotidiens. Ce métier est systématiquement malmené par les gouvernements successifs. Les AESH se sont donc mobilisés à de nombreuses reprises, notamment l’an passé. Révoltées par l’attitude du gouvernement, qui refuse de prendre en compte les revendications et les besoins réels des AESH, plusieurs organisations syndicales les appellent à se mettre en grève le mardi 3 octobre.

Les AESH dépendent des rectorats, mais ils n’ont pas le statut de fonctionnaire : ce sont des personnels sous contrat de droit public et recrutés en CDD de trois ans renouvelable une fois. Désormais, à l’issue de ces trois ans, un CDI peut leur être proposé. C’est une bonne chose sur le papier, mais l’intersyndicale souligne que cette mesure ne change rien au caractère précaire du métier, car les AESH sont maintenus dans la pauvreté. En fin de compte, ce CDI n’est rien de plus qu’un cache-misère.

Les AESH peuvent travailler à temps complet (1607 heures), mais le plus souvent leur contrat est à temps partiel. Depuis quelques années, ce sont des Pôles Inclusifs d’Accompagnement Localisés (PIAL) qui administrent leurs interventions. Pour les AESH, ces PIAL se traduisent par des modifications d’emploi du temps, des affectations changeantes et des remplacements au pied levé, sans préparation au handicap de l’élève à accompagner…

Bas salaires

La rémunération des AESH est calculée selon une grille indiciaire moins « favorable » que celle des fonctionnaires. Mise à jour en septembre, la nouvelle grille ne satisfait pas les syndicats. De manière générale, les salaires augmentent trop peu, et les AESH qui sont aux plus bas échelons sont toujours rémunérés sous le seuil de pauvreté (1102 euros). A cela s’ajoute une indemnité de fonction, dont le montant dépend de l’exercice effectif de la mission : autrement dit, les AESH à temps partiel touchent une indemnité inférieure à la centaine d’euros prévue pour un temps complet.

Les syndicats résument : « Les temps incomplets imposés et l’existence de contrats de travail de moins de 24 heures hebdomadaires maintiennent ces agents de la Fonction publique – majoritairement des femmes – dans des conditions de vie indignes, souvent sous le seuil de pauvreté. » Ils revendiquent pour les AESH un véritable statut de fonctionnaire, de catégorie B.

Couteaux suisses

Enfin, en avril dernier, Macron annonçait un projet de fusion des missions des AESH avec celles des surveillants (les Assistants d’éducation, ou AED), afin de créer le statut d’Accompagnant à la Réussite Educative (ARE). Le gouvernement prétend qu’il s’agit d’en finir avec la précarité des AESH en leur offrant un temps complet. Problème : ces deux métiers n’ont absolument rien à voir ! Le véritable objectif du gouvernement est d’avoir un personnel « multi-tâches » – sans lui permettre d’accomplir correctement ses missions spécifiques, qui sont pourtant essentielles. A raison, la CGT Educ’Action parle d’une « précarité à tout faire ».

Il est difficile de dire si cette fusion sera mise en œuvre au cours de la prochaine période. Macron lui-même était évasif sur l’échéance. Ce qui est clair, c’est le type d’école dont rêvent le gouvernement Macron et les capitalistes qu’il sert : des personnels de plus en plus précaires et des élèves livrés à eux-mêmes dans des locaux délabrés. Le mouvement ouvrier dans son ensemble doit lutter contre la casse de l’école publique, en revendiquant notamment l’embauche massive de personnels, la fin des statuts précaires et une hausse générale des salaires, qui doivent être indexés sur l’inflation.

Chapeau d’aventurier, pinceau à la main et paysages ensoleillés : l’image d’Epinal de l’archéologue est très éloignée de la réalité. La crise du capitalisme frappe tous les secteurs, y compris la culture et la recherche scientifique. Elle menace la préservation de notre héritage historique.

Dans les rangs de la récente mobilisation contre la réforme des retraites, à Toulouse, des archéologues étaient présents pour dénoncer la précarisation de leur métier, la dégradation de leurs conditions de travail et la privatisation de l’archéologie préventive.

Nous avons rencontré Philippe Gardes, secrétaire-adjoint de la section régionale de la CGT à l’Institut national de recherche en archéologie préventive (INRAP). Ce fut l’occasion d’aborder les attaques subies par l’archéologie publique depuis de nombreuses années.

L’archéologie préventive

Pendant les « Trente Glorieuses », la majorité des sites archéologiques découverts lors de travaux étaient détruits. A partir des années 1980, des archéologues ont dénoncé publiquement ces destructions et revendiqué la reconnaissance d’un réel statut de l’archéologie préventive publique. 1998 fut l’année d’une mobilisation historique des 2000 archéologues présents sur le territoire. Ils ont organisé une grève reconductible de quinze jours qui a paralysé le chantier de l’autoroute A29.

Ce mouvement a débouché sur une loi obligeant les aménageurs à financer préventivement eux-mêmes des fouilles archéologiques, sur instruction de l’Etat. Après de nombreuses tergiversations politiques, l’INRAP fut créé en 2002, sous la pression des archéologues – et des scandales à répétition liés aux saccages de sites.

Privatisation

Cependant, pour le gouvernement Chirac de l’époque, ces fouilles étaient l’occasion d’ouvrir un marché et de dégager des profits. En 2003, Jean-Pierre Raffarin promulguait une loi privatisant une partie de la discipline. Comme nous l’explique Philippe Gardes : « depuis, l’INRAP souffre d’une concurrence privée, et n’a réussi qu’à survivre. (…) Nous ne sommes que 2000 à l’INRAP, pour des dizaines de milliers d’aménagements chaque année en France. Pour chaque intervention, nous devons candidater à un appel d’offres contre des entreprises privées pour pouvoir exercer des fouilles. Bien sûr, l’aménageur prend en général le moins cher, et les entreprises privées font tout pour l’être ».

En 2012, une enquête menée par la CGT a prouvé – faits et chiffres à l’appui – que l’introduction de la concurrence commerciale déstabilisait l’archéologie publique et mettait en danger notre patrimoine historique. Par exemple, cette concurrence provoque un « dumping » sur les moyens d’intervention – et ce jusqu’à l’abandon des méthodes scientifiques sérieuses. Tout est bon pour réduire les coûts et gagner des appels d’offres.

Le rapport de la CGT souligne que ce marché est très juteux : « L’archéologie préventive est devenue une activité très lucrative, avec des entreprises privées qui dégagent des bénéfices considérables et rémunèrent grassement une poignée d’actionnaires ». Et bien sûr, l’enrichissement des actionnaires repose aussi sur la précarisation à marche forcée des archéologues employés par ces entreprises privées.

Précarité

Les jeunes archéologues sont les premiers touchés, comme l’explique Philippe Gardes : « Depuis la fin des années 2000, les embauches d’archéologues dans le secteur public ont drastiquement baissé. Par dépit, les jeunes diplômés se tournent vers le privé. Les conditions de travail sont aussi plus difficiles du fait de la souplesse obligatoire des jeunes employés, qui acceptent ce que les anciens de l’INRAP refuseraient. Rapidement, des troubles musculo-squelettiques et des problèmes psychiques apparaissent ».

Le secteur public n’est pas épargné par la précarité. En 2018, l’INRAP comptait 180 CDD en équivalent temps plein. Selon Philippe Gardes : « faute de moyens, le service privilégie de plus en plus ce type de contrat ». Nombreux sont les jeunes archéologues qui doivent enchaîner les CDD – parfois à temps partiel – et les périodes de chômage. La précarité s’installe alors sur de nombreuses années, avec un salaire qui dépasse rarement 1450 euros net mensuel.

Patrimoine en danger

Outre ses dégâts sociaux, cette situation menace directement le patrimoine historique de l’humanité. Les sites archéologiques sont saccagés par les maigres allocations allouées à la culture. Le capitalisme en crise est incapable d’assurer la préservation des réalisations historiques des hommes – et exploite ceux qui en ont fait leur mission : les archéologues.

Ces derniers luttent, bien sûr : l’histoire de l’archéologie est aussi celle d’archéologues en grève. Néanmoins, sur cette question, le mouvement ouvrier doit se doter d’un programme offensif. Il faut revendiquer la titularisation de tous les archéologues, ainsi que la revalorisation de leurs salaires et leur indexation sur l’inflation. Il faut nationaliser toutes les entreprises privées d’archéologie et les fusionner dans un service public géré démocratiquement par les archéologues eux-mêmes. Il faut exproprier les grandes entreprises du BTP, qui n’ont que faire du patrimoine historique de l’humanité. Enfin, il faut nationaliser les banques pour financer massivement la culture et la recherche scientifique.

En 1903, Rosa Luxemburg remarquait que la classe ouvrière est amenée à « protéger la culture bourgeoise contre le vandalisme de la réaction bourgeoise ». C’est vrai, mais c’est décidément toute la culture, depuis ses origines ancestrales, que nous devons défendre contre le vandalisme du grand Capital.

Les hautes sphères du cinéma et le gouvernement français aiment vanter les mérites de la prétendue « exception culturelle française », mais les conditions de travail dans les festivals du film français n’ont pourtant rien d’« exceptionnelles ». Dans l’ombre des stars et des soirées fastueuses, les travailleurs sont précaires et exploités.

Avec environ 350 festivals de cinéma, la France est le leader du cinéma indépendant et des festivals. L’hexagone accueille aussi les plus importants festivals mondiaux de longs métrages (Cannes), de courts métrages (Clermont-Ferrand) et de films d’animation (Annecy). Mais les travailleurs qui font tourner ces festivals sont soumis à des conditions extrêmement dures et précaires.

Leurs salaires sont souvent proches du SMIC ou à peine supérieurs, y compris pour les travailleurs qui peuvent justifier d’une grande expérience. En outre, pendant un événement, il n’est pas rare de devoir travailler 80, 90, voire plus de 100 heures en une semaine – sans que les heures supplémentaires soient rémunérées, ni que les majorations de nuit ou du dimanche soient prises en compte. Il est aussi courant de travailler plusieurs semaines d’affilée sans période de repos.

Ce rythme effréné pousse en permanence les travailleurs jusqu’à leurs limites mentales et physiques. Les crises d’angoisse, les disputes entre collègues et les burn-out à répétition sont une réalité méconnue des coulisses des festivals.

Régression

Cette situation n’a fait que s’aggraver ces dernières années. En 2019, la réforme de l’assurance chômage a introduit toute une série d’exigences que les travailleurs des festivals remplissent rarement. Nombre d’entre eux ont vu leurs allocations baisser drastiquement, jusqu’à 400 euros par mois, ou leur durée d’indemnisation diminuer de plusieurs mois. Cette réforme a aussi introduit l’obligation d’avoir travaillé durant 6 mois au cours des 24 derniers mois – au lieu de 4 mois au cours des 28 derniers mois – pour pouvoir bénéficier d’une allocation chômage. De nombreux travailleurs précaires des festivals ne remplissant pas ce critère, ils ont été privés de toute allocation entre deux contrats.

Le statut d’intermittent du spectacle était autrefois plus répandu, dans le monde des festivals, et permettait une meilleure indemnisation entre deux contrats. Mais la réforme de 2003 sur le statut des intermittents a privé beaucoup de festivals de la possibilité d’en embaucher. Ce statut, relativement meilleur, est donc aujourd’hui inaccessible à de nombreux travailleurs des festivals.

La crise générale du capitalisme a lourdement frappé ce secteur. Les subventions et les budgets publics de la Culture ont été parmi les premiers à subir les politiques d’austérité. Par exemple, en mai 2023, le Conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes a annoncé la réduction de moitié du financement annuel du Festival du Court-Métrage de Clermont-Ferrand. Il est passé de 210 000 à 100 000 euros.

Dans les festivals, le manque d’effectifs était déjà la norme : les travailleurs sont censés gérer plusieurs projets simultanément, tandis que des stagiaires et des jeunes en service civique accomplissent des tâches qui devraient être des emplois à temps plein et entièrement rémunérés. Avec les baisses des budgets et des subventions, les organisateurs ont réduit les effectifs sans pour autant diminuer la charge de travail, qui pèse d’autant plus lourd sur des travailleurs déjà précaires et hyper-exploités.

Mobilisations

Lorsque les travailleurs protestent contre leurs mauvaises conditions de travail, leurs employeurs leur opposent une vieille rengaine : « vous devriez être contents, car vous travaillez dans un domaine qui vous passionne, le cinéma ». Le problème est que la « passion » ne paie pas le loyer.

Le mécontentement croissant explique la création, en 2020, du Collectif des Précaires des Festivals. Il s’agissait d’une des premières tentatives d’organisation de ce secteur. En sommeil depuis la fin des confinements, le Collectif a été réactivé au début de l’année 2023. Il regroupe aujourd’hui des travailleurs de plus d’une soixantaine de festivals en France.

Le Collectif des Précaires des Festivals revendique la création d’une convention collective pour les festivals – et donc la mise en place d’une grille salariale. Il revendique aussi la généralisation du régime de l’intermittence, sur le modèle des travailleurs du spectacle. Enfin, le collectif revendique l’uniformisation des intitulés de postes (ce qui faciliterait la prise en compte de l’ancienneté), le paiement des heures supplémentaires, des formations adéquates pour les personnels encadrants et l’organisation des festivals de cinéma au sein d’une fédération, pour pouvoir partager des ressources communes et mieux organiser la répartition de la charge de travail.

Cette mobilisation des travailleurs des festivals français est une nouvelle démonstration du militantisme croissant des travailleurs du cinéma, qui se reflète également dans les grandes grèves des acteurs et des scénaristes américains. Ces travailleurs habituellement passifs, car très précaires et peu organisés, sont poussés par la crise du capitalisme à se mobiliser. Pour obtenir ce qu’ils réclament, les travailleurs des festivals doivent se lier au reste de la classe ouvrière, qui subit comme eux les conséquences de la crise. Seule l’unité nous apportera la victoire !

En juin 2022, à Lyon, un enfant de 11 mois mourait d’empoisonnement dans une crèche privée. Ce drame a suscité une émotion et un effroi très vifs dans le pays. Une enquête de l’Inspection générale des affaires sociales a publié son rapport en avril dernier. Nous avons demandé son avis sur ce drame et ce rapport à Laurence, travailleuse du secteur public de la petite enfance. Interview de Laurence, travailleuse du secteur public de la petite enfance.


Révolution : Quel est ton parcours et quel métier exerces-tu ?

Laurence : J’ai une formation de niveau Bac+3 et j’ai exercé, dans le secteur public, le métier de directrice de garderie. Aujourd’hui, je suis éducatrice de jeunes enfants dans une crèche municipale en Ile-de-France.

Que penses-tu du rapport de l’Inspection générale des affaires sociales sur le drame de juin 2022 ?

Il dresse le constat d’une « maltraitance institutionnelle ». C’est exact, mais il faut préciser que cela concerne surtout les crèches privées. Elles emploient des personnes peu ou pas qualifiées, qui trop souvent sont seules face à des groupes d’enfants et doivent, en plus, assurer le ménage des lieux. Il arrive donc qu’elles soient totalement dépassées par leurs tâches.

Ce qui s’est passé à Lyon en est une illustration dramatique. La jeune femme était seule avec des bébés qui n’arrêtaient pas de pleurer. Elle devait les garder tout en faisant le ménage. Elle a craqué et a fait avaler un produit ménager à un bébé, qui en est mort. C’est épouvantable, mais c’est aussi lié à des conditions de travail honteuses.

Selon une étude publiée en 2021 par Xerfi, le secteur des crèches privées – qui ne cesse de croître – a enregistré un chiffre d’affaires de plus de 1,7 milliard d’euros en 2020. Qu’en penses-tu ?

C’est une catastrophe, ce business ! Les parents payent jusqu’à 2000 euros par mois pour y placer leur enfant, mais tout part en décorations et en profits. Tout est fait pour que la décoration des crèches impressionne les parents, mais il manque du personnel qualifié capable d’animer des activités.

De manière générale, toutes les crèches devraient être publiques. Il faut des petites structures locales et publiques qui associent étroitement les parents.

Justement, quelle est la situation dans le secteur public ?

L’Etat et les collectivités gèrent et financent ces crèches, mais on retrouve un fonctionnement basé sur la rentabilité. C’est terrible, car une crèche n’est pas censée être rentable ! Le fonctionnement de la Protection Maternelle Infantile et de la Caisse d’Allocations Familiales implique notamment de prouver qu’une crèche atteint un certain taux de présence d’enfants pour bénéficier des subventions. Ça signifie, par exemple, que si un enfant a une gastro, on ne va pas forcément le renvoyer chez lui, car cela pourrait faire baisser le taux de présence et donc réduire les financements. Moyennant quoi tout le monde tombe malade…

Les conditions de travail se dégradent progressivement, faute de personnels et de budgets suffisants.

Comment est-ce que cela se manifeste, concrètement ?

Lorsqu’il n’y a pas suffisamment d’adultes pour garder les enfants dans des espaces distincts, il y a souvent trop de monde dans une même pièce, ce qui fatigue les adultes et les enfants, à cause du bruit.

Faute de moyens suffisants, on est aussi obligé de réduire les activités. Par exemple, par le passé, j’animais une activité « terre glaise » avec quatre enfants, dans une petite piscine remplie de glaise, pour leur permettre de rire et s’exprimer. Mais cela nécessite de laver les enfants après l’activité, de faire sécher le matériel, etc. On n’a plus le temps. Donc j’ai dû renoncer à cette activité.

Que penses-tu des annonces du gouvernement, après la publication du rapport ?

Le gouvernement affirme vouloir augmenter l’attractivité du secteur pour lutter contre le manque de personnel. Mais les crèches privées, par définition, réduisent le personnel au minimum pour maximiser leurs profits. Par ailleurs, les conditions de travail et les salaires sont trop mauvais. Le gouvernement peut bien annoncer qu’il va conditionner les financements publics à « des objectifs de qualité » : toute sa politique va dans le sens d’une dégradation de la qualité.

Il y a eu un tournant sous Sarkozy, avec la loi Morano (2010), qui a réduit les qualifications requises et le nombre minimum d’adultes encadrant les enfants. Et ça continue ! L’ordonnance Taquet de 2021 et le décret « expérimental » publié en décembre 2022 vont dans le même sens : alléger les contraintes de fonctionnement dans les crèches privées.

Est-ce qu’il y a eu des mobilisations marquantes dans ton secteur ?

Depuis la loi Morano en 2010, il y a une série de mobilisations ponctuelles sous le mot d’ordre : « pas de bébé à la consigne ! ». Mais à part cela, pas grand-chose. Il faudrait que les syndicats nous aident à mobiliser les parents, pour que nous puissions nous appuyer sur eux.

Pour financer mes études d’histoire, je dois travailler deux jours par semaine. Je prépare des commandes dans une entreprise de parapharmacie qui exporte dans toute l’Union Européenne. Je travaille 16 heures sur deux jours.

Pour me rendre au travail, je dois prendre deux métros différents, puis un bus. Je mets plus d’une heure. Ce long trajet s’ajoute à la pénibilité de ma journée de travail. Le lundi est ma plus grosse journée : je travaille pendant 9h50. Je pointe à 9 heures, termine à 19h30 et n’ai que 40 minutes de pause à midi. Le dernier bus passe à l’heure où je termine : je ne peux donc pas le prendre et dois marcher jusqu’au métro pour rentrer chez moi.

Cadences et surveillants

J’occupe deux postes dans la journée. Le premier consiste à préparer des commandes en allant chercher le matériel dans un immense hangar rempli d’étagères. Le second consiste à préparer les colis pour l’envoi.

On a 40 minutes pour préparer une commande. C’est compliqué, car rien n’est correctement rangé dans l’entrepôt. Pour s’assurer que la commande sera prête dans les délais imposés, des supérieurs sont chargés de nous surveiller. Ils ont des talkies-walkies et communiquent entre eux constamment. Ils nous observent, se disent à quelle rangée de l’entrepôt nous nous trouvons, et estiment en combien de temps on doit passer à la zone suivante. Si nous n’allons pas assez vite, ces supérieurs viennent nous réprimander. Ils nous poussent à faire le plus possible, le plus vite possible. Le rythme est très soutenu.

Comme si ces pressions n’étaient pas suffisantes pour augmenter notre cadence, il y a aussi une équipe « élite » pour nous « motiver ». Pour faire partie de cette équipe et bénéficier de quelques privilèges (un meilleur matériel, un endroit spécial dédié, une promotion), il faut réaliser les meilleurs temps de préparation, et donc courir en permanence. Evidemment, cela stimule la concurrence entre salariés.

Les cadences de travail imposées ne permettent pas de sympathiser avec ses collègues. Nous n’avons pas le temps de nous parler, et lorsque nous échangeons quelques mots, les supérieurs qui nous surveillent nous rappellent à l’ordre.

Au bout de mon deuxième mois de travail, j’ai découvert que j’avais droit à une pause de 5 minutes, l’après-midi. Personne ne m’en avait informé. C’est mon premier emploi, je suis un jeune étudiant et je ne connais pas bien le monde du travail. Mes supérieurs jouent sur ça.

Conditions déplorables

C’est un travail éreintant. D’abord, il faut courir toute la journée sans jamais s’asseoir. Ensuite, les commandes peuvent être très lourdes. Certaines pèsent plus de 50 kilos. Je suis jeune, mais pourtant, à force de me baisser et de porter de lourdes charges, je commence à avoir des problèmes de dos.

L’entrepôt n’a pas de fenêtres et n’est éclairé que par des lumières artificielles. Il n’y a aucune isolation. L’hiver, il y fait très froid et on peut voir la condensation de sa respiration. Seuls les bureaux sont munis de chauffage. Cet hiver, je suis tombé malade plusieurs fois.

Aucun matériel n’est fourni (ni gants, ni manteaux), simplement des gilets de couleur qui permettent aux supérieurs de savoir à quelle équipe on appartient. Au manque de matériel s’ajoute le problème des appareils défectueux qui ne sont presque jamais remplacés. Ce travail me détruit mentalement et physiquement. Je fais des crises d’angoisse quotidiennes.

Précarité étudiante

Je travaille pour être en mesure de payer mes études. Je suis boursier, mais ce que je reçois ne me permet même pas de payer mon loyer. Avec ce travail, j’ai juste de quoi payer mon loyer et de maigres courses pour me nourrir, ce qui ne laisse aucune place pour un loisir à côté.

Je suis obligé de travailler malgré ces conditions déplorables. L’entreprise profite de ces contrats étudiants et tente même, parfois, de garder la dernière paye. C’est arrivé à une de mes collègues étudiantes : au bout de son contrat, il lui a fallu plusieurs relances pour obtenir sa paye. Elle n’est pas la seule à avoir eu ce genre de problèmes.

Je reprends les cours le mardi, après avoir enchaîné près de 10 heures de travail la veille. Je n’ai jamais de jours de repos. Lorsque je ne travaille pas et que je ne suis pas à la fac, je dois réviser mes cours et potasser sur les devoirs à rendre. En moyenne, je dors 4 heures par nuit pour arriver à tenir le rythme.

C’est un CDD de trois mois renouvelable. A la fin de mon contrat, je n’en signerai pas un nouveau car je suis à bout mentalement et physiquement. Je n’arrive pas à tenir le rythme de la fac et les pressions imposées par mon travail. Je ne sais pas comment je vais m’en sortir financièrement, ce qui amplifie mes angoisses.