Du point de vue des milliardaires qui dirigent la société et contrôlent ses richesses, le scandale des « Panama papers » arrive au pire moment. Alors que du monde entier s’élèvent des protestations contre le pouvoir et les privilèges des « 1 % », la preuve est apportée, à une échelle inédite, qu’un système tentaculaire leur permet de placer leurs fortunes à l’abri de l’impôt. Dans le même temps, les gouvernements – évidemment complices de cette fraude géante – nous annoncent que « les caisses sont vides », qu’il n’y a pas d’argent pour les services publics, les écoles, les hôpitaux, les retraites, et que nous allons devoir nous serrer la ceinture pendant plusieurs années, voire plusieurs décennies.

Ces révélations ont eu et auront des conséquences politiques immédiates. Le premier ministre islandais, qui figure dans les « Panama papers », a été renversé en quelques jours par des manifestations de masse. Il faut dire qu’il avait été élu sur un programme de lutte contre la corruption et l’évasion fiscale ! En Grande-Bretagne, le premier ministre David Cameron – dont la fortune familiale échappe à l’impôt depuis 30 ans – est dans une situation extrêmement délicate. Le 16 avril, à Londres, des dizaines de milliers de manifestants réclamaient sa démission.

L’Espagne et les Etats-Unis

Mais les « Panama papers » auront des conséquences à plus long terme. Ces révélations vont nourrir l’accumulation de colère, de frustration et d’indignation qui, dans un pays après l’autre, finit par émerger à la surface, rompant l’équilibre politique et social. Il n’est pas difficile de voir que ce processus a commencé.

Depuis la chute du régime franquiste, en Espagne, la classe dirigeante s’est appuyée sur un bipartisme apparemment indestructible : le Parti Populaire (droite) et le PSOE (socialistes) se succédaient au pouvoir sans que rien de fondamental ne change. C’est terminé. L’ascension spectaculaire de Podemos, sur la gauche du PSOE, a débouché sur un Parlement « bloqué », incapable de former un gouvernement. La convocation de nouvelles élections, en juin, semble inévitable. Si elles parviennent à s’unir, les deux forces de la « gauche radicale », Podemos et Izquierda Unida, pourraient entrer en force au Parlement. Mais même si la bourgeoisie parvient à trouver une majorité parlementaire à sa solde, il s’agira d’un gouvernement très instable, massivement contesté dans la rue – et qui préparera un virage à gauche encore plus violent, sur les plans politique et électoral.

Aux Etats-Unis, pays du maccarthysme et de la guerre sainte contre le communisme, un sondage datant de juin 2015 signalait que 69 % des jeunes de moins de 30 ans étaient prêts à voter pour un candidat « socialiste ». Le succès de la campagne de Bernie Sanders – qui se réclame du « socialisme démocratique » – en est l’éclatante confirmation. Même si Hillary Clinton remporte les primaires démocrates face à Sanders, le bipartisme américain en sortira très affaibli. De grands bouleversements sont à l’ordre du jour dans la première puissance mondiale. L’« économie de marché » y avait été élevée au rang d’une religion populaire ; elle est aujourd’hui profondément remise en cause, en même temps que l’ensemble des institutions du capitalisme américain.

« Donne-moi un point d’appui… »

Ce qui se passe en Espagne et aux Etats-Unis a les mêmes causes fondamentales que l’ascension de Syriza en Grèce, il y a deux ans, et celle de Jérémy Corbyn en Grande-Bretagne, l’été dernier. Il s’agit d’un phénomène international. Le mécontentement des masses existe dans tous les pays. Lorsqu’il ne s’est pas encore exprimé sur la gauche, politiquement, c’est qu’il manque un véhicule adéquat, un point de référence auquel les jeunes et les travailleurs puissent se rallier. Comme le dit la formule attribuée au physicien grec Archimède : « Donne-moi un point d’appui et je soulèverai le monde ».

En France, le Front de Gauche aurait pu constituer ce « point d’appui ». Il en avait le potentiel, comme l’a montré son résultat à la présidentielle de 2012. Mais dès 2014, il s’est divisé et a multiplié les erreurs opportunistes. Incapable de rompre avec le PS, la direction du PCF s’embourbe désormais dans le processus des « primaires de la gauche », ouvrant une nouvelle et profonde crise du parti à la veille de son congrès national. Si celui-ci confirme la stratégie des « primaires », le PCF s’expose à la marginalisation.

De son côté, la candidature de Jean-Luc Mélenchon bénéficie d’ores et déjà d’un soutien important dans la jeunesse et la classe ouvrière. Peut-elle cristalliser un puissant mouvement d’opposition de gauche aux politiques d’austérité ? Cela dépendra avant tout des idées et du programme que Mélenchon placera au cœur de sa campagne. Ils devront être en phase avec la colère et la radicalité croissantes du peuple.

Radicalisation

En attendant, cette colère a fait irruption dans le mouvement contre la loi Travail et dans le phénomène des Nuits Debout.

La stratégie des « journées d’action » est de plus en plus contestée par les bases syndicales. Au congrès de la CGT, la direction confédérale a subi un feu nourri de critiques de délégués exigeant une mobilisation du syndicat à la hauteur de la situation. Martinez a dû faire une concession – très prudente et purement verbale – sur le principe d’une « grève reconductible ». A la veille de la journée d’action du 28 avril, il est impossible de dire si le pays s’oriente effectivement vers un mouvement de grève reconductible. Il est certain, par contre, que c’est la seule chance de victoire du mouvement contre la loi Travail.

De leur côté, les Nuits Debout vont bien plus loin que la seule revendication du retrait de la loi Travail. La condescendance amusée que leur ont accordée les grands médias, dans un premier temps, a laissé place à une propagande beaucoup plus hostile. Malgré l’inévitable confusion qui traverse un mouvement comme les Nuits Debout, il est parfaitement clair qu’il exprime un rejet du système et de tous ses appendices : grands partis, grands médias, institutions politiques, etc. Les Nuits Debout sont un symptôme de la radicalisation politique à l’œuvre dans la société française – et en particulier dans la jeunesse.

Par exemple, l’enthousiasme que suscitent les discours de Frédéric Lordon est très significatif. Que dit-il ? Qu’il ne faut pas se contenter de lutter contre la loi Travail ; qu’il faut lutter contre le système qui promeut cette loi ; que ce système est structuré par l’asservissement du Travail au Capital ; qu’il faut donc mettre un terme définitif à cet asservissement. Nous sommes bien d’accord ! Et cette libération des salariés de l’exploitation capitaliste, c’est ce que les marxistes appellent une révolution socialiste. Frédéric Lordon ne serait peut-être pas d’accord avec cette terminologie. Mais ce qui importe, c’est que des milliers de jeunes applaudissent l’idée d’une révolution dirigée contre le Capital et son étouffante domination. Quelle magnifique et vivante réfutation de l’argument – si souvent avancé par les dirigeants réformistes – selon lequel les « vieilles idées » révolutionnaires ne peuvent plus convaincre personne ! Aux militants de la gauche et du mouvement ouvrier d’en tirer toutes les conséquences.


Sommaire

Veillée d’armes - Edito du n°11
Mouvement contre la loi Travail : comment vaincre ?
Les Nuits Debout, cauchemars des «1%»
Continental Automotive : la grève paie
La loi Travail légaliserait les abus patronaux
Le « Jobs Act » italien, modèle pour les bourgeoisies européennes
51e congrès : la CGT à la croisée des chemins
Etat d’urgence : une situation « exceptionnelle » normalisée
Le congrès du PCF et la crise du Front de Gauche
Présidentielles : le Parlement trafique les règles
Brésil : la destitution de Dilma Rousseff prépare une explosion de la lutte des classes
Espagne : crise politique et parlementaire
Etats-Unis : énorme enthousiasme pour la campagne de Bernie Sanders
« Panama papers » : la corruption ordinaire du capitalisme
Moyen-Orient : les impérialistes dans l’impasse
UE – Turquie : l’accord de la honte sur les réfugiés
Le congrès mondial de la TMI
Révolution a besoin d’un local – et de votre aide !
« Paris Marx », saison 3
Il y a 80 ans : le Front Populaire et la grève générale de juin 1936
Loi Travail : la jeunesse lutte pour son avenir
Ce pour quoi nous luttons

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