Il existe des entreprises dont les gens aiment les employés, mais détestent l’entreprise elle-même. La Poste est clairement de celles-là. Ainsi, le facteur arrive en 2e dans le classement des personnages de la vie publique préférés des Français [ 1]. Malgré la révolution internet et l’arrivée des e-mails, la mission du facteur est ressentie comme d’utilité publique par 96 % de la population et sa tournée quotidienne est « un élément très important » pour 2 Français sur 3. Pourtant, l’avenir de l’entreprise et du facteur est clairement remise en cause par la baisse du trafic courrier. Avec l’arrivée du tout numérique, La Poste a pris un sévère coup dans ses bénéfices et c’est notre facteur qui doit porter sur son dos la totalité de la casse.

En 10 ans, La Poste a supprimé 80 000 facteurs, soit un facteur toutes les heures pendant dix longues années. Cette casse de l’emploi a marqué nos facteurs physiquement, mais aussi moralement. Ces cinq dernières années, le taux d’absentéisme a augmenté de 20 %, le nombre de décès a augmenté de 30 %. Comparé à d’autres entreprises équivalentes comme Carrefour, EDF, Air France et Orange, le taux d’absentéisme y est supérieur de 65 %, le nombre de décès de 40 % et les accidents de travail sont non seulement 2,5 fois plus nombreux, mais aussi 3,5 fois plus graves. Si les médias nous ont alarmés sur le cas France Telecom, les facteurs sont dans une situation encore plus dramatique. Le taux de décès à La Poste est supérieur de 52 % à celui de France Telecom pendant ses années « noires » [ 2].

Ces chiffres, qui nous ramènent un siècle en arrière, s’expliquent simplement par les nouvelles conditions de travail imposées à nos facteurs. En supprimant des agents, La Poste a augmenté la durée des tournées, c’est-à-dire le nombre de boîtes aux lettres où le facteur doit s’arrêter. Mais que le facteur descende de sa voiture ou de son vélo pour une lettre ou pour cinq, l’effort physique est le même. En rallongeant les tournées, La Poste rend les tournées physiquement plus difficiles : il conduit ou pédale plus, descend plus de son vélo ou de sa voiture, marche plus, monte plus d’escaliers, etc. Il faut rappeler aussi que le facteur ne travaille « que » le matin en théorie, mais ceci 6 jours sur 7 et ne se repose que le dimanche.

En réalité, le facteur n’a pas d’horaires fixes. Il est payé à la tâche et donc il est très facile pour La Poste de rallonger les tournées, car si le facteur rentre plus tard, il ne sera pas payé plus. Les tournées sont calculées par ordinateur pour qu’elles soient réalisées en 6 heures et 30 minutes. Cependant, il n’est pas rare que le facteur rentre bien plus tard. Le travail devient de plus en plus pénible, ce qui entraîne une hausse notable des maladies et accidents de travail.

Cette difficulté se ressent au quotidien. En moyenne, seulement 1 CDD sur 3 réalise toute la durée de son contrat. Le 15 février 2013, Pauline, une jeune factrice expérimentée de Monistrol-sur-Loire, s’est pendue chez elle. Elle venait d’être affectée à une nouvelle tournée difficile, où déjà cinq CDD n’avaient pu remplir entièrement leur contrat. Les premiers jours où un CDD travaille, il lui arrive d’effectuer parfois plus de 12 heures de travail, sans aucune compensation, pour accomplir la totalité de sa tournée. Parfois il lui arrive même d’effectuer 12 heures de travail par jour pendant une semaine.

Après ces tragiques coupes dans l’emploi et le bilan humain désastreux, nous pourrions espérer que La Poste en tire des leçons et que notre facteur est au minimum au bout de ses peines. Bien au contraire : l’avenir s’annonce très noir pour lui et pour nous aussi. Selon les prévisions de l’entreprise, un recul du chiffre d’affaires de 6 % a été annoncé pour 2013 et un recul équivalent est aussi prévu pour 2014. Les bénéfices de l’activité devraient passer de 618 millions d’euros en 2012 à 214 millions d’euros en 2014. Cette année, l’activité courrier ne sera pas du tout rentable. Selon La Poste, « la dégradation est trop forte pour être compensée par une autre activité ». Toujours selon la direction « il n’y a que deux façons d’ajuster les coûts, soit on sabre dedans, soit on réduit les services » [ 3]. Sachant qu’ils ont déjà « sabré dedans », il s’agit maintenant de réduire les services.

Le modèle canadien est alors évoqué. Confrontée aux mêmes problématiques, La Poste du Canada a décidé de supprimer d’ici cinq ans la tournée à domicile. Les boites aux lettres seront remplacées par des « boites postales communautaires ». De grandes batteries seront installées près des mairies et les gens iront chercher leur courrier.

Cette mesure devrait permettre de supprimer encore un maximum de facteurs. L’autre piste est de revenir sur le service universel. Ce service universel est une directive européenne qui définit les prestations minimales du service postal. Autrement dit, La Poste doit assurer au minimum une distribution par jour, 5 jours sur 7. Actuellement, elle réalise une distribution par jour et 6 jours sur 7, mais ces distributions ne sont plus rentables. Concrètement, même si La Poste n’est plus une entreprise publique, elle continue d’avoir une vocation au service public. Or c’est bien ici que le problème réside, car les concurrents de La Poste ne sont pas soumis à ce service obligatoire. La concurrence attaque alors La Poste là où elle est le plus rentable, à savoir les colis et les recommandés. Bien que la crise ait freiné les concurrents les plus sérieux (comme la Deutch Post), certains ont clairement grignoté des parts de marché à une Poste déjà en difficulté.

Le leader américain UPS et le français Adrexo, par le biais de méthodes plus que douteuses, réalisent de bons chiffres d’affaires (Adrexo 290 millions d’euros). Adrexo emploie 1 500 distributeurs indépendants qui sont payés au lance-pierre et font leur distribution avec leur propre véhicule. Le coût de distribution pour l’entreprise est minime, tandis que leurs ouvriers ruinent leur automobile pour gagner une misère. De leur côté, les livreurs UPS sont payés seulement aux colis distribués et c’est pourquoi, en cas d’absence, ils déposent leur colis chez le voisin ou même le voisin du voisin. Au-delà d’un service détérioré, cette concurrence contribue nettement aux mauvais résultats de La Poste, car elle lui fait perdre les ressources nécessaires pour assurer cette mission de service public. Pour que la tournée soit rentable, la direction de La Poste songe à abolir le service universel : le facteur ne passerait plus que deux ou trois fois dans la semaine, afin que sa tournée soit la plus rentable possible.

Que ce soit la fin du service universel ou le regroupement des boîtes aux lettres, la fonction du facteur perd son essence même. Son rôle et la reconnaissance que les gens lui portent ne résident pas tellement dans la distribution du courrier, mais dans son rôle de vecteur social. Il passe tous les jours et s’assure du bien-être des habitants des communes et en particulier des plus âgés. Les facteurs ont déjà bien assez souffert de cette course infinie du tout libéral et pourtant ils souffrent encore. Il est temps de mettre un terme à cela. De façon immédiate, La Riposte se joint alors aux camarades de la CGT pour revendiquer :
- La garantie par l’Etat du service universel, en y mettant les moyens humains
- La contribution de La Poste à l’aménagement du territoire,
- L’accessibilité bancaire à toute personne et des solutions appropriées à leur situation,
- La distribution de la presse à des tarifs privilégiés compensés financièrement par la collectivité,
- L’assurance de garder un très haut niveau de qualité de service, 6 jours sur 7 et sur l’intégralité du territoire.

Dans un second temps, le combat des facteurs pour un meilleur service public ne peut passer que par la renationalisation complète de La Poste, sous le contrôle démocratique de ses salariés. La Poste n’est pas là pour gagner de l’argent : elle doit être au service de ses concitoyens et les facteurs sont les garants inaliénables de ce service public.


1] Selon un sondage TNS Sofres

2] Chiffre issue du rapport d’astrid herbert ravel, Ex-directrice des ressources Humaine en ile de France

3] Citation issue de l’Humanité Dimanche du 19 décembre 2013

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