Comment se pose la question

La rupture avec l’Internationale Communiste et l’orientation vers la nouvelle Internationale ont posé de nouveau la question du caractère social de l’U.R.S.S. L’effondrement de l’I.C. ne signifie-t-il pas en même temps l’effondrement de l’état qui est issu de la révolution d’Octobre ? Dans les deux cas, il s’agit d’une seule et même organisation dirigeante : de l’appareil stalinien. Il appliquait les mêmes méthodes à l’intérieur de l’U.R.S.S. que sur l’arène internationale. Nous, marxistes, nous n’avons jamais défendu la comptabilité double des brandlériens, pour qui la politique des staliniens en U.R.S.S. est sans reproche, mais, en dehors de l’U.R.S.S., désastreuse [1]. Notre conviction est qu’elle est aussi désastreuse dans les deux cas. Ne faut-il pas alors reconnaître en même temps l’effondrement de l’I.C. et la liquidation de la dictature prolétarienne en U.R.S.S. ?

Ce raisonnement semble à première vue inattaquable. Mais il est erroné. Si les méthodes de la bureaucratie stalinienne sont de la même espèce dans tous les domaines, les résultats objectifs de ces méthodes dépendent des conditions extérieures ou, dans le langage de la mécanique, de la résistance des matériaux. L’lnternationale communiste représentait une arme destinée à anéantir le régime capitaliste et à instaurer la dictature du prolétariat. L’État soviétique représente une arme destinée à sauvegarder les conquêtes d’une révolution déjà accomplie. Les partis communistes d’Occident n’ont hérité d’aucun capital. Leur force (en fait leur faiblesse) est en eux-mêmes et seulement en eux. La force de l’appareil n’est, pour les neuf dixièmes, pas en lui-même, mais dans les changements sociaux effectués par la révolution victorieuse. Certes, cette seule considération ne tranche pas la question : mais elle a une grande importance méthodologique. Elle nous montre comment et pourquoi l’appareil stalinien a pu perdre définitivement son importance comme facteur révolutionnaire international et conserver une partie de son importance progressive comme gardien des conquêtes sociales de la révolution prolétarienne. Cette situation double représente, c’est le cas de le dire, une des manifestations de la loi du développement inégal de l’histoire.

Une politique juste de l’État ouvrier ne peut se réduire seulement à une construction économique nationale. Si la révolution ne s’élargit pas sur l’arène internationale suivant le système d’une spirale prolétarienne, elle commencera inévitablement à se rétrécir dans les cadres nationaux suivant le système d’une spirale bureaucratique. Si la dictature du prolétariat ne devient pas européenne et mondiale, elle ira au-devant de son propre effondrement. Dans une grande perspective historique, tout cela est absolument incontestable. Mais toute la question est dans les délais concrets. Peut-on dire que la politique de la bureaucratie stalinienne a déjà mené à la liquidation de l’État ouvrier ? C’est en cela qu’est maintenant la question.

À l’affirmation que l’État ouvrier serait déjà liquidé s’oppose avant tout un important principe méthodologique du marxisme. La dictature prolétarienne a été instaurée à l’aide d’une révolution politique et de trois années de guerre cruelle. La théorie des classes sociales comme l’expérience historique témoignent également de l’impossibilité de la victoire du prolétariat par la voie pacifique, c’est-à-dire sans grandioses luttes de classes, les armes à la main. En ce cas, une contre-révolution bourgeoise pacifique, insensible, « graduelle », est-elle concevable ? Jusqu’à maintenant, en tout cas, les contre-révolutions féodales comme bourgeoises ne se sont jamais déroulées « organiquement », mais ont absolument exigé l’intervention chirurgicale militaire. Les théories du réformisme, pour autant que le réformisme, d’une façon générale, s’est élevé jusqu’aux théories, sont toujours fondées en fin de compte sur l’incompréhension de la profondeur et de l’inconciliabilité des contradictions des classes : d’où la perspective de la transformation pacifique du capitalisme en socialisme. La thèse marxiste du caractère catastrophique qu’a le passage du pouvoir des mains d’une classe aux mains d’une autre ne se rapporte pas seulement aux périodes révolutionnaires quand l’histoire se précipite furieusement en avant, mais aussi aux périodes de contre-révolution quand la société recule. Qui affirme que l’État soviétique s’est transformé graduellement d’État prolétarien en État bourgeois ne fait que dérouler en sens inverse le film du réformisme.

Les adversaires peuvent objecter que ce raisonnement méthodologique général, malgré toute son importance, est tout de même trop abstrait pour trancher la question. La vérité est toujours concrète. La thèse de l’inconciliabilité des contradictions de classes peut et doit diriger notre analyse, mais ne peut en remplacer les résultats. Il faut pénétrer dans le contenu matériel du processus historique même.

Nous répondons : il est vrai que l’argument méthodologique n’épuise pas le problème. Mais, en tout cas, il fait passer la charge de la démonstration sur la partie adverse. Les critiques qui se croient marxistes doivent montrer de quelle manière la bourgeoisie, qui a cédé le pouvoir après une lutte de trois années, pourrait le rattraper sans aucune lutte. Mais, puisque nos adversaires n’essaient pour ainsi dire pas de donner à leur appréciation de l’État soviétique une expression théorique sérieuse quelconque, nous essaierons de faire ici ce travail pour eux.

« Dictature sur le prolétariat »

L’argument le plus répandu, le plus courant et, à première vue, le plus irréfutable en faveur du caractère non prolétarien de l’État soviétique actuel, c’est de s’appuyer sur l’étouffement de la liberté des organisations prolétariennes et la toute-puissance de la bureaucratie. Peut-on, en réalité, identifier la dictature de l’appareil, qui a mené à la dictature d’une seule personne, à la dictature du prolétariat, en tant que classe  ? N’est-il pas clair que la dictature du prolétariat est éliminée par la dictature sur le prolétariat ? Ce raisonnement séduisant n’est pas basé sur une analyse matérialiste du processus, tel qu’il se développe dans la réalité, mais sur des schémas purement idéalistes, sur des normes kantiennes. Certains nobles « amis » de la révolution se sont fait de la dictature une image très resplendissante et tombent dans une prostration complète devant le fait que la dictature réelle, avec tout son héritage de barbarie de classe, avec toutes ses contradictions internes, avec les erreurs et les crimes de la direction, ne ressemble absolument pas à cette image léchée, qu’ils s’étaient faite. Désillusionnés de leurs meilleurs sentiments, ils tournent le dos à l’Union soviétique.

Où et dans quels livres peut-on trouver une recette infaillible de dictature prolétarienne ? La dictature d’une classe ne signifie pas toujours la participation directe de toute la masse à la direction de l’État. Nous avons vu cela surtout par l’exemple des classes possédantes. La noblesse a dominé par l’entremise de la monarchie, devant laquelle elle était à genoux. La dictature de la bourgeoisie n’a pris des formes démocratiques relativement étendues que dans les conditions de montée du capitalisme, quand la classe dominante n’avait rien à craindre. Sous nos yeux, la démocratie a fait place en Allemagne à l’autocratie de Hitler, où tous les partis bourgeois traditionnels ont été mis en miettes. Actuellement, la bourgeoisie allemande ne gouverne pas directement  : politiquement, elle se trouve dans une soumission complète à Hitler et à ses bandes. Néanmoins, la dictature de la bourgeoisie en Allemagne reste inaltérée, car toutes les conditions de sa domination sociale sont conservées et renforcées. En expropriant politiquement la bourgeoisie, Hitler l’a sauvée, ne fût-ce que provisoirement, de l’expropriation économique. Le fait que la bourgeoisie s’est montrée contrainte de recourir au régime fasciste témoigne que sa domination était menacée, mais nullement qu’elle s’est effondrée.

Anticipant sur notre conclusion ultérieure, nos adversaires s’empresseront de nous objecter : si la bourgeoisie, comme minorité exploiteuse, peut maintenir sa domination même à l’aide de la dictature fasciste, le prolétariat, qui édifie la société socialiste, doit diriger son État lui-même, directement, entraînant des couches toujours plus larges du peuple dans les affaires de direction. Sous cette forme générale, cet argument est absolument indiscutable, mais dans le cas donné il signifie seulement que la dictature soviétique actuelle est une dictature malade. Les difficultés terribles de l’édification socialiste dans un pays isolé et arriéré, jointes à la fausse politique de la direction, qui elle aussi reflète en fin de compte la pression du retard et de l’isolement, ont abouti à ce que la bureaucratie a exproprié le prolétariat politiquement pour sauvegarder par ses propres méthodes les conquêtes sociales de celui-ci. L’anatomie de la société se détermine par ses rapports économiques. Tant que les formes de la propriété créées par la révolution d’Octobre ne seront pas renversées, la classe dominante reste le prolétariat.

Les considérations sur « la dictature de la bureaucratie sur le prolétariat », sans analyse plus profonde, c’est-à-dire sans définition de racines sociales et des limites de classe du commandement bureaucratique, se réduisent tout simplement à des phrases démocratiques clinquantes, très fréquentes chez les mencheviks. On ne peut pas douter que l’immense majorité des ouvriers soviétiques ne sont pas contents de la bureaucratie, qu’une importante partie d’entre eux, et ce n’est pas la pire, la déteste. Si cependant ce mécontentement ne prend pas des formes orageuses et massives, ce n’est pas seulement à cause des répressions : les ouvriers ont peur, en renversant la bureaucratie, d’ouvrir le champ aux ennemis de classe. Les relations entre la bureaucratie et la classe sont en réalité plus compliquées que des « démocrates » légers ne se le représentent. Les ouvriers soviétiques viendraient à bout de l’absolutisme de l’appareil si s’ouvrait devant eux une autre perspective, si à l’Occident le ciel ne prenait pas la teinte brune du fascisme, mais la couleur rouge de la révolution. Tant qu’il n’y aura rien de cela, le prolétariat tolérera en grinçant des dents la bureaucratie et dans ce sens verra en elle l’instrument de la dictature prolétarienne. Tout ouvrier soviétique, si l’on parle avec lui à coeur ouvert, ne ménagera pas les fortes paroles à l’adresse de la bureaucratie stalinienne. Mais pas un d’entre eux n’admettra que la contre-révolution est déjà accomplie. Le prolétariat forme la colonne vertébrale de l’État soviétique. Mais dans la mesure où la fonction de domination est concentrée dans les mains d’une bureaucratie irresponsable, nous avons devant nous un État manifestement malade. Est-il guérissable ? Poursuivre des tentatives de traitement, cela ne signifie-t-il pas une dépense stérile de temps précieux ? La question est mal posée. Par traitement, nous entendons non pas des mesures artificielles, détachées du mouvement révolutionnaire mondial, mais la continuation de la lutte sous le drapeau du marxisme. La critique impitoyable de la bureaucratie stalinienne, l’éducation des cadres de la nouvelle Internationale, la régénération de la capacité de lutte de l’avant-garde prolétarienne mondiale – telle est l’essence du « traitement ». Il coïncide avec la direction fondamentale du progrès historique.

Ces dernières années – notons-le en passant –, des adversaires nous ont dit plus d’une fois que «  nous perdrons du temps en vain », en nous occupant du traitement de l’Internationale communiste. Nous n’avons jamais promis à personne que nous guéririons l’I.C. Nous nous sommes seulement refusé, jusqu’à vérification définitive, de déclarer que le malade était mort ou sans espoir. Dans chaque cas, nous n’avons pas perdu un seul jour pour ce « traitement ». Nous avons formé des cadres révolutionnaires et ce n’est pas moins important, préparé les positions fondamentales théoriques et programmatiques de la nouvelle Internationale.

Dictature du prolétariat, norme idéaliste

Messieurs les sociologues « kantistes » (nous nous excusons devant l’ombre de Kant) aboutissent souvent à la conclusion que la « pure » dictature, c’est-à-dire telle qu’elle répond à leurs normes idéales, n’a existé que dans les journées de la Commune de Paris ou dans la première période de la révolution d’Octobre, avant la paix de Brest-Litovsk, dans le meilleur des cas, jusqu’à la N.E.P. [2]. Voilà qui signifie se mettre le doigt dans l’oeil. Si Marx et Engels ont appelé la Commune de Paris la « dictature du prolétariat », c’est seulement en vertu des possibilités qui se trouvaient en elle. Mais en soi la Commune n’était pas encore la dictature du prolétariat. S’étant emparé du pouvoir, elle ne sut pas bien qu’en faire : elle n’attaquait pas, mais attendait ; elle restait enfermée dans l’anneau de Paris ; elle n’osait pas toucher à la banque gouvernementale ; elle n’a pas accompli et ne pouvait accomplir la révolution dans les rapports de propriété, car elle ne disposait pas du pouvoir à l’échelle nationale. À cela, il faut ajouter le sectarisme blanquiste et les préjugés proudhoniens [3], qui ne permettaient pas même aux chefs du mouvement de comprendre pleinement la Commune comme la dictature du prolétariat.

La référence à la première période de la révolution d’Octobre n’est pas plus heureuse. Non seulement jusqu’à la paix de Brest-Litovsk, mais même jusqu’à l’automne 1918, le contenu social de la révolution se limitait au soulèvement agraire petit-bourgeois et au contrôle ouvrier sur la production. Cela signifie que la révolution ne dépassait pas encore, par ses actions, les limites de la société bourgeoise. Dans cette première période, à côté des soviets ouvriers, et plus d’une fois les écartant, dominaient les soviets de soldats. C’est seulement en l’automne 1918 que l’élément petit-bourgeois agraire, soldats et paysans, rentre dans son lit et que les ouvriers se mettent à nationaliser les moyens de production. C’est seulement à ce moment qu’on peut parler du commencement de la véritable dictature du prolétariat. Mais même ici il faut encore une grande réserve. Géographiquement, la dictature dans ses premières années se limitait à l’ancienne principauté de Moscou et a été obligée de mener une guerre de trois ans dans toutes les directions qui vont de Moscou vers la périphérie. Cela signifie que, jusqu’en 1921, c’est-à-dire précisément jusqu’à la N.E.P., on ne faisait que mener encore la lutte pour l’instauration de la dictature du prolétariat à l’échelle de tout l’État. Et puisque, dès le début de la N.E.P., selon l’opinion de philistins pseudomarxistes, la dictature disparut, c’est dire qu’elle n’a absolument jamais existé. Pour ces messieurs, la dictature du prolétariat est une simple notion impondérable, une norme idéale irréalisable sur notre terre pécheresse. Il n’est pas étonnant que les « théoriciens » de ce type, dans la mesure où ils ne renoncent pas purement et simplement au nom de dictature, s’efforcent d’effacer la contradiction irréductible entre elle et la démocratie bourgeoise.

Extrêmement curieuse, d’un point de vue de laboratoire et non politique, est la secte parisienne des «  communistes-démocrates  » (Souvarine et compagnie). Leur nom même contient déjà la rupture avec le marxisme. Dans la Critique du programme de Gotha [4], Marx rejetait le nom de social-démocrate, vu qu’il place la lutte socialiste révolutionnaire sous le contrôle formel de la démocratie. Il est absolument évident que les « communistes-démocrates » ne se distinguent pas principiellement des « socialistes-démocrates » c’est-à-dire des sociaux-démocrates. Entre le socialisme et le communisme, il n’y a pas de cloison stable. La chute commence au moment où le socialisme et le communisme, en tant que mouvement ou en tant qu’État, ne se subordonnent pas à la marche réelle de la lutte de classes, aux conditions matérielles du processus historique, mais à l’abstraction suprasociale et suprahistorique de la « démocratie », qui en fait est un instrument d’autodéfense de la bourgeoisie contre la dictature prolétarienne. Si, à l’époque du programme de Gotha, on pouvait voir dans le mot social-démocratieseulement un nom inexact, non scientifique pour un parti prolétarien sain dans son esprit, toute l’histoire ultérieure de la démocratie bourgeoise et « sociale » fait du drapeau du «  communisme [?] démocratique  » le drapeau d’une trahison directe de classe.

Bonapartisme

L’adversaire du type d’Urbahns dira : il n’y a pas encore réellement de restauration du régime bourgeois, mais il n’y a déjà plus d’État ouvrier  ; le régime soviétique actuel est un État bonapartiste au-dessus des classes ou entre les classes. En son temps, nous avons déjà réglé son compte à cette théorie. Historiquement, le bonapartisme fut et reste un gouvernement de la bourgeoisie dans les périodes de crise de la société bourgeoise. On peut et l’on doit distinguer le bonapartisme «  progressif  », qui consolide les conquêtes purement capitalistes de la révolution bourgeoise, et le bonapartisme de déclin de la société capitaliste, le bonapartisme convulsif de notre époque (Papen-Schleiher, Dollfuss, le candidat au titre de Bonaparte hollandais Colijn, etc.). Bonapartisme signifie toujours un louvoiement politique entre les classes ; mais, sous le bonapartisme dans toutes ses réincarnations historiques, se retrouve une seule et même base sociale : la propriété bourgeoise. Il n’y a rien de plus absurde que, des louvoiements bonapartistes entre les classes ou de la situation « au-dessus des classes » de la clique bonapartiste, conclure au caractère sans classe de l’État bonapartiste. Monstrueuse niaiserie : le bonapartisme n’est qu’une des variétés de l’État capitaliste.

Si Urbahns veut généraliser la notion de bonapartisme, en l’étendant aussi au régime soviétique actuel, nous sommes prêts à accepter une telle interprétation élargie – à une seule condition que le contenu social du « bonapartisme » soviétique soit défini avec la clarté nécessaire. Il est absolument vrai que l’absolutisme de la bureaucratie soviétique s’est formé sur le terrain du louvoiement entre les forces des classes, intérieures comme extérieures. Dans la mesure où le louvoiement bureaucratique fut couronné par le régime personnel et plébiscitaire de Staline, on peut parler de bonapartisme soviétique. Mais tandis que le bonapartisme des deux Bonaparte, comme celui de leurs lamentables rejetons actuels, s’est développé et se développe sur la base du régime bourgeois, le bonapartisme de la bureaucratie soviétique a sous lui le terrain d’un régime prolétarien. Les innovations de terminologie ou les analogies historiques peuvent présenter telle ou telle commodité pour l’analyse, mais ne peuvent changer la nature sociale de l’État soviétique.

« Capitalisme d’État »

Dans la dernière période, Urbahns a créé, du reste, une nouvelle théorie : la structure économique des soviets présente une variété de « capitalisme d’État ». Le « progrès » consiste en ce que, des exercices de terminologie dans le domaine de la superstructure politique, Urbahns est descendu au fondement économique. Mais cette descente, hélas, ne lui rapporte rien de bon.

Le capitalisme d’État est, selon Urbahns, la dernière forme d’autodéfense du régime bourgeois : il suffit de regarder l’État corporatif « planifié » en Italie, en Allemagne et aux États-Unis. Habitué aux gestes larges, Urbahns ajoute aussi ici l’U.R.S.S. De cela, nous en parlons plus bas. En ce qui concerne les États impérialistes, Urbahns touche un phénomène extrêmement important de notre époque. Le capitalisme monopolisateur a dépassé depuis longtemps les cadres mêmes de la propriété privée des moyens de production et les limites de l’État national. Cependant la classe ouvrière, paralysée par ses propres organisations, n’a pas su libérer à temps des chaînes capitalistes les forces productives de la société. De là une époque, qui traîne en longueur, de convulsions économiques et politiques. Les forces productives se heurtent aux cloisons de la propriété privée et des frontières nationales. Les États bourgeois sont contraints de réprimer la révolte de leurs propres forces productives à l’aide du poing policier. C’est cela, la prétendue « économie planifiée ». On peut conventionnellement la nommer capitalisme d’État, dans la mesure où l’État tente de dompter et de discipliner l’anarchie capitaliste.

Rappelons, cependant, que primitivement les marxistes, sous le mot capitalisme d’État, comprenaient uniquement les entreprises économiques appartenant à l’État. Quand les réformistes rêvèrent de vaincre le capitalisme à l’aide de la municipalisation et de l’étatisation d’un nombre toujours plus grand d’entreprises des transports et de l’industrie, les marxistes répliquèrent : ce n’est pas le socialisme, mais du capitalisme d’État. Cependant, par la suite, cette mention reçut un sens élargi et vint s’appliquer à toutes les formes d’immixtion de l’État dans l’économie. Les Français emploient dans ce sens le mot « étatisme ».

Urbahns, cependant, ne constate pas seulement les tentatives du «  capitalisme d’État » – il les apprécie à sa manière. Autant qu’on puisse comprendre quelque chose chez lui, il déclare que le régime du « capitalisme d’État » est un stade indispensable, et en outre progressif, dans le développement de la société, dans le même sens que le trust est un progrès en comparaison avec les entreprises dispersées. Cette seule erreur fondamentale dans l’appréciation de la planification capitaliste suffit à enterrer n’importe quelle tendance.

Si, à l’époque de l’ascension capitaliste, à laquelle la guerre mit fin, on pouvait considérer les différentes formes d’étatisation – avec certaines prémices politiques – comme un phénomène progressif, c’est-à-dire penser que le capitalisme d’État menait la société en avant, en facilitant le futur travail économique de la dictature prolétarienne, il faut considérer l’« économie planifiée » actuelle comme un stade absolument réactionnaire : le capitalisme d’État aspire à arracher l’économie à la division internationale du travail, à adapter les forces productives au lit de Procuste [5] de l’État national, à réduire artificiellement l’économie dans certaines branches et à créer artificiellement d’autres branches à l’aide d’immenses faux frais. La politique économique de l’État actuel, en commençant par des douanes du type de celles de l’ancienne Chine et en finissant aux épisodes d’interdiction de machines dans l’« économie planifiée » de Hitler, parvient à une régularisation instable au prix de l’abaissement de l’économie nationale, de l’introduction du chaos dans les relations mondiales et d’un désarroi complet du système monétaire, dont on aura bien besoin pour la planification socialiste. Le capitalisme d’État actuel ne prépare pas et ne facilite pas le futur travail de l’État socialiste ; au contraire, il crée pour ce travail de colossales difficultés supplémentaires. Le prolétariat a laissé échapper un certain nombre de moments pour prendre le pouvoir. Ainsi, il a créé les conditions : dans la politique – pour la barbarie fasciste, dans l’économie – pour le travail destructeur du «  capitalisme d’État  ». Après la conquête du pouvoir, le prolétariat aura à s’acquitter économiquement de ses manquements politiques.

L’économie de l’URSS

Cependant, dans les cadres du présent travail, ce qui nous intéresse avant tout, c’est le fait qu’Urbahns tente de présenter aussi l’économie soviétique sous la notion de « capitalisme d’État ». Pour cela – c’est difficile à croire –, il se réfère à Lénine. Une seule manière d’expliquer cette référence : éternel inventeur, qui crée chaque mois une théorie nouvelle, Urbahns n’a pas le temps de lire les livres auxquels il se réfère. Le terme de « capitalisme d’État », Lénine l’applique réellement, mais pas à l’économie soviétique dans son ensemble, seulement à une partie déterminée de celle-ci : aux concessions étrangères, aux sociétés mixtes industrielles et commerciales et, en partie, à la coopération paysanne, dans une grande mesure « koulak » [6] contrôlée par l’État. Tout cela, ce sont des éléments indiscutables de capitalisme ; mais, puisqu’ils sont contrôlés par l’État et même fonctionnent avec sa participation directe, comme les sociétés mixtes, Lénine conventionnellement « entre guillemets », selon sa propre expression, nommait ces formes économiques « capitalisme d’État ». Ce qui faisait que le terme était conventionnel, c’était qu’il s’agissait non pas d’un État bourgeois, mais d’un État prolétarien : les guillemets devaient précisément souligner cette différence, qui n’est pas de peu d’importance. Cependant, dans la mesure où l’État prolétarien tolérait le capital privé et lui permettait, dans certaines limites, d’exploiter les ouvriers, il couvrait d’une de ses ailes des rapports bourgeois. C’est dans ce sens, strictement restreint, qu’on pouvait parler de « capitalisme d’État ».

Lénine lança le terme même au moment du passage à la N.E.P., quand il supposait que les concessions et les « sociétés mixtes », c’est-à-dire les entreprises basées sur l’union du capital étatique et privé, prendraient une place très grande dans l’économie soviétique, à côté des trusts et des syndicats purement étatiques. En opposition avec les entreprises étatiques-capitalistes, c’est-à-dire les concessions, etc., Lénine définissait les trusts et syndicats soviétiques comme des « entreprises du type socialiste conséquent  ». Le développement ultérieur de l’économie soviétique, particulièrement de l’industrie, Lénine se le représentait sous la forme d’une concurrence des entreprises étatiques-capitalistes et celles purement étatiques.

Maintenant, espérons-nous, on voit clairement dans quelles limites Lénine employait le terme, qui a séduit Urbahns. Pour achever la catastrophe théorique du chef du «  Lenin [!] bund », il faut encore rappeler que les concessions et les sociétés mixtes, contrairement aux premières attentes de Lénine, n’ont joué dans l’économie soviétique presque aucun rôle. Il ne reste maintenant absolument rien de ces entreprises étatiques-capitalistes. Au contraire, les trusts soviétiques, dont le sort se montrait encore très précaire à l’aube de la N.E.P., ont reçu dans les années qui suivirent la mort de Lénine un développement gigantesque. Ainsi, si l’on utilise la terminologie de Lénine consciencieusement et en comprenant la chose, il revient à dire que le développement économique des soviets est complètement passé à côté du stade du « capitalisme d’État » et s’est développé par le canal des entreprises du « type socialiste conséquent ».

Cependant, ici aussi, il faut écarter des malentendus possibles, cette fois-ci d’un genre tout à fait contraire. Lénine choisissait ses termes exactement. Il appelait les trusts non pas des entreprisessocialistes, comme les nomment maintenant les staliniens, mais des entreprises « du type socialiste ». Cette distinction précise dans la terminologie signifiait, sous la plume de Lénine, que les trusts recevraient le droit de se qualifier de socialistes, non pas pour le type, c’est-à-dire pour les tendances, mais pour tout leur contenu, quand ils auront révolutionné l’économie agraire, quand ils auront anéanti la contradiction entre la ville et le village, quand ils auront appris à satisfaire complètement toutes les exigences humaines, autrement dit seulement quand, sur la base de l’industrie nationalisée et de l’agriculture collectivisée, ils formeront une véritable société socialiste. L’accomplissement de ce but, Lénine l’envisageait comme le travail successif de deux ou trois générations, d’ailleurs en liaison indissoluble avec le développement de la révolution internationale.

Résumons-nous. Par capitalisme d’État, dans le sens strict du mot, il faut comprendre la direction par l’État bourgeois d’entreprises industrielles et autres pour son propre compte ou l’immixtion « régularisante » de l’État bourgeois dans le travail des entreprises capitalistes privées. Par capitalisme d’État, entre guillemets, Lénine comprenait le contrôle de l’État prolétarien sur les entreprises et les rapports capitalistes privés. Pas une seule de ces définitions ne peut s’appliquer à l’État soviétique actuel. Quel contenu économique concret Urbahns donne-t-il précisément à la notion de « capitalisme d’État » soviétique, ça reste absolument secret. Autant dire que toute sa théorie nouvelle est construite sur une citation mal lue.

Bureaucratie et classe dirigeante

Il y a cependant encore une autre théorie du caractère « non prolétarien » de l’État soviétique, plus compliquée, plus mesurée, mais pas plus sérieuse. Le social-démocrate français Lucien Laurat, compagnon de Blum et précepteur de Souvarine, a écrit un livre pour défendre le point de vue que la société soviétique, sans être ni prolétarienne, ni bourgeoise, présente en soi un type absolument nouveau d’organisation de classe, puisque la bureaucratie non seulement domine politiquement sur le prolétariat, mais encore l’exploite économiquement, en absorbant la plus-value qui auparavant revenait en partage à la bourgeoisie. Laurat revêt ses découvertes de formules pesantes du Capital et donne ainsi à sa « sociologie » superficielle, purement descriptive, une apparence de profondeur. Le compilateur à ce qu’il semble, ne sait pas que toute sa théorie, avec seulement beaucoup plus d’ardeur et d’éclat, fut formulée il y a plus de trente ans par le révolutionnaire russo-polonais Makhaïsky, qui avait sur son vulgarisateur français l’avantage de ne pas avoir attendu ni la révolution d’Octobre, ni la bureaucratie stalinienne pour définir par avance la « dictature du prolétariat » comme un échafaudage pour les postes de commande de la bureaucratie exploiteuse. Mais même Makhaïsky ne créa pas sa théorie en ne partant de rien : il ne fit qu’« approfondir » sociologiquement et économiquement les préjugés anarchistes contre le socialisme étatique. Makhaïsky, disons-le en passant, se servait aussi des formules de Marx, mais plus conséquemment que Laurat : selon Makhaïsky, l’auteur du Capitaldissimula avec mauvaise foi dans les formules de la reproduction (2e volume) la part de la plus-value qu’engloutirait l’intelligentsia socialiste (bureaucratie).

En notre temps, une « théorie » de ce genre, mais sans dénonciation de Marx l’Exploiteur, fut défendue par Myasnikov, qui déclara que la dictature du prolétariat en Union soviétique était remplacée par la dictature d’une nouvelle classe : la sociale-bureaucratie. Il est bien vraisemblable que, directement ou indirectement, Laurat a pris sa théorie précisément chez Myasnikov et n’a fait que lui donner son expression pédante et « savante ». Pour être complet, il faut encore ajouter que Laurat s’est approprié toutes les erreurs (seulement les erreurs) de Rosa Luxembourg, y compris celles dont elle-même réussit à se débarrasser.

Cependant, approchons-nous de la « théorie » elle-même. La classe, pour un marxiste, représente une notion exceptionnellement importante et d’ailleurs scientifiquement définie. La classe se détermine non pas seulement par la participation dans la distribution du revenu national, mais aussi par un rôle indépendant dans la structure générale de l’économie, par des racines indépendantes dans les fondements économiques de la société. Chaque classe (féodaux, paysannerie, petite-bourgeoisie, bourgeoisie capitaliste, prolétariat) élabore ses formes particulières de propriété. De tous ces traits sociaux, la bureaucratie est dépourvue. Elle n’a pas de place indépendante dans le processus de production et de répartition. Elle n’a pas de racines indépendantes de propriété. Ses fonctions se rapportent, dans leur essence, à la technique politique de la domination de classe. La présence de la bureaucratie, avec toutes les différences de ses formes et de son poids spécifique, caractérise toutrégime de classe. Sa force est un reflet. La bureaucratie, indissolublement liée à la classe économiquement dominante, est nourrie par les racines sociales de celle-ci, se maintient et tombe avec elle.

Exploitation de classe et parasitisme social

Laurat dira, qu’il « ne s’élève pas » contre le paiement du travail de la bureaucratie, dans la mesure où elle remplit des fonctions politiques, économiques et culturelles indispensables, mais qu’il s’agit de sa part d’une appropriation incontrôlée d’une fraction absolument démesurée du revenu national : c’est dans ce sens précisément qu’elle est une «  classe exploiteuse ». Cet argument, qui s’appuie sur des faits irréfutables, ne change cependant pas la physionomie générale de la bureaucratie.

Toujours et sous tout régime, la bureaucratie absorbe une assez grande partie de la plus-value. Il ne serait pas sans intérêt de calculer, par exemple, quelle part du revenu national engloutissent en Italie et en Allemagne les criquets fascistes. Mais ce fait, qui n’est pas de peu d’importance en soi, est absolument insuffisant pour transformer la bureaucratie fasciste en classe dirigeante indépendante. Elle est le commis de la bourgeoisie. Ce commis, il est vrai, s’assoit sur la nuque du maître, lui arrache parfois de gras morceaux de la bouche et comme supplément crache sur son crâne chauve de bourgeois. Pour un commis, il faut l’avouer, il n’est vraiment pas très commode. Mais tout de même, ce n’est pas plus qu’un commis. La bourgeoisie s’accomode de lui, car sans lui elle et son régime se trouveraient bien mal.

Mutatis mutandis (en changeant ce qui nécessite un changement), ce qui vient d’être dit peut s’appliquer aussi à la bureaucratie stalinienne. Elle engloutit, dissipe et dilapide une partie importante du bien national. Sa direction revient extrêmement cher au prolétariat. Elle occupe une situation extraordinairement privilégiée dans la société soviétique, non seulement au sens de droits politiques et administratifs, mais aussi au sens d’énormes avantages matériels. Cependant, les appartements les plus grands, les beafsteaks les plus saignants et même les Rolls-Royce ne font pas encore de la bureaucratie une classe dominante indépendante.

Dans la société socialiste, l’inégalité, et d’autant plus une inégalité aussi criante, serait, assurément, absolument impossible. Mais, malgré les mensonges officiels et officieux, le régime soviétique actuel n’est pas un régime socialiste, mais transitoire. Il porte encore sur lui l’héritage monstrueux du capitalisme, en particulier l’inégalité sociale, non seulement d’ailleurs entre la bureaucratie et le prolétariat, mais aussi à l’intérieur de la bureaucratie et à l’intérieur du prolétariat. Dans certaines limites, l’inégalité reste encore au stade actuel une arme bourgeoise de progrès socialiste : le salaire différencié, les primes, etc., sont des stimulants de l’émulation.

En expliquant l’inégalité, le caractère de transition de la construction actuelle ne justifie nullement les privilèges monstrueux, visibles et cachés, que s’approprient les sommets incontrôlés de la bureaucratie. L’Opposition de gauche n’a pas attendu les découvertes d’Urbahns, Laurat, Souvarine, Simone Weil et autres, pour déclarer que la bureaucratie, sous toutes ses manifestations, ébranle les attaches morales de la société soviétique, engendre un mécontentement aigu et légitime des masses et prépare de grands dangers. Néanmoins, les privilèges de la bureaucratie en eux-mêmes ne changent pas encore les bases de la société soviétique, car la bureaucratie puise ses privilèges, non de certains rapports particuliers de propriété, propres à elle, en tant que « classe », mais des rapports mêmes de possession qui furent créés par la révolution d’Octobre et qui, dans l’essentiel, sont adéquats à la dictature du prolétariat.

Quand la bureaucratie, pour parler simplement, vole le peuple (et c’est ce que, sous des formes diverses, fait toute bureaucratie), nous avons à faire non pas à une exploitation de classe, au sens scientifique du mot, mais à un parasitisme social, fût-ce sur une très grande échelle. Le clergé du Moyen Âge était une classe, ou un « état » social, dans la mesure où sa domination s’appuyait sur un système déterminé de propriété foncière et de servage. L’Église actuelle n’est pas une classe exploiteuse, mais une corporation parasite. Il serait absurde en fait de parler du clergé américain comme d’une classe dominante particulière ; pourtant, il est indubitable que les prêtres de différentes couleurs engloutissent aux États-Unis une grande part de plus-value. Par leurs traits de parasitisme, la bureaucratie comme le clergé s’apparentent au lumpenprolétariat, qui ne représente pas non plus, comme on sait, une «  classe » indépendante.

Deux perspectives

La question nous apparaîtra avec plus de relief si nous l’envisageons dans sa coupe non pas statique, mais dynamique. En consommant improductivement une part énorme du revenu national, la bureaucratie soviétique, par sa fonction même, est en même temps intéressée au développement économique et culturel du pays : plus élevé sera le revenu national, plus grand sera le montant de ses privilèges. Cependant, sur les bases sociales de l’État soviétique, l’essor économique et culturel doit saper les bases mêmes de la domination bureaucratique. Il est clair que, dans le cas de cette variante historique heureuse, la bureaucratie n’apparaît que comme un instrument – un instrument mauvais et coûteux – de l’État socialiste.

Mais, en consommant une partie toujours plus grande du revenu national et en portant atteinte aux proportions fondamentales de l’économie, nous répliquera-t-on, la bureaucratie entrave la croissance économique et culturelle du pays. C’est absolument vrai : un développement ultérieur sans obstacle du bureaucratisme devrait inévitablement mener à un arrêt de la croissance économique et culturelle, à une crise sociale terrible et à un recul de toute la société en arrière. Mais cela signifierait non seulement l’effondrement de la dictature du prolétariat, mais aussi en même temps la fin de la domination bureaucratique. Pour remplacer l’État ouvrier viendraient des rapports non pas « sociaux-bureaucratiques », mais capitalistes.

Nous espérons que cette double perspective nous aide définitivement à voir clair dans le débat sur la nature de classe de l’U.R.S.S. : prenons-nous la variante des progrès ultérieurs du régime soviétique ou, au contraire, la variante de son effondrement, dans les deux cas la bureaucratie apparaît non pas comme une classe indépendante, mais comme une excroissance du prolétariat. Une tumeur peut atteindre des dimensions énormes et même étouffer l’organisme vivant, mais la tumeur ne peut jamais se changer en un organisme indépendant.

Ajoutons enfin, pour faire une clarté complète : si aujourd’hui en U.R.S.S. apparaissait au pouvoir un parti marxiste, il restaurerait le régime politique, changerait, purifierait et dompterait la bureaucratie par le contrôle des masses, transformerait toute la pratique administrative, introduirait une série de réformes capitales dans la direction de l’économie, mais dans aucun cas il n’aurait à accomplir un bouleversement dans les rapports de propriété, c’est-à-dire une nouvelle révolution sociale.

Les voies possibles de la contre-révolution

La bureaucratie n’est pas une classe dominante. Mais le développement ultérieur du régime bureaucratique peut mener à l’apparition d’une nouvelle classe dominante : non pas par la voie organique de la dégénérescence, mais au travers de la contre-révolution. Nous qualifions l’appareil stalinien de centriste, précisément parce qu’il remplit un double rôle : aujourd’hui, quand il n’y a plus et qu’il n’y a pas encore de direction marxiste, il défend par ses méthodes la dictature prolétarienne ; mais ces méthodes sont telles qu’elles facilitent la victoire de l’ennemi pour demain. Qui n’a pas compris le double rôle du stalinisme en U.R.S.S. n’a rien compris.

La société socialiste vivra sans parti, comme sans pouvoir. Dans les conditions de l’époque de transition, la superstructure politique joue un rôle décisif. La dictature du prolétariat développée et consolidée implique le rôle du parti en tant qu’avant-garde indépendante, le rassemblement du prolétariat à l’aide du système des syndicats, la liaison indissoluble des travailleurs avec l’État au travers du système des soviets, enfin l’unité de lutte de l’État ouvrier avec le prolétariat mondial au travers de l’Internationale. Cependant, la bureaucratie a étouffé le parti, les syndicats, les soviets et l’internationale. Inutile d’expliquer quelle part gigantesque de responsabilité pour la dégénérescence du régime prolétarien pèse sur la social-démocratie internationale, couverte de crimes et de trahisons, parti auquel appartient en outre M. Laurat [7].

Mais, quelle que soit la véritable répartition de la responsabilité historique, le résultat est le même : l’étouffement du parti, des soviets et des syndicats signifie l’atomisation politique du prolétariat. Les antagonismes sociaux ne sont pas surmontés politiquement, mais sont étouffés administrativement. Ils s’accumulent sous la presse, dans la même mesure où disparaissent les ressources politiques pour leur solution normale. La première grande secousse sociale, extérieure ou intérieure, peut mener la société soviétique atomisée dans une situation de guerre civile. Les ouvriers, qui ont perdu le contrôle sur l’État et sur l’économie, peuvent recourir à des grèves de masse, comme instrument d’autodéfense. Sous la poussée des ouvriers comme sous la pression des difficultés économiques, les trusts seront obligés de rompre avec le principe de la planification et d’entrer en concurrence l’un avec l’autre. L’ébranlement du système trouvera, certainement, un écho bruyant et chaotique au village et inévitablement se répercutera dans l’armée. L’État socialiste s’écroulera, faisant place au régime capitaliste, ou plus exactement à l’anarchie capitaliste.

La presse stalinienne reproduira certainement l’avertissement qu’est notre analyse comme une prophétie contre-révolutionnaire ou même comme un « désir » des « trotskystes ». À l’adresse de la valetaille des journalistes de l’appareil, nous ne connaissons depuis longtemps d’autre sentiment qu’un calme mépris. Nous jugeons la situation dangereuse, mais pas du tout désespérée. En tout cas, ce serait une lâcheté infâme et une trahison directe de déclarer que l’immense position révolutionnaire est perdue – avant la lutte et sans lutte.

Une élimination « pacifique » de la bureaucratie est-elle possible ?

S’il est vrai que la bureaucratie concentre dans ses mains tout le pouvoir et toutes ses approches – et c’est vrai –, alors une question surgit qui n’a pas peu d’importance : comment parvenir à une réorganisation de l’État soviétique ? Et peut-on accomplir cette tâche par des moyens pacifiques ?

Établissons avant tout, comme un axiome inébranlable, que seul le parti révolutionnaire peut accomplir cette tâche. La création d’un parti révolutionnaire en U.R.S.S. avec les éléments sains de l’ancien parti et avec la jeunesse, c’est la tâche historique fondamentale. Il sera dit plus loin à quelles conditions elle peut être accomplie. Cependant, supposons que ce parti existe déjà. Par quelle voie pourra-t-il s’emparer du pouvoir ? Déjà en 1927 Staline disait à l’adresse de l’Opposition de gauche : « Le groupement actuellement dirigeant ne peut être écarté que par la guerre civile ». C’était un défi – bonapartiste par son esprit – non pas à l’adresse de l’Opposition de gauche, mais à l’adresse du parti. En concentrant dans ses mains tous les leviers, la bureaucratie proclama ouvertement qu’elle ne permettrait plus au prolétariat de lever la tête. La marche ultérieure des événements donna à ce défi un grand poids. Après l’expérience des dernières années, il serait puéril de penser qu’on peut éliminer la bureaucratie stalinienne à l’aide du congrès du parti ou des soviets. En réalité, le 12e Congrès (au début de 1923) fut le dernier congrès du parti bolchevik. Les congrès suivants furent des parades bureaucratiques [8]. Maintenant, même de tels congrès sont supprimés. Pour écarter la clique dirigeante, il ne reste pas de voies normales, « constitutionnelles ». Contraindre la bureaucratie à remettre le pouvoir aux mains de l’avant-garde prolétarienne, on ne peut le faire que par la force.

La valetaille s’écriera tout de suite : les « trotskystes », comme Kautsky, prêchent l’insurrection armée contre la dictature du prolétariat. Passons outre. Pour le nouveau parti prolétarien, la question de la prise du pouvoir ne peut se poser pratiquement qu’au moment où il rassemblera autour de lui la majorité de la classe ouvrière. Sur la voie d’un tel changement radical dans le rapport des forces, la bureaucratie apparaîtra toujours plus isolée et plus divisée. Les racines sociales de la bureaucratie se trouvent, comme nous le savons, dans le prolétariat : sinon dans son appui actif, du moins dans sa « tolérance ». Avec la venue du prolétariat à l’activité, l’appareil stalinien restera suspendu en l’air. S’il tente malgré tout d’opposer de la résistance, il aura à appliquer contre le prolétariat non pas des mesures de guerre civile, mais plutôt des mesures d’ordre policier. Il s’agit, en tout cas, non d’une insurrection contre la dictature du prolétariat, mais de l’ablation de l’excroissance pernicieuse qui se trouve sur lui.

La véritable guerre civile pourrait éclater non pas entre la bureaucratie stalinienne et le prolétariat qui la soutient, mais entre le prolétariat et les forces actives de la contre-révolution. D’un rôle indépendant de la bureaucratie, au cas d’un conflit des deux camps de masse, il ne peut être question. Ses flancs opposés se répartiraient sur les divers côtés de la barricade. C’est l’issue de la lutte, naturellement, qui déterminerait le sort du développement ultérieur. En tout cas, la victoire du camp révolutionnaire n’est concevable que sous la direction d’un parti prolétarien qui, par la victoire sur la contre-révolution, serait naturellement élevé au pouvoir.

Le nouveau parti en URSS

Qu’est-ce qui est le plus près : le danger de l’effondrement du pouvoir soviétique, miné par le bureaucratisme, ou l’heure du rassemblement du prolétariat autour du nouveau parti capable de sauver l’héritage d’Octobre ? À une telle question, il n’y a pas de réponse a priori ; la lutte tranchera. Le rapport de forces se déterminera sur une grande épreuve historique qui pourra être aussi la guerre. Il est clair, en tout cas, qu’avec les seules forces intérieures, dans la situation de désagrégation ultérieure du mouvement prolétarien mondial et de domination fasciste, qui s’étend, il est impossible de maintenir longtemps le pouvoir soviétique. La condition fondamentale, à laquelle est seulement possible une réforme radicale de l’État soviétique, c’est le développement victorieux de la révolution mondiale.

Le mouvement révolutionnaire en Occident peut renaître même sans parti, mais il ne peut vaincre que sous la direction d’un parti. Pour toute l’époque de révolution sociale, c’est-à-dire pour quelques dizaines d’années, le parti international révolutionnaire reste l’instrument principal du progrès historique. Urbahns, qui crie que les « vieilles formes » sont périmées, qu’il faut quelque chose de « nouveau » – quoi précisément ? – fait seulement preuve de confusion... sous des formes assez vieilles. Le travail syndical dans les conditions du capitalisme «  planifié  », la lutte contre le fascisme et la guerre qui menace, sans aucun doute, font apparaître telle ou telle méthode, tel ou tel types nouveaux d’organisation de combat. Il faut seulement ne pas faire de fantaisie, comme les brandlériens avec des syndicats illégaux, mais observer attentivement la marche réelle de la lutte, saisir l’initiative des ouvriers eux-mêmes, l’étendre et la généraliser. Mais précisément, pour accomplir ce travail, il faut avant tout un parti, c’est-à-dire un noyau politiquement lié de l’avant-garde prolétarienne. La position d’Urbahns est subjective : il s’est désenchanté du parti, quand il a eu coulé avec succès son propre « parti ».

Quelques-uns des novateurs déclarent : nous avons dit « depuis longtemps » qu’il faut de nouveaux partis, maintenant, même les trotskystes, enfin, le reconnaissent ; un jour ou l’autre, ils saisiront aussi que l’Union soviétique n’est pas un État ouvrier. Ces gens-là font des découvertes astronomiques au lieu d’examiner le processus historique réel. La secte de Gorter et le « Parti communiste ouvrier » allemand jugeaient dès 1921 que l’Internationale communiste était perdue. Depuis ce moment, il y eut pas mal de telles déclarations (Loriot, Korsch, Souvarine, etc.). Cependant, de ces « diagnostics », rien n’est absolument sorti, car ils reflétaient seulement le désillusionnement subjectif de cercles et d’individus, et non pas les exigences objectives du processus historique [9]. C’est précisément pourquoi les novateurs criards restent maintenant même à l’écart.

La marche des événements ne suit pas une feuille de route donnée par avance. Aux yeux des masses, et non à ceux des solitaires, l’I.C. a causé sa perte par des capitulations devant le fascisme. Mais l’État soviétique, il est vrai, avec une autorité révolutionnaire extrêmement diminuée, existe même après l’effondrement de l’I.C. Il faut prendre les faits tels qu’ils sont donnés par le développement réel, ne pas avoir de caprices, ne pas faire la moue, comme Simone Weil, ne pas s’offenser de l’histoire et ne pas lui tourner le dos.

Pour construire de nouveaux partis et une nouvelle lnternationale, il faut avoir des bases principielles sûres, qui soient au niveau de notre époque. Nous ne nous faisons aucune illusion pour ce qui est des insuffisances et des lacunes de l’inventaire théorique des bolcheviks-léninistes. Cependant, leur travail de dix années a préparé les prémices théoriques et stratégiques fondamentales pour l’édification de la nouvelle Internationale. La main dans la main avec les nouveaux alliés, nous développerons ces prémices et les concrétiserons sur la base de la pratique de la lutte.

La Quatrième Internationale et l’URSS

Le noyau du nouveau parti en U.R.S.S. – au fond, du parti bolchevique régénéré dans des conditions nouvelles -, c’est le noyau du groupement des bolcheviks-léninistes. Même la presse soviétique officielle des derniers mois témoigne que nos partisans mènent leur travail courageusement et non sans succès. Mais des illusions seraient déplacées : le parti de l’internationalisme révolutionnaire ne pourra libérer les ouvriers de l’influence décomposante de la bureaucratie nationale qu’au cas où l’avant-garde prolétarienne internationale apparaîtra de nouveau sur l’arène comme une force de combat.

Dès le début de la guerre impérialiste et, dans un sens plus large, dès la révolution d’Octobre, le parti des bolcheviks joua le rôle dirigeant dans la lutte révolutionnaire mondiale. Maintenant, cette position est complètement perdue. Cela ne concerne pas seulement la caricature officielle de parti. Les conditions d’une difficulté absolument exceptionnelle, dans lesquelles travaillent les bolcheviks-léninistes russes, excluent pour eux la possibilité d’un rôle dirigeant à l’échelle internationale. Plus que cela : le groupement de l’«  Opposition de gauche  » ne pourra se développer en un nouveau parti que comme résultat de la formation victorieuse et de la croissance de la nouvelle lnternationale. Le centre de gravité révolutionnaire est définitivement passé en Occident, où les possibilités immédiates pour construire de nouveaux partis sont incomparablement plus larges.

Sous l’influence de l’expérience tragique des dernières dizaines d’années s’est accumulée dans le prolétariat de tous les pays une énorme quantité d’éléments révolutionnaires qui attendent une parole claire et un drapeau sans tache. Les convulsions de l’I.C., il est vrai, ont repoussé presque partout de nouvelles couches d’ouvriers du côté de la social-démocratie. Mais, précisément, cet afflux de masses turbulentes devient le plus grand danger pour le réformisme : il craque sous toutes les coutures et se désagrège en fractions, en donnant partout naissance à une aile révolutionnaire. Ce sont les prémices politiques immédiates de la création de la nouvelle Internationale. La première pierre est déjà posée : c’est la déclaration principielle des quatre organisations.

La condition de succès ultérieurs est une juste appréciation de la situation mondiale, y compris de la nature de classe de l’Union soviétique. Sur cette ligne, la nouvelle Internationale subira une épreuve dès les premiers jours de son existence. Avant qu’elle puisse réformer l’État soviétique, elle devra prendre sur elle sa défense.

Toute tendance politique qui, sous le couvert du caractère « nonprolétarien » de l’Union, se détourne d’elle sans espoir risque de se trouver un instrument passif de l’impérialisme. Aussi, de notre point de vue n’est évidemment pas exclue la possibilité tragique que le premier État ouvrier, affaibli par la bureaucratie, ne tombe sous les coups réunis des ennemis, intérieurs et extérieurs. Mais, même avec cette pire variante, c’est une immense importance pour la marche ultérieure de la lutte révolutionnaire qu’aurait la question de savoir  sont les auteurs de la catastrophe. Sur les révolutionnaires internationalistes ne doit pas tomber la moindre parcelle de responsabilité. À l’heure du danger mortel, ils doivent rester sur la dernière barricade.

Aujourd’hui, l’ébranlement de l’équilibre bureaucratique en U.R.S.S. tournerait presque à coup sûr à l’avantage des forces contre-révolutionnaires. Avec l’existence d’une Internationale véritablement révolutionnaire, la crise inévitable du régime stalinien ouvrira la possibilité de la régénération de l’U.R.S.S..

La politique extérieure du Kremlin porte chaque jour des coups au prolétariat mondial. Coupés des masses, les fonctionnaires diplomatiques, sous la direction de Staline, foulent aux pieds les sentiments révolutionnaires les plus élémentaires des ouvriers de tous les pays, avant tout au plus grand détriment de l’Union soviétique elle-même. Mais il n’y a là rien d’inattendu. La politique extérieure de la bureaucratie complète la politique intérieure. Nous combattons l’une comme l’autre. Mais nous les combattons sous l’angle de la défense de l’État ouvrier.

Les fonctionnaires de l’I.C. en décomposition dans les divers pays continuent à jurer fidélité à l’Union soviétique. Ce serait une sottise impardonnable de fonder quoi que ce soit sur ces serments. La « défense » criarde de l’U.R.S.S. constitue pour la majorité de ces gens non pas une conviction, mais une profession ! Ils ne combattent pas pour la dictature du prolétariat, mais ils essuient les petites saletés de la bureaucratie stalinienne (voir, par exemple, L’Humanité). À l’heure critique, le Komintern « barbusiannisé » ne sera pas capable de prêter à l’Union soviétique un appui plus grand que l’opposition dont il a fait preuve contre Hitler. C’est toute autre chose avec les internationalistes révolutionnaires. Traqués malhonnêtement par la bureaucratie au cours d’une dizaine d’années, ils appellent infatigablement les ouvriers à la zdéfense de l’Union soviétique.

Le jour où la nouvelle Internationale montrera aux ouvriers russes, non pas en paroles, mais en fait, qu’elle et elle seule se tient pour la défense de l’État ouvrier, la situation des bolcheviks-léninistes à l’intérieur de l’Union changera en vingt-quatre heures. La nouvelle Internationale proposera à la bureaucratie stalinienne le front unique contre les ennemis communs. Et si notre Internationale représente en soi une force, la bureaucratie ne pourra pas, à la minute du danger, se refuser au front unique. Que restera-t-il alors des mensonges et des calomnies accumulées pendant de nombreuses années ?

Le front unique avec la bureaucratie stalinienne ne signifie pas, même en cas de guerre, « union sacrée », à l’exemple des partis bourgeois et sociaux-démocrates, qui au moment de la mêlée impérialiste ont cessé toute critique réciproque pour mieux tromper le peuple. Non, même en cas de guerre, nous conservons notre intransigeance critique à l’égard du centrisme bureaucratique, qui ne pourra pas d’ailleurs ne pas dévoiler son incapacité de mener une véritable guerre révolutionnaire. Le problème de la révolution mondiale, comme le problème de l’Union soviétique, se résume en une seule et même brève formule : Quatrième Internationale !

Léon Trotsky, le 1er octobre 1933


[1] Les doctes brandlériens d’Amérique (groupe de Lovestone) compliquent encore la question : la politique économique des staliniens est sans reproche, mais le régime politique de l’U.R.S.S. est mauvais — pas de démocratie. Il ne vient pas à la tête de ces théoriciens de se demander : pourquoi Staline liquide-t-il donc la démocratie, quand sa politique économique serait juste et pleine de succès ? Ne serait-ce pas de crainte que le parti et la classe ouvrière, en possession de la démocratie prolétarienne, expriment d’une façon trop bruyante et trop inquiétante leur enthousiasme pour la politique économique ? (Note de Léon Trotsky)

[2] La N.E.P. – ou Nouvelle politique économique – adoptée en 1921, prévoyait la ranimation de l’économie à partir de la production agricole et du rétablissement des lois du marché. (Note de Pierre Broué)

[3] Les courants « blanquistes » et « proudhonien » prédominaient dans le prolétariat parisien en 1870-1871. Louis-Auguste Blanqui (1805-1881), surnommé l’« Enfermé », à cause de ses trente-trois années de prisons, était detenu en province pendant la Commune de Paris où ses disciples jouèrent un rôle important. Le « blanquisme » se caractérisait par son activité conspiratrice et la croyance que les révolutionnaires pouvaient prendre le pouvoir par des soulèvements armés – des putsch – sans lien avec le mouvement et l’activité des masses. Les idées de Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865) sur la coopération, l’autonomie communale, etc., étaient largement répandues dans le mouvement ouvrier et exercèrent sur la Commune une influence indiscutable, bien que diffuse. (Note de Pierre Broué)

[4] Le congrès de Gotha (22 au 27 mai 1875) avait vu la réalisation de la fusion des deux partis socialistes allemands qui se réclamaient de Karl Marx et l’autre de Ferdinand Lassalle. On sait que Marx fit une critique sévère du programme adopté au congrès de fondation. (Note de Pierre Broué)

[5] Selon la légende, le célèbre bandit grec Procuste raccourcissait les corps de ses prisonniers pour les faire entrer dans son célèbre lit.

[6] Le « koulak » désigne à l’époque, en Union soviétique, le paysan aisé, celui qui emploie sur ses terres des travailleurs salariés.

[7] Le prophète accuse les bolcheviks-léninistes russes de manquer d’audace révolutionnaire. En mêlant, dans le style austro-marxiste, révolution et contre-révolution, retour à la démocratie bourgeoise et conservation de la dictature prolétarienne, Laurat donne à Rakovsky des leçons d’action révolutionnaire. Ce même gentleman déclare en passant que Lénine est un « théoricien médiocre ». Ce n’est pas étonnant : Lénine, qui donnait aux conclusions théoriques les plus compliquées les expressions les plus simples, ne peut en imposer à un philistin prétentieux qui donne à de pauvres et plates généralités une apparence cabalistique. Projet de carte de visite : « Lucien Laurat, théoricien et stratège de réserve de la révolution prolétarienne [...] pour la Russie ; profession habituelle — aide de Léon Blum. » Inscription un peu longue, mais juste. Et on dit que ce « théoricien » a des partisans au sein de la jeunesse. Pauvre jeunesse ! (Note de Léon Trotsky)

[8] C’est dans la préparation de la 12e conférence (janvier 1924) que l’appareil aux mains de Staline employa pour la première fois sur une grande échelle les méthodes de manipulation qui lui permettait de supprimer pratiquement toute représentation de l’Opposition dans les congrès. (Note de Pierre Broué)

[9] Par son essence même, ce qui vient d’être dit ne peut se rapporter aux organisations qui se sont séparées depuis relativement peu de temps de la social-démocratie, ou ont eu leur type particulier de développement (comme le Parti socialiste révolutionnaire hollandais) et qui, naturellement, se sont refusées à lier leur sort à celui de l’I.C. dans la période de sa décadence. Les meilleures de ces organisations se placent maintenant sous le drapeau de la nouvelle Internationale. Les autres s’y placeront demain. (Note de Léon Trotsky)

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