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Etienne Chouard s’est fait connaître en 2005 par une critique détaillée du projet de Constitution européenne qui fut soumis à référendum, en France, et massivement rejeté. Par la suite, on entendit moins parler de l’homme et de ses idées. Mais ces derniers temps, ses écrits et interventions médiatiques ont suscité un certain intérêt, notamment dans la jeunesse. Sur les facs, par exemple, on rencontre régulièrement des étudiants séduits par ses analyses et propositions. C’est particulièrement le cas de la « solution » d’Etienne Chouard à la crise de la démocratie bourgeoise : le tirage au sort des représentants, plutôt que leur élection.

Le caractère parasitaire et réactionnaire d’une grande partie des élus et des politiciens est indiscutable. Les scandales à répétition et la soumission de l’appareil d’Etat au grand patronat parlent d’eux-mêmes. Cependant, est-il vrai que le tirage au sort règlerait ce problème ? Pour ses partisans, il permettrait de court-circuiter les carriéristes élus et de faire prévaloir une sorte d’intérêt général étranger aux luttes de parti ou de classes : « Le tirage au sort repose sur la reconnaissance d’une absolue égalité entre tous les citoyens », explique Judith Bernard, qui défend cette idée. Etienne Chouard prétend s’appuyer sur l’exemple de l’Athènes antique et affirme que pendant les « 200 ans de tirage au sort, les pauvres ont toujours gouverné ». L’élection, à l’inverse, favoriserait les riches.

Sociétés de classes

Cette vision de la démocratie athénienne est complètement erronée, sur le plan purement factuel comme sur le plan politique. A Athènes, toutes les magistratures n’étaient pas le fruit du tirage au sort. Les dirigeants les plus importants – stratèges, détenteurs du pouvoir exécutif – étaient élus et rééligibles. En outre, il faut rappeler que seul un très petit nombre d’Athéniens étaient des « citoyens » électeurs : environ 10 % de la population. Les femmes, les étrangers et la masse des esclaves qui, par leur travail, assurait l’existence de la cité, n’avaient aucun droit politique. Athènes était avant tout une démocratie de propriétaires d’esclaves, les citoyens pauvres n’ayant pas le temps de participer aux assemblées et à l’exercice du pouvoir politique. Les partisans du tirage au sort ne tiennent pas compte d’un fait historique majeur : depuis l’apparition de la propriété privée des moyens de production, les sociétés humaines sont divisées en classes sociales aux intérêts opposés – exploiteurs et exploités, maîtres et esclaves, serfs et seigneurs, capitalistes et salariés.

Le problème de la démocratie capitaliste actuelle, c’est précisément qu’elle sert à couvrir la dictature économique et politique de la grande bourgeoisie. Bien sûr, les partisans du capitalisme présentent son Etat et ses institutions comme des « arbitres impartiaux », déconnectés de la lutte des classes. L’idée du tirage au sort fait exactement la même chose : elle prétend régler un problème politique sans s’attaquer à ses causes économiques et reprend à son compte le mythe de « l’intérêt général » et d’un Etat planant au-dessus des classes.

Pour combattre le capitalisme, il ne s’agit pas de tirer au sort des représentants censés défendre un impossible « intérêt général ». Il faut commencer par identifier la source de tous les problèmes. Celle-ci n’est pas le système électoral, mais la propriété privée des moyens de production, de communication et d’échanges. La lutte contre le capitalisme suppose une mobilisation massive des travailleurs autour d’un programme visant à prendre le contrôle des grands leviers de l’économie, seule garantie réelle d’un pouvoir des travailleurs. Or, ceci n’est possible que si la classe ouvrière peut discuter librement de ses succès et de ses échecs, sélectionner ses éléments les plus compétents pour la mener au combat et révoquer ceux qui failliraient pour les remplacer par d’autres. Au lieu de tirer au sort les représentants qu’elle envoie dans les institutions, la classe ouvrière doit pouvoir les choisir et les mettre à l’épreuve.

Chouard et le fascisme

Etienne Chouard ne se contente pas de défendre l’idée fumeuse du tirage au sort « révolutionnaire ». Il se montre aussi particulièrement confus sur la question du fascisme. Pour lui, « fasciste » est synonyme de « possédant ». Sous le concept « fasciste », il range pêle-mêle l’Union Européenne, Nicolas Sarkozy et François Hollande. On peut difficilement imaginer plus grande confusion. Or, la jeunesse et le mouvement ouvrier ont besoin d’analyses et d’un programme clairs. La démocratie bourgeoise n’est pas une vraie démocratie : c’est entendu. Mais elle n’est pas pour autant assimilable au fascisme. Celui-ci est une idéologie et un système politique bien définis, avec ses particularités. Il s’agit d’un mouvement de masse s’appuyant sur la petite bourgeoisie dans le but de détruire tous les droits démocratiques et toutes les organisations de la classe ouvrière. La classe ouvrière doit évidemment le combattre sans répit ; mais cela suppose qu’elle sache le reconnaître.

En taxant de « fasciste » toutes les formes du pouvoir bourgeois, Chouard rend en fait invisible le fascisme réel. Cette confusion devient évidente dans le jugement qu’il porte sur un authentique fasciste, Alain Soral, que Chouard décrit comme un « résistant » à l’ordre établi. Accusé à cette occasion de complaisance à l’égard du fascisme, Chouard a répondu par la déclaration suivante : « La haine de la haine [c’est-à-dire des idées de Soral], c’est encore de la haine ». C’est là se montrer incapable de distinguer entre le fasciste et sa victime, entre la violence de l’esclave révolté de celle de l’esclavagiste.

Loin d’être des « résistants » aux idées « intéressantes », Soral et ses séides sont d’authentiques fascistes. Ils se revendiquent d’ailleurs comme tels : Soral se définit désormais comme un « national-socialiste » et en défend toutes les idées, à commencer par un nationalisme exacerbé. Alain Soral et son organisation sont en effet partisans d’une « réconciliation nationale », par-dessus les différences de classes. Se revendiquant à la fois de la « droite des valeurs » et de la « gauche du travail », Soral se place dans la filiation directe de Mussolini, qui prétendait lui aussi défendre à la fois les travailleurs et leurs exploiteurs.

Parmi les prétendus « ennemis de la nation » que Soral attaque régulièrement, il y a les immigrés, sommés de « s’assimiler ». Malgré le flou que ses défenseurs aiment laisser planer sur la question du racisme, Egalité et Réconciliation a des positions racistes : elle défend les Français « de souche » contre une supposée « invasion » et fait l’apologie de la colonisation française, qui aurait « apporté la civilisation » en Algérie. L’ennemi principal de Soral serait le « sionisme ». Mais il n’entend pas par là l’impérialisme israélien (que les marxistes condamnent et combattent), mais un soi-disant plan secret visant à donner aux juifs le contrôle du monde. Etre juif ne signifierait pas être membre d’une confession parmi d’autres, mais appartenir à une société secrète infiltrée qui dominerait en fait la France, via les grandes entreprises mondialisées et les médias. Là encore, rien de très neuf : Hitler ne disait pas autre chose. C’est ce que le révolutionnaire August Bebel appelait en son temps le « socialisme des imbéciles », une façon de se donner une étiquette « anticapitaliste » sans menacer le moins du monde la dictature de la bourgeoisie, puisque la majorité des patrons et le système en soi n’en ont rien à en craindre – tout au contraire.

Tous ces prétendus ennemis du système (qu’ils se disent « dissidents » ou « résistants ») font recette car la société capitaliste étale sa décrépitude à la face du monde : les scandales succèdent aux scandales, la misère se répand, les guerres tuent des pauvres dans les pays livrés aux agressions impérialistes. Le mouvement ouvrier devrait utiliser cette situation pour expliquer l’impasse du capitalisme et proposer une solution socialiste. Malheureusement, les dirigeants des organisations de masse de la classe ouvrière se solidarisent avec la République agonisante et, ce faisant, ouvrent un espace à la confusion d’un Chouard ou à la démagogie pseudo-contestataire des fascistes du genre de Soral. Pour vaincre la confusion de Chouard et le fascisme de Soral, il ne suffit pas de les dénoncer, il faut attaquer le capitalisme, qui les nourrit comme la pourriture nourrit les mauvaises herbes.

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