Le 51e congrès de la CGT, qui s’est tenu à Marseille du 18 au 22 avril, marque une différence qualitative par rapport aux précédents congrès. Il s’est tenu au beau milieu de la lutte contre la loi Travail. Or la stratégie de la direction confédérale de la CGT, dans ce combat, a suscité de nombreuses critiques. Les militants ont en mémoire l’échec de la même stratégie – celle des « grandes journées d’action » – lors de la lutte contre la réforme des retraites, en 2010. Pour cette raison (et d’autres), les interventions des délégués étaient nettement plus critiques que lors des précédents congrès.

Malaise de la base

Seuls 59 % des délégués ont approuvé le « rapport d’activité » de la direction confédérale, contre 81 % lors du 50e congrès. Il faut dire que l’affaire Lepaon a imprimé sa marque sur le mandat de la direction élue au dernier congrès. Des dizaines de milliers d’euros dépensés dans la rénovation d’un bureau et plus de 100 000 euros dans celle d’un appartement, cela ne peut être la décision d’un seul homme. Les syndiqués sont en droit d’exiger des comptes.

Mais cette affaire cachait un malaise plus profond, qui s’est aggravé depuis la crise économique de 2008. Depuis la victoire de 2006 contre le CPE, les syndicats n’ont pas réussi à mettre en échec les projets de contre-réformes des gouvernements successifs. Le mouvement ouvrier est sur la défensive, prend coup sur coup.

Face aux attaques incessantes contre les conditions de travail et à la criminalisation de l’activité syndicale, une partie croissante de la base de la CGT estime que la direction confédérale n’est pas à la hauteur. Alors qu’une grande partie de la base est déterminée à se battre, elle ne retrouve pas cette combativité au sommet de l’organisation.

Dans la période récente, avec la criminalisation de l’activité syndicale chez Air-France et Goodyear, on a pu mesurer ce décalage entre la combativité des militants et le « minimum syndical » de la direction confédérale. C’est apparu lors du Congrès, par exemple, lorsque la direction a refusé que les syndicalistes de Goodyear – condamnés à des peines de prison fermes – prennent la parole avant les votes. Elle leur a proposé de prendre la parole après les votes, pendant la séance « détente », juste avant la clôture du congrès. Les Goodyear ont rejeté cette proposition.

Pressions de gauche et de droite

Mais les critiques ne viennent pas seulement de la gauche. A l’occasion du congrès, des critiques virulentes sont venues de la droite, des politiciens bourgeois et des grands médias, qui font pression pour que la CGT se « modernise » et renonce à sa culture « contestataire », c’est-à-dire accepte de « négocier » les contre-réformes actuelles et à venir. Tous fustigent son « archaïsme ». Le premier secrétaire du PS, Cambadélis, dénonce une « gauchisation » de la CGT. Il faut dire que le PS était souvent au centre des critiques des délégués. Tous les partisans du capitalisme (de droite ou de « gauche ») ne cessent d’enterrer la CGT. A quoi Martinez a répondu assez justement : « Aujourd’hui, on nous traite de dinosaures, de derniers des Soviets. […] Ces insultes nous montrent au moins une chose, nous sommes bien présents et vivants, car on ne tire pas sur les morts ».

Ces pressions contradictoires vers la gauche et vers la droite reflètent des contradictions de classe de plus en plus aigües. Martinez s’est efforcé de rester en équilibre, lors du congrès, en donnant quelques gages aux deux parties. Mais c’est un équilibre très instable et, en fait, intenable. La profonde crise du capitalisme n’offre plus d’espace aux compromis. La CGT devra radicaliser sa stratégie et son programme – ou continuer d’encaisser les coups d’une classe dirigeante à l’offensive. L’un des deux camps devra l’emporter sur l’autre.

Quelle stratégie ?

Pour cesser de subir et de reculer, il faut commencer par définir une stratégie d’action qui permette la victoire. Or la stratégie du « syndicalisme rassemblé » et les appels à des journées d’action éparpillées ont mené à l’échec. C’était un point central sur lequel de nombreux délégués sont intervenus, avec en perspective la loi Travail – et en mémoire toutes les défaites passées.

Cette stratégie avait échoué en 2010, ce qui avait été passé sous silence lors du congrès de Toulouse, en 2013. Or dans le document d’orientation du 51e Congrès, la direction de la CGT persiste et signe. Pourquoi ? Parce qu’elle redoute un mouvement de grève reconductible qui finirait par échapper à son contrôle. Telle est la vérité sans fard. Et la direction confédérale n’a pas tort de redouter un tel mouvement, car la colère et la frustration atteignent des niveaux extrêmes chez les travailleurs. Nombre d’entre eux seraient prêts à se mobiliser dans une action décisive – non seulement contre la loi El Khomri (que 70 % des Français rejettent), mais aussi pour un programme radical dans les domaines de l’emploi, des conditions de travail, des services publics, etc.

Beaucoup de délégués ont insisté pour que la direction confédérale explique la nécessité d’un mouvement de grève reconductible. Face à de nombreuses interventions dans ce sens, la direction a proposé une résolution qui y fait timidement écho. Les bases syndicales s’en saisiront pour tenter de mobiliser dans ce sens.

Quel programme ?

Pour la direction, le problème, c’est le « coût du capital ». Pour faire simple, il s’agit de revendiquer une meilleure répartition des richesses. A part les capitalistes, tout le monde est d’accord là-dessus. Le problème, c’est que le programme se limite à ce type de revendications.

On est aussi d’accord avec la revendication des « 32 heures » de travail hebdomadaire. Mais alors que le temps de travail s’allonge dans la pratique, et que la loi Travail propose d’aller encore plus loin, comment fait-on pour que le mot d’ordre des « 32 heures » ne reste pas un vœu pieux ? Quelle stratégie de lutte engager ? Il n’y a pas de réponse claire à cette question, dans le document de congrès.

Le programme développé dans ce document propose un « nouveau statut du salarié » et une « Sécurité sociale professionnelle ». Mais là aussi, la loi Travail et toutes les contre-réformes passées vont dans le sens d’une destruction des maigres protections dont bénéficient les salariés. Dans ce domaine comme dans tous les autres, la classe dirigeante est à l’offensive. Dès lors, on voit mal comment la direction de la CGT compte faire « prendre en compte » ces revendications, selon sa formule. « Prendre en compte » par qui, d’ailleurs ? Le patronat ? Le gouvernement ? C’est peu probable !

Le document propose également de « rendre le travail émancipateur ». Mais comment le travail pourrait-il être « émancipateur » sous le système d’exploitation maximale qu’est le capitalisme ? Le travail deviendra « émancipateur » lorsqu’il cessera d’être une source de profits pour quelques parasites milliardaires, c’est-à-dire lorsque le capitalisme aura cédé la place au socialisme. Mais de cela, le texte de congrès de la CGT ne dit pas un mot.

Politisation et « projet de société »

Le document d’orientation dit qu’il faut « remettre le syndicalisme dans un projet de société ». On est d’accord. Il est indispensable que le syndicalisme ne se limite pas aux questions purement « syndicales » (si tant est que de telles questions existent). Le document dit qu’il ne faut « pas de cloisonnement entre syndicalisme et politique ». Nous ajoutons : un tel « cloisonnement » serait complètement artificiel ; il n’existe pas, dans la réalité. Mais plus loin, dans le document, il est écrit que « la CGT doit se prémunir de toute forme d’intrusion » et qu’elle « a son indépendance idéologique et d’action ». Or que peut bien signifier cette « indépendance idéologique » ? « Indépendance » à l’égard de quelles idéologies ? Mystère. En attendant, la direction ne remet pas en cause le système capitaliste, de sorte qu’elle tombe fatalement sous la « dépendance idéologique » du réformisme impuissant. Son programme se limite à des réformes dans le cadre du capitalisme – qui pourtant ne tolère plus de réformes et veut détruire toutes les conquêtes sociales du passé.

La CGT doit renouer avec ses origines révolutionnaires. Elle doit préparer les travailleurs à une transformation fondamentale de la société. Et que la direction confédérale le veuille ou non, la CGT sera poussée dans ce sens par le développement de la crise et de la lutte des classes. Le 51e congrès était un premier pas dans cette direction.