L’attentat qui a frappé une manifestation pour la paix à Ankara, le 10 octobre dernier, a fait plus d’une centaine de morts et plusieurs centaines de blessés. C’est l’attaque terroriste la plus meurtrière de l’histoire de la Turquie. Comme si cela ne suffisait pas, immédiatement après l’attentat, la police a reçu l’ordre de charger les manifestants avec des grenades lacrymogènes et des canons à eau. Quelques heures après, le premier ministre a accusé les manifestants d’avoir organisé eux-mêmes l’attentat pour inciter la population à se soulever contre l’Etat.

Cet attentat est la suite logique de la campagne de terreur que le président Erdogan a déchaînée contre les Kurdes et les forces de gauches au cours de ces derniers mois. Une attaque à la bombe similaire à celle du 10 octobre, quoique moins meurtrière, avait visé cet été un meeting du HDP (Parti Démocratique des Peuples, issu de l’indépendantisme kurde). Depuis, des centaines d’attaques racistes et d’attentats terroristes ont visé les territoires kurdes, avec la complicité évidente des forces de l’ordre. Après chaque attaque, la répression policière contre les Kurdes et la gauche s’est accrue. Plus de 2000 personnes ont été arrêtées, parmi lesquelles une faible minorité d’islamistes, la grande majorité étant des militants kurdes et de gauche. Dans le même temps, l’armée turque mène une offensive brutale au Kurdistan turc, qui a déjà causé la mort de plus de 1000 personnes. Le gouvernement a engagé des poursuites judiciaires pour emprisonner les dirigeants du HDP. Toutes ces manœuvres ont clairement lieu dans la perspective des prochaines élections législatives, fixées au 1er novembre.

Depuis 2002, le parti d’Erdogan (l’AKP) a dirigé sans partage la Turquie en s’appuyant sur l’opposition massive à la corruption du mouvement républicain et de l’armée. Il a d’abord bénéficié de la forte croissance de l’économie turque dans les années 2000. Mais la crise économique, la corruption et l’autoritarisme de son régime ont suscité une opposition grandissante en même temps qu’une résurgence de la lutte des classes. Cette opposition s’est notamment manifesté lors du mouvement autour du parc Gezi en 2013. Depuis, elle a trouvé une expression dans le HDP, qui a obtenu près de 13 % des voix lors des élections de juin dernier.

Incapable d’accepter la perte de sa majorité au parlement, Erdogan a délibérément provoqué la reprise de la guerre civile avec le PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan), afin d’attiser le sentiment anti-kurde au sein de la population turque. Son objectif était de pousser cette logique jusqu’au point où il pourrait utiliser la situation de guerre civile pour faire annuler la tenue des élections dans les zones kurdes, privant ainsi le HDP d’une de ses principales réserves de voix. Le fait que les attaques du 10 octobre aient coïncidé avec l’annonce d’un cessez-le-feu unilatéral de la part du PKK n’avait rien d’une coïncidence. Le but réel de cette attaque, comme des autres, était de diviser les travailleurs et la jeunesse suivant des lignes nationales (Turcs contre Kurdes).

Mais toutes ces actions ont entraîné une réaction du peuple turc. Le jour même de l’attaque, des centaines de milliers de personnes sont spontanément descendues dans la rue, dans tout le pays, afin de protester contre le gouvernement d’Erdogan. A Istanbul, les manifestants se sont rassemblés sur la place Taksim en scandant : « Nous connaissons les meurtriers ! », « Nous n’avons pas peur ! », ou encore « L’Etat est le meurtrier ! ». Des manifestations semblables se sont déroulées dans tout le pays, rassemblant des centaines de milliers de personnes malgré la répression policière.

L’arrogance sanguinaire d’Erdogan peut déboucher sur un résultat inverse de celui qu’il recherche. Les masses de Turquie sont lasses de la pauvreté, de la misère et de la corruption du régime. S’il s’organise sur une base radicale, ce mouvement peut se transformer en un soulèvement révolutionnaire balayant le dictateur et ouvrant un nouveau chapitre de l’histoire de la Turquie.

 

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