Cet article a été publié le 29 janvier 2015 sur In Defence of Marxism


Depuis quelques jours, des manifestations massives ont lieu en République Démocratique du Congo contre le gouvernement réactionnaire et corrompu de Joseph Kabila. L’épicentre est l’Université de Kinshasa où les étudiants forment la colonne vertébrale du mouvement. Mais très vite toute la capitale et d’autres villes comme Goma, Bukavu, Bunia, Uvira, Lubumbashi et Mbandaka ont suivi. Le silence autour de ces événements dans les médias bourgeois est assourdissant.

Les manifestations s’opposent à la tentative du président Joseph Kabila de briguer un troisième mandat en 2016, alors que la Constitution de 2006 limite à deux le nombre de mandats consécutifs. Initialement, le régime voulait changer la Constitution. Mais il a dû y renoncer sous la pression des manifestants et s’engage désormais dans la voie d’une réforme de la loi électorale, sous prétexte de réaliser un recensement de la population.

Mouvement de masse

Dès le 19 janvier, les étudiants de l’Université de Kinshasa ont commencé à se mobiliser. Avec le parti d’opposition Union pour la Nation Congolaise ils ont appelé à « l’occupation massive du parlement ». Le régime a réagi par une répression violente. Face à l’intervention violente de la police, dans presque tous les quartiers de la capitale des barricades ont été érigées. Le seul quartier « calme » est le district du Gombe, où Kabila habite et où tous les bâtiments abritent des services de l’Etat et des ambassades. Le quartier autour de l’Assemblée Nationale était fermé hermétiquement par la police et l’armée. Sur le campus universitaire, des bus et des pneus entassés étaient en feu.

Après trois jours de combats de rues, la police a tué 42 personnes, selon Reuters. Dès la deuxième journée, les manifestations se sont répandues dans tout le pays. En réponse à la violence policière, les étudiants de Goma et Bukavu ont également érigé des barricades. Dans un pays où le mouvement syndical est très faible à cause du retard économique et de la répression brutale sous le régime de Mobutu, les étudiants jouent un rôle important. Face au caractère dictatorial et répressif du régime, les revendications se sont très vite radicalisées. Alors que le mouvement ne demandait que la fin du pseudo-recensement, le slogan qui s’est généralisé le 21 janvier était clairement dirigé contre le régime : « Kabila casse-toi ! ». Le mouvement a déjà tiré cette conclusion : le but n’est plus de « démocratiser » le régime, mais de le renverser.

Les masses ont appris par l’expérience que Kabila n’est pas disposé à faire la moindre réforme démocratique. En 2001, il est arrivé au pouvoir grâce à des généraux de l’armée et à des politiciens corrompus, après l’assassinat de son père par un adolescent, qui est un des soldats de sa garde rapprochée. A deux reprises, Kabila-fils a été réélu par une fraude électorale massive. La situation actuelle fait penser aux événements de septembre 2014, lorsque Kabila voulait déjà prolonger son mandat. Des affrontements avaient éclaté à Kinshasa, mais à une échelle beaucoup moins importante qu’aujourd’hui. Kabila s’en est sorti en corrompant les deux partis d’opposition et en les intégrant à son gouvernement.

Le problème du mouvement étudiant est l’absence de programme révolutionnaire, qui devrait se baser sur les intérêts des étudiants, des travailleurs, des paysans pauvres ainsi que les autres couches opprimées de la population. En conséquence, des figures réactionnaires, tribales et capitalistes de l’opposition peuvent se mettre à la tête du mouvement avec le seul but de s’en servir pour leurs intérêts particuliers. Des politiciens tels qu’Etienne Tshisekedi (qui vit à Bruxelles en pleine opulence), tout comme l’Union Européenne et les Etats-Unis font des appels hypocrites  pour « arrêter la violence et respecter la loi et l’ordre ». Ils démontrent en réalité que ce n’est plus dans l’intérêt de l’impérialisme occidental de soutenir Kabila, qui s’allie depuis des années avec les impérialistes chinois.

 Le cauchemar capitaliste

Ces manifestations coïncidaient avec le 54e anniversaire de la mort de Patrice Lumumba, héros anticolonial et premier ministre du Congo après l’indépendance. Les dirigeants africains commémoraient avec beaucoup de faste la mort de Lumumba, alors qu’ils n’ont pris aucune mesure contre ses assassins et qu’ils sont aux ordres des capitalistes américains, européens et chinois. Le mouvement étudiant au Congo a démontré la véritable nature de ces dirigeants. L’Etat est très faible et ne survit que grâce à la corruption. En dernière analyse, ce sont les puissances impérialistes qui décident du destin des millions de Congolais. Parfois, ces puissances travaillent ensemble quand elles ont un intérêt commun. La plupart du temps, elles se livrent une compétition sans merci pour le contrôle des énormes richesses naturelles qui se trouvent dans le sous-sol congolais. Elles utilisent toutes les manœuvres politiques possibles et ne reculent pas à faire appel à des groupes de mercenaires armés pour résoudre les conflits intérieurs à leur avantage. En fait, on ne peut pas parler d’une « souveraineté » congolaise. Après 55 années d’indépendance formelle, le pays est plus que jamais un territoire conquis de l’impérialisme.

Au cours de l’année passée, l’Afrique a connu plusieurs soulèvements de masse et des révoltes contre les manœuvres de dirigeants impopulaires qui veulent garder le pouvoir en modifiant la Constitution. On pense notamment au Burkina Faso, où une révolte populaire a chassé le président Blaise Compaoré. Il avait été mis au pouvoir après l’assassinat – appuyé par les impérialistes – du grand révolutionnaire africain Thomas Sankara.

La République Démocratique du Congo n’est pas une exception, et les mêmes causes provoquent les mêmes effets. Ces manifestations sont le résultat direct des conditions de vie déplorables de la population. Les revendications économiques sont au centre du mouvement, qui réclame des emplois et la fin de la pauvreté, dans un pays qui extrêmement riche en ressources naturelles.

Après des décennies de règne dictatorial sous Mobutu et le pillage systématique des richesses naturelles par l’impérialisme, le pays est un des plus pauvres au monde. L’indice de développement de l’ONU classe le Congo en avant-dernière position. Le revenu moyen par habitant est de 220 dollars par an. Plus de 2 millions congolais ont fui leur pays à cause des conflits intérieurs et le nombre d’agressions sexuelles est le plus élevé au monde. La Banque Mondiale impose depuis 2008 un programme d’austérité drastique. Ainsi, les plus pauvres au monde doivent payer la crise du capitalisme !

Quelles perspectives ?

Malgré la répression violente, le régime n’a pas réussi à mettre fin aux manifestations. Ceci ne démontre pas seulement la fragilité du régime, mais aussi le fait que les masses congolaises n’ont plus peur de Kabila.

Du fait de la détermination des étudiants, le régime vacille. Différentes personnalités de la classe dirigeante, telles que le gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi, ont retiré publiquement leur soutien à Kabila. Vendredi 23 janvier, le sénat a dû annuler le recensement face à l’énorme pression des masses. C’est un coup dur pour la clique de Kabila et c’est une victoire claire pour le mouvement. La population congolaise, dirigée par les étudiants héroïques, a clamé ses revendications avec le poing levé. Le plus grand accomplissement réside dans le fait que les masses prennent conscience dans leur propre force.

Ce mouvement en Afrique centrale a rejoint les mouvements révolutionnaires inspirés par ceux de l’Afrique de l’Ouest et qui ont provoqué un véritable tremblement de terre dans la région. C’est exactement là que les perspectives de la révolution congolaise résident. Isolée dans les frontières artificielles de la République Démocratique du Congo, il n’y a pas de solution pour la population. La réelle libération du joug de l’impérialisme, de la faim et de la pauvreté ne peut advenir que par une révolution socialiste régionale et finalement continentale. Les plus grands problèmes de la population africaine ne peuvent être résolus que sur la base d’un renversement mondial du capitalisme.

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