Dans les hôpitaux, la journée de travail de 12 heures tend à se développer. C’est un des moyens trouvés par nos directions pour faire face à la pénurie de personnel qualifié et surtout aux budgets toujours plus restreints.

Pour le militant syndical que je suis, une telle organisation du travail esta priori un recul social. Les précurseurs du mouvement ouvrier ne se sont-ils pas battus pour la journée de 8 heures avec pour mot d’ordre : « 8 heures de travail, 8 heures de repos et 8 heures de loisir » ? De nombreux travailleurs l’ont payé de leur vie et c’est dans le cadre de cette lutte que le 1er mai est devenu, à la fin du XIXe siècle, une journée internationale de lutte du monde du travail contre le capital.

Certes, les journées de 12 heures se font dans le cadre de l’annualisation du temps de travail instaurée par la loi des 35 heures, qui dans la fonction publique hospitalière fixe l’année de travail à 1 582 heures pour les agents à repos variable travaillant plus de 20 dimanches par an. Une telle organisation génère donc davantage de jours de « récupération ». A première vue, c’est plutôt alléchant. Ainsi, sur l’hôpital d’Alès, le passage de la journée de travail de 7 heures 40 à 12 heures permet d’instaurer des cycles où l’on ne travaille qu’un week-end sur deux au lieu de deux sur trois, avec au total 130 jours de travail par an.

Les femmes représentent plus de 70 % du personnel hospitalier. Or plus de jours de repos, c’est pour les jeunes mères plus de temps à consacrer à leurs enfants, dans une profession où les horaires de travail ne sont pas adaptés. Au Centre Hospitalier d’Alès, nous n’avons plus de crèche. Certaines collègues choisissent de travailler de nuit pour s’occuper de leurs enfants la journée. On en connaît les conséquences : une espérance de vie inférieure de 10 ans à la moyenne nationale. Les sages-femmes, dans les services de maternité, travaillent déjà à ce rythme depuis très longtemps. Mais depuis plusieurs années cela s’étend à d’autres professions paramédicales et à d’autres services hospitaliers.

Chantage

Dans les faits, l’assentiment majoritaire du personnel pour la journée de 12 heures est suscité par les directions, parfois sous forme de chantage. A l’hôpital d’Alès, le premier service à avoir fait cette expérience fut celui des Urgences, après qu’au printemps on a annoncé aux personnels soignants, principalement infirmier, qu’ils ne pourraient pas tous avoir leurs trois semaines de congés d’été s’ils ne passaient pas aux 12 heures. Un vote a ensuite été organisé – en tenant les syndicats bien à l’écart. 
Cette année, ce sont les services de réanimation et la maternité qui sont passés aux 12 heures, à l’essai pour six mois, sans que cela passe par le CHSCT. Ce sont des services où ces rythmes de travail sont mieux tolérés car la charge de travail n’y est pas constante : il y a des « coups de bourre » mais aussi des moments plus calmes. Et on y craint moins des suppressions de postes car les effectifs de personnel soignant y sont fixés par décret en fonction du nombre de lits ou d’accouchements.

Il en est tout autrement pour le pôle « hébergement des personnes âgées dépendantes », c’est-à-dire les maisons de retraite, qui vient de passer « à l’essai » au premier octobre. Un essai fait « à la demande du personnel », mais après que trois propositions ont été faites au personnel : soit le retour des « coupés », soit le passage aux 7 heures et la perte de 20 jours de RTT, soit les « 12 heures »… Or c’est un secteur où la charge de travail est lourde, physiquement et moralement, où le manque de personnel est criant et où le même travail se répète jours après jours. Quelles seront les répercussions des 12 heures sur les conditions de travail, la santé, la vie familiale des salariés de ces service et la qualité des soins ? Après un mois d’essai, il semble que cela se passe plutôt bien, sauf que… sauf que les travailleurs plus jeunes le supportent mieux que les plus âgés, sauf que les journées sont exténuantes pour tous quand on doit travailler en sous-effectif, sauf que durant le week-end les soignants font 36 heures en trois jours (vendredi, samedi, dimanche), sauf que si la direction semble mettre les moyens pendant la période d’essai, on redoute de voir les effectifs diminuer pour raison de « déficit budgétaire » plus tard.

Par ailleurs, de nombreuses études montrent qu’avec l’allongement de la durée quotidienne de travail, les risques de problèmes cardiaques, d’accidents de travail et de trajet augmentent, que la vigilance baisse et qu’il y a plus de risques de faute professionnelle. Dans le cadre du CHSCT, le syndicat CGT de l’hôpital d’Alès veut rester vigilent sur les effets des 12 heures sur la santé des agents – au-delà de la « période d’essai ». La crainte du syndicat c’est aussi de voir, à terme, se multiplier les conseils de discipline, y compris pour maltraitance.

Un agent hospitalier

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