Les élections européennes du 9 juin ne suscitent pas beaucoup d’intérêt dans la masse de la population. L’abstention sera certainement très élevée. Selon un récent sondage Ifop-Fiducial, 77 % des 18-24 ans et 75 % des 24-35 ans n’auraient pas l’intention d’aller voter. La même enquête prévoit 53 % d’abstention parmi les fonctionnaires, 60 % parmi les salariés du secteur privé et 75 % parmi les chômeurs. Certes, il ne s’agit que de sondages, mais ils sont très significatifs.

Même ceux qui se rendront aux urnes le feront souvent sans enthousiasme et sans illusions. En France comme dans d’autres pays de l’UE, les institutions européennes suscitent beaucoup moins d’adhésion que de rejet ou d’indifférence. C’est une manifestation, parmi d’autres, de la profonde crise de la démocratie bourgeoise. Le fait est que l’évolution de la composition du Parlement européen n’aura pas de véritable incidence sur les conditions de vie de la masse de la population. C’est si évident que les candidats eux-mêmes ne s’efforcent plus tellement de démontrer le contraire. Le Parlement européen n’a pas de pouvoir – ou plus précisément, son « pouvoir » est strictement limité par ce que les banques et les multinationales européennes lui permettent de « décider », conformément à leurs intérêts.

L’Union Européenne est à la fois un marché commun, un bloc protectionniste dirigé contre d’autres puissances impérialistes (Etats-Unis, Chine, Japon) et un ensemble d’institutions dominées par l’Allemagne et la France – mais surtout l’Allemagne, du fait de son poids économique. Il ne pouvait et ne peut rien en sortir de bon pour la classe ouvrière du continent, qui a eu maintes occasions d’apprécier la véritable nature de la « démocratie européenne ». En 2015, par exemple, la « troïka » – UE, BCE et FMI – a menacé d’étouffer la Grèce, financièrement, si le gouvernement de gauche d’Alexis Tsipras ne renonçait pas à son programme de réformes progressistes. Au lieu d’appeler son peuple à la résistance et à la rupture avec le capitalisme, le gouvernement réformiste de Tsipras a capitulé et engagé un nouveau plan d’austérité. Or tout au long de cette « crise grecque », le Parlement européen était réduit au rôle de simple spectateur. C’est le capital financier – et d’abord le capital financier allemand – qui était à la manœuvre.

Enjeu national

En France, l’enjeu central du scrutin du 9 juin n’est pas européen, mais national. Les résultats auront surtout un impact sur la vie politique française. Le gouvernement pourrait en sortir tellement affaibli que Macron serait contraint de dissoudre l’Assemblée nationale – soit de sa propre initiative, soit sous la pression d’une motion de censure.

L’échafaudage des petits calculs des Républicains et du RN a permis à Macron de gouverner le pays, depuis juin 2022, sans disposer d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale. Les dirigeants de ces deux partis ont jugé – non sans raison – qu’il était dans leur intérêt de laisser les macronistes s’enfoncer dans des abîmes d’impopularité. C’est pourquoi ils ne se sont jamais unis pour proposer à la gauche parlementaire de renverser le gouvernement. Lors de la lutte massive contre la réforme des retraites, l’an passé, les deux tiers des députés LR ont sauvé le gouvernement d’une motion de censure déposée sous la pression de la rue.

Il n’est pas exclu que ce petit jeu se poursuive au lendemain des élections européennes. Mais il y a des limites à ce genre de tactique politicienne. A la longue, la posture de « l’opposition responsable » risque de discréditer le RN et les Républicains auprès d’une partie de leurs électeurs potentiels. Si le résultat des élections européennes confirme ce qu’indiquent les sondages à ce jour (fin avril), la pression sera telle que les Républicains et le RN pourraient se résoudre à proposer de voter ensemble une motion de censure – à laquelle la gauche, dès lors, pourrait difficilement refuser de se rallier.

Considérons ce que disent les sondages. Le RN est annoncé autour de 30 %, le parti macroniste (Renaissance) autour de 18 %, les Républicains autour de 8 %. Cela mettrait l’opposition de droite (RN + LR) à 38 %, soit 20 % de plus que le parti de Macron. A quoi s’ajoutent les 5 % annoncés pour le parti de Zemmour. S’il se confirmait, un tel scénario serait un énorme revers pour Macron, Attal et leur clique. La légitimité démocratique de l’exécutif, qui est déjà très faible, en sortirait laminée. De nombreux électeurs de droite souhaiteront que les dirigeants des Républicains et du RN contraignent Macron à l’organisation d’élections législatives anticipées. Le Pen, Ciotti et consorts répondront-ils favorablement à cette attente ? Encore une fois, ce n’est pas certain. Mais une chose est sûre : moins de cinq mois après sa nomination, le gouvernement Attal est au bord du gouffre.

La FI et ses « partenaires »

L’autre élément central de cette équation, c’est la situation lamentable de « la gauche » au seuil des élections européennes. Les sondages annoncent la FI autour de 8 %, le PCF autour de 2 %, les Verts autour de 7 %. Total : 17 %, sans compter les 1 ou 2 % de l’extrême gauche. Le candidat du PS, Raphaël Glucksmann, est donné autour de 12 %, mais c’est sur la base d’une campagne tellement droitière, tellement pro-capitaliste et pro-impérialiste, qu’il est totalement abusif de le classer à gauche. De fait, toutes les enquêtes soulignent que Glucksmann, le général-en-chef de l’Armée du Verbe contre Poutine, pioche allègrement dans l’électorat des macronistes – au grand désespoir de ces derniers.

Les dirigeants des Républicains et du RN considèrent tout cela comme de bon augure dans la perspective d’élections législatives anticipées. A l’inverse, pour les militants et sympathisants de la FI, c’est une source d’inquiétude. Nombre d’entre eux ne ménagent pas leur peine dans la campagne électorale. Ils multiplient les initiatives, les tractages, les collages, les porte-à-porte et les réunions publiques. Mélenchon lui-même jette toute son autorité dans la balance, de meeting en meeting. Il n’est pas totalement exclu que ces efforts se traduisent par un meilleur score de la FI, le 9 juin, que celui annoncé par les sondages à ce jour. Mais il ne faut pas se raconter d’histoire : la ligne politique adoptée par la direction de la FI, ces deux dernières années, pèsera lourdement et négativement sur le score de la liste dirigée par Manon Aubry.

La constitution de la NUPES, en mai 2022, marquait le virage à droite le plus net de la FI depuis sa création en 2016. C’était une rupture flagrante avec tous les discours de Mélenchon sur la nécessité de tourner le dos à la « vieille gauche » discréditée par ses trahisons et renoncements successifs. Il en résulta ce que nous avions prévu : au lendemain des élections législatives de juin 2022, une fois repus de sièges à l’Assemblée nationale, les dirigeants du PS, des Verts et du PCF ont commencé à multiplier les critiques droitières à l’encontre de la FI en général et de Mélenchon en particulier, dans l’espoir de se refaire une santé sur leur dos. Puis, dans la foulée du 7 octobre dernier, les mêmes ont démonstrativement quitté la NUPES au nom du « droit d’Israël à se défendre », c’est-à-dire à massacrer les Palestiniens en toute impunité.

La NUPES fut un prévisible fiasco qui ne pouvait susciter aucun enthousiasme dans la masse de la jeunesse et du salariat. Et cependant, la direction de la FI n’en tire aucune leçon. Pire : elle en redemande. Pour essayer de convaincre les électeurs de voter pour la liste dirigée par Manon Aubry, le 9 juin, Mélenchon nous annonce que si elle arrive en tête de la gauche, la FI sera en position de force pour « contraindre » les Verts, le PS et le PCF de s’unir avec elle « sur son programme ». Incroyable mais vrai : Mélenchon propose, au fond, une « NUPES 2.0 ». Problème : cette perspective ne peut absolument pas mobiliser la couche la plus radicalisée de la population.

La campagne de la FI fait face à un barrage d’insultes et de censures orchestrées au plus haut niveau de l’Etat et relayées par les grands médias bourgeois. Il y a même, désormais, des convocations policières de dirigeants de la FI. Et comment réagissent les dirigeants du PS, des Verts et du PCF face à cette campagne visant leur ancien « partenaire » de la NUPES ? Soit ils se taisent, soit ils hurlent avec les loups – sur un ton plus feutré, certes, que les journalistes de CNews et du Figaro, mais le résultat est le même.

Au lieu de retenir leurs coups contre l’aile droite du réformisme, dans l’espoir de préserver les chances d’une nouvelle alliance de « toute la gauche », les dirigeants de la FI devraient dire la vérité haut et fort : les Roussel, Faure et compagnie ont complètement capitulé sous la pression de la classe dirigeante. Dans le cas du secrétaire national du PCF, c’est tellement flagrant et scandaleux que les meilleurs militants de ce parti le quittent à un rythme régulier, souvent la mort dans l’âme et la honte au front.

Rompre avec le capitalisme !

Les erreurs successives des dirigeants de la FI, ces dernières années, n’ont rien d’accidentel. Elles découlent du caractère réformiste de leurs idées, de leur programme et de leur stratégie. La direction de la FI s’accroche à l’aile droite du réformisme, qui elle-même n’a pas la moindre intention de s’attaquer aux intérêts fondamentaux de la bourgeoisie. C’est l’explication fondamentale des oscillations et des errements de Mélenchon.

Il faut briser cette chaîne des alliances et des complicités qui va de l’aile gauche du réformisme (FI) jusqu’aux partis de droite, en passant par le PS, les Verts et le PCF. Or cela suppose un programme de rupture radicale avec la bourgeoisie et son système, le capitalisme, qui repose sur la propriété privée des grands moyens de production et la course aux profits. Autrement dit, cela suppose un programme révolutionnaire, communiste, qui vise la conquête du pouvoir par la classe ouvrière, l’expropriation de la grande bourgeoisie et la réorganisation de la société sur la base d’une économie démocratiquement planifiée – en France et à l’échelle mondiale. Sur le continent européen, la seule alternative viable et progressiste à l’UE est une Fédération des Etats socialistes d’Europe.

C’est ce programme que défend Révolution, section française de la Tendance Marxiste Internationale (TMI), une organisation active dans une quarantaine de pays à travers le monde. Et c’est sur cette base que la TMI se transformera, en juin prochain, en Internationale Communiste Révolutionnaire. Pour nous aider à la construire, rejoignez-nous !

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