En décembre dernier, le collectif Médecins pour demain appelait les médecins généralistes libéraux à une grève de 48 heures. La revendication centrale était le doublement du prix de la consultation – de 25 à 50 euros – pour « sauver le modèle libéral, en voie d’extinction ».

D’après le même collectif, 50 à 70 % des médecins libéraux auraient participé à cette grève. De son côté, l’Assurance maladie dit avoir constaté une baisse d’activité de 10 à 30 %, selon les départements. Une chose est sûre : chez un certain nombre de médecins, cette grève fut l’occasion d’exprimer un ras-le-bol plus général, sans forcément soutenir l’idée d’un doublement du prix de la consultation. De fait, cette revendication n’est pas la solution à la crise de la médecine libérale, car celle-ci s’enracine dans la crise du système capitaliste lui-même.

Saturation générale

C’est bien connu : un nombre croissant de territoires ruraux et urbains tombent dans la catégorie des « déserts médicaux ». Ce sont parfois des territoires très peuplés, comme par exemple la Seine Saint-Denis. 

Dans le même temps, les gardes et permanences de soins (type SOS médecins) sont insuffisantes. Selon l’Ordre des médecins, 76 % des territoires ne sont pas couverts par une permanence ouverte toute la nuit. Ce problème se répercute fatalement sur les services hospitaliers, et en particulier sur les Urgences, vers lesquelles s’orientent des patients qui auraient pu – et dû – être pris en charge par un généraliste. Or, comme on le sait, les hôpitaux publics sont eux-mêmes asphyxiés par des décennies de politiques d’austérité. Le manque de moyens contraint même les services d’Urgences à des fermetures temporaires, transitoires ou permanentes, à travers tout le pays : à Fontenay le Comte, Bergerac, Granville, Manosque, Saint-Lô, Cavaillon, Villefranche-sur-Saône – et la liste ne cesse de s’allonger.

Résultat : le système est saturé, et l’accès général aux soins diminue. Des malades renoncent à se soigner. Bien sûr, cela ne concerne pas les patients les plus riches, qui ont rapidement accès aux différents médecins et spécialistes – à condition d’y mettre le prix – pour une prise en charge adéquate dans certains cabinets ou dans les meilleurs hôpitaux et cliniques privés.

Les « solutions » libérales

Le gouvernement Macron est incapable de résoudre ce problème global, car il n’a pas la moindre intention de revenir sur les politiques d’austérité et de privatisation de la santé publique. Au lieu de s’attaquer à la racine du mal, Macron a imposé aux internes en médecine générale une année supplémentaire d’études orientée vers les déserts médicaux.

Cette mesure a suscité de vives et légitimes protestations de la part des internes, et ce pour plusieurs raisons. D’une part, la rémunération des internes est très inférieure à celle des médecins en exercice. D’autre part, l’isolement des internes intervenant dans des déserts médicaux renforce les prises de risque dans la prise en charge et le suivi des patients. Enfin et surtout, beaucoup d’internes comprennent qu’on fait peser sur eux le poids d’un système en crise.

Mais le gouvernement est passé en force. Dans le même temps, il a concédé une augmentation du prix de la consultation de 1,5 euro. De son côté, le collectif Médecin pour demain revendique toujours une forte augmentation du prix de la consultation, tout en défendant l’idée d’une diminution des cotisations et des impôts pour les médecins libéraux qui exerceraient dans les déserts médicaux.

En réalité, la question de la rémunération n’est pas l’enjeu principal pour les jeunes médecins, en particulier dans le choix de leur futur lieu d’exercice. En France, le revenu d’un médecin généraliste exerçant en libéral est en général supérieur à 5000 euros net mensuels. Si des territoires perdent des médecins, ce n’est pas principalement à cause d’une rémunération insuffisante. C’est bien plutôt la conséquence de conditions de travail dégradées, d’horaires sans fin et du manque de services publics en général. La meilleure façon de lutter contre les déserts médicaux n’est donc pas d’utiliser les internes en médecine ou d’augmenter la rémunération des médecins généralistes qui exercent en libéral, mais bien plutôt d’investir dans les services publics de soins, les crèches, les écoles et les transports publics – soit l’exact contraire de ce que fait ce gouvernement (et de ce que faisaient les gouvernements précédents).

L’évolution des pratiques

Si le mode d’exercice libéral de la médecine générale est encore dominant, sa dynamique est à la baisse, en particulier chez les jeunes médecins. En 2012, le nombre de médecins exerçant seulement en libéral était de 64 000. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 57 000. Au cours de la même période, le salariat et l’exercice « mixte » (libéral et salarié) ont progressé : de 4800 à 8400 médecins généralistes pour le premier, de 32 000 à 34 000 pour le deuxième. Cette évolution signale une remise en cause croissante – par les jeunes médecins eux-mêmes – du modèle libéral. Or, un tiers des généralistes libéraux a plus de 60 ans. S’ils arrêtaient leur activité, beaucoup ne trouveraient pas de remplaçants pour reprendre leur cabinet.

Le collectif Médecins pour demain estime que sur 55 heures de travail hebdomadaire, en moyenne, dans un cabinet individuel, 20 % seraient consacrés à des tâches administratives. Cela représente 2 heures par jour travaillé. Face à ce constat, seuls 10 % des jeunes médecins libéraux s’installent en cabinet individuel, contre 52 % au sein de cabinets de groupe. Ces derniers permettent d’intégrer différents professionnels de santé et facilitent l’embauche d’un secrétariat médical pour assurer les tâches administratives.

Cette tendance est en phase avec l’évolution des pratiques médicales elles-mêmes. Ces dernières années, les missions des médecins généralistes ont beaucoup évolué pour tenir compte des nouveaux besoins sanitaires et des progrès de la médecine. Aujourd’hui, pas moins de 60 % des dépenses de la Sécurité sociale sont dirigées vers des soins de longue durée, qui nécessitent une prise en charge complexe et réalisée par plusieurs professionnels, dont les compétences se complètent.

Ainsi, des Centres publics de santé ont commencé à s’implanter sur toute une partie du territoire. Ils regroupent différents professionnels, dont des médecins généralistes. La partie administrative est mutualisée et centralisée par des secrétaires. Le matériel médical est géré par le centre lui-même. Cette structure favorise les liens entre les soignants et les hôpitaux du secteur. Les médecins salariés ne sont pas rémunérés en fonction du nombre de patients consultés ou d’actes de soins réalisés : ils bénéficient d’un salaire mensuel qui se situe en général entre 3500 et 6500 euros net, pour un minimum de 35 heures hebdomadaires. Cela dit, il existe de grosses disparités selon les employeurs. Par exemple, le secteur associatif est connu pour employer à moindres frais.

A Marseille, par exemple, le Château en santé est un centre associatif qui soigne sans condition de ressource ou de « papiers ». Situé dans les quartiers Nord de la ville, il rassemble une équipe entièrement salariée, composée de médecins généralistes, d’infirmières, de secrétaires, d’une assistante sociale, d’une conseillère conjugale et de deux orthophonistes. Toute l’activité du centre est planifiée collectivement, via des réunions d’équipe régulières et des votes sur les actions de santé à mener. Chaque semaine, il y a des ateliers d’éducation thérapeutique sur le diabète, l’asthme, l’hypertension, ou encore des consultations de préparation à la grossesse.

Parce qu’une communication de qualité avec les patients est essentielle, la structure s’est dotée d’un service téléphonique de traducteurs, en plus de médiateurs locaux bilingues présents sur place. Non loin de là, un autre centre public a récemment vu le jour : l’Espace santé, qui dépend de l’hôpital marseillais. Les médecins généralistes y sont salariés et réalisent sur place des consultations, où il est également possible de consulter une gynécologue, un endocrinologue, un rhumatologue, un pédiatre, une diététicienne ou une neuropsychologue. Une équipe mobile a même été formée : sa mission est de se rendre au plus près des patients, dans les différents quartiers.

Contradiction

Les Centres publics de santé montrent la voie d’une médecine moderne et à la hauteur des besoins. Cependant, ces centres sont en nombre très insuffisant, à l’échelle nationale. Par ailleurs, la pleine réalisation des missions de la médecine générale au sein de ces centres est sans cesse compromise par les politiques d’austérité. Pendant ce temps, les grands patrons des mutuelles privées, des laboratoires pharmaceutiques et des cliniques et hôpitaux privés n’ont jamais été aussi riches.

On fait donc face à la contradiction suivante : d’un côté, la médecine libérale décline au profit d’une médecine plus collective ; d’un autre côté, cette tendance est profondément minée par la crise du capitalisme et les politiques d’austérité des gouvernements successifs. Et le bilan global, c’est une crise générale de la santé publique – qui frappe la masse de la population (à l’exception des riches), mais aussi une grande partie des médecins et des personnels soignants.

Quel programme ?

Face à un problème systémique, il faut des solutions radicales. A gauche, la France insoumise revendique un « véritable service public de soins primaires, organisé autour de centres de santé, avec des professionnels salariés, et une prise en charge à 100 % par la Sécurité sociale en remboursant à 100 % tous les soins de santé prescrits. » [1] Nous soutenons évidemment cette revendication. Cependant, il faut aller plus loin et s’attaquer à la racine du problème, c’est-à-dire au système capitaliste lui-même.

Il faut éliminer la course aux profits dans la santé publique. Il faut lutter pour la nationalisation – sous le contrôle démocratique du personnel soignant – des mutuelles privées, des laboratoires pharmaceutiques, des cliniques et hôpitaux privés. Dans le même temps, la nationalisation de l’ensemble du secteur bancaire permettrait de financer la santé publique à la hauteur des besoins. Des milliards d’euros seraient disponibles pour développer des Centres publics de santé. Au sein de ces structures, la prise en charge serait rapide et gratuite. Les médecins généralistes y seraient salariés et bénéficieraient d’un revenu fixe et décent, mais aussi de bonnes conditions d’exercice. Un plan de formation d’un nombre suffisant de médecins pourrait être lancé sur tout le territoire. Des soins pourraient être optimisés en les déléguant à des professionnels paramédicaux, qui bénéficieraient de formations adaptées et de meilleures rémunérations.

Que deviendrait la médecine libérale ? Nous ne proposons pas de fonctionnariser, d’un seul coup, l’ensemble des médecins libéraux. On l’a vu : leur statut est loin d’être le problème central du système de santé actuel. La médecine libérale se résorbera graduellement dans une médecine publique au fur et à mesure que le système de santé publique lui-même se développera, offrira de meilleures conditions de travail à son personnel et couvrira correctement l’ensemble du territoire national. Alors, de plus en plus de médecins choisiront d’eux-mêmes le secteur public, parce qu’il leur offrira de meilleures conditions d’exercice, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui dans un service public de soins rongés par l’austérité, les fermetures de lits et la course à la rentabilité.


[1] Extrait du Livret santé de la France

 insoumise

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