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« Les mots sans les pensées ne vont jamais au ciel. » (Shakespeare, Hamlet)

Le 36e congrès du PCF va se tenir dans le contexte d’une très grave crise du capitalisme mondial. Elle est loin d’être terminée. En France comme ailleurs, elle se traduit par une accélération de la régression sociale qui frappe la masse de la population. La société roule à l’abîme. Le chômage augmente mois après mois, les fermetures d’entreprises et les plans sociaux se multiplient, les services publics agonisent, le pouvoir d’achat se dégrade, la misère s’infiltre par tous les pores de la société – sauf au sommet, dans la classe dirigeante, c’est-à-dire dans la minorité de parasites richissimes qui est responsable de cette catastrophe économique et sociale.

Dans un tel contexte, un congrès du PCF doit servir à armer le parti d’un programme et d’une stratégie à la hauteur des enjeux. Il doit expliquer dans les termes les plus clairs à ses militants et sympathisants quelle voie il propose pour combattre la régression sociale et ouvrir la perspective d’en finir avec le système capitaliste, qui en est la cause. Il doit également clarifier des questions de théorie et prendre des décisions susceptibles d’améliorer les structures internes et les moyens d’action du parti. Or, le « projet de base commune » adopté par le Conseil National du parti – Il est grand temps de rallumer les étoiles… – ne répond pas à ces objectifs.

Ce document se caractérise par un lyrisme et des innovations terminologiques dont la principale fonction est de cacher son vide théorique et programmatique derrière un écran de fumée « littéraire ». D’emblée, les auteurs du texte clament : « Nous voulons vivre à pleins poumons », puis s’interrogent solennellement : « Quelle humanité voulons-nous être ? » et s’insurgent contre « la fuite éperdue vers nulle part » du monde. Plus loin, ils déplorent une « crise du sens et de l’imaginaire » et se lancent dans une « quête de mondialité », qui apparemment serait « un processus permanent d’humanisation de l’humanité ». On apprend aussi que « nous » – les militants communistes – « abordons la période qui s’ouvre avec un appétit d’ogre […]. Nous n’avons pas peur de déclarer notre gourmandise. Non pas celle qui rend malade et qui exige l’excès, mais celle des corps et des esprits qui veulent manger à leur faim, celle du plaisir que l’on partage. » On se croirait dans les Nourritures terrestres d’André Gide, le génie en moins.

« Humanité » et lutte des classes

Le sous-titre du document ne passe pas inaperçu : « Humanifeste du Parti communiste français à l’aube du siècle qui vient ». A ce moment-là, le lecteur ne sait pas encore que le néologisme « humanifeste » annonce la saturation du texte par un « humanisme » creux aux implications théoriques très sérieuses. On est d’ailleurs distrait par le problème que pose cette « aube du siècle qui vient ». Soit il s’agit du XXIe siècle et il est déjà venu, nous en sommes même après l’aube ; soit il s’agit du XXIIe siècle et nous sommes très loin de son aube ; soit il s’agit encore de poésie…

La première partie du texte s’intitule : « Face à la crise, le choix radical de l’humain ». Nous allons voir que ce « choix », tel que le texte du CN le développe, est surtout une rupture radicale avec les idées les plus élémentaires du communisme, et qu’en conséquence il n’apporte aucune réponse à la crise du capitalisme. Voici quelques citations du texte : « Notre parti pris est celui de l’émancipation humaine, celui de l’épanouissement de chacune et de chacun, celui du droit au bonheur. Cela nous conduit à promouvoir l’égale dignité de chaque être humain, quelle que soit l’étoile sous laquelle il est né… » ; « Communistes, nous […] prônons l’universalisme et l’égalité de tous les êtres humains » ; « Chaque vie humaine est essentielle à l’humanité » ; « Chacune, chacun, nous sommes des humains uniques et complexes, d’influences et d’appartenances multiples. Ensemble, nous sommes l’humanité » ; « Une nouvelle culture de partage et d’intercréativité de tous les êtres humains […] devra être promue » ;« Nous voulons développer l’accès à la culture, à l’information et aux connaissances, mais aussi leur appropriation sociale, en élargissant ce que les êtres humains ont en commun ou peuvent partager et qui construit leur humanité ».

Ce ne sont là que quelques exemples. Les mots « humain » ou « humanité » figurent 93 fois dans le document ; les mots « travailleur » 0 fois, « ouvrier » 3 fois, « salarié » 12 fois. Autrement dit, la classe ouvrière est pratiquement absente du projet de base commune. Certes, ses auteurs consacrent deux paragraphes à rappeler que la lutte des classes existe toujours, qu’« il n’y a jamais eu de pause dans cet affrontement » de classe. Mais tout le reste du texte est en contradiction avec cette vérité et fait complètement abstraction des classes sociales. Ses auteurs se tiennent très au-dessus de la lutte des classes, non loin des étoiles, et de là-haut défendent les intérêts de toutel’humanité. Il nous faut donc rappeler le b-a ba des idées communistes : l’humanité est divisée depuis quelques milliers d’années par une lutte permanente – et souvent sanglante – opposant une partie de ses membres à une autre. Cette lutte entre classes sociales aux intérêts inconciliables a pris différentes formes au cours de l’histoire. Aujourd’hui, la lutte des classes oppose, fondamentalement, une petite minorité de grands capitalistes à la masse des travailleurs. Les Partis Communistes ont été fondés pour défendre, non les intérêts de toute l’humanité, qui comprend aussi les capitalistes,mais les intérêts de la classe ouvrière et de tous les exploités. En se plaçant à la tête de toutes les autres couches opprimées de la population, les travailleurs doivent mener contre les capitalistes une lutte acharnée pour leur arracher le pouvoir et reconstruire la société sur des bases socialistes. Alors seulement s’ouvrira la perspective d’une société sans classes et sans exploitation, de sorte qu’on pourra parler des intérêts de toute l’humanité. En attendant, le rôle des Partis Communistes est de soulever une partie de l’humanité – de très loin la plus nombreuse – contre l’autre, jusqu’à la complète défaite de celle-ci.

« Ensemble, nous sommes l’humanité », affirme le texte du CN. Le caractère complètement creux de cette idée apparaîtra plus clairement si on la reformule ainsi :« Ensemble » – travailleurs, jeunes, chômeurs, exploités, exploiteurs, capitalistes, banquiers, dictateurs, marchands d’armes, mercenaires, mafieux, proxénètes, trafiquants de drogue, dirigeants de l’UMP – « nous sommes l’humanité ». L’humanité dont se gargarise le texte du CN est fantasmée, imaginaire, ce qui permet à ses auteurs d’écrire des choses du genre : « Naître, c’est accéder à la liberté, à l’égalité et à la fraternité. »Non, naître dans un hôpital bombardé d’Alep ou dans un bidonville de Bombay ne permet pas d’accéder à tout cela. Soulignons au passage que ce genre de discours « humaniste » convient parfaitement à la classe dirigeante, qui en use elle-même sans cesse car il lui permet de jeter un voile sur les contradictions de classe et la lutte qui en résulte. Si les politiciens bourgeois parlent toujours au nom de « l’humanité », du « bien commun », de « toute la société », c’est parce qu’ils veulent convaincre les exploités qu’ils ont les mêmes intérêts, au fond, que les exploiteurs. Le rôle du PCF n’est pas d’en rajouter dans cette illusion, mais au contraire de contribuer à ouvrir les yeux des travailleurs sur la position qu’ils occupent dans la société et le rôle qu’ils doivent jouer dans le renversement du système capitaliste.

Compte tenu de ce qui précède, on ne sera pas surpris d’apprendre que le texte du CN se prononce pour une « nouvelle conscience de classe ». L’actuelle conscience de classe, celle qui découle de la lutte des classes, devrait apparemment céder la place à une conscience « humaniste », qui serait une sorte de conscience de soi de l’humanité dans sa pure et céleste abstraction. C’est dans ce passage que le texte « prôn[e] l’universalisme et l’égalité de tous les êtres humains », c’est-à-dire par exemple de Bill Gates et d’un SDF. Les auteurs du texte espèrent également « faire émerger » – on ne sait comment – une conscience de classe nouvelle « qui rassemblerait le monde du travail et de la création ». Les capitalistes font-ils partie du « monde de la création » ? Ils le prétendent souvent. Le texte du CN n’en dit rien de plus. Pour notre part, nous préférons nous en tenir à la conscience de classe réelle des travailleurs réels, qui évolue sans cesse sous l’impact des événements et à laquelle le PCF devrait s’efforcer de donner un contenu révolutionnaire. Il est grand temps de rallumer les étoiles n’y contribuera pas.

« De tous les pays, unissons-nous », écrivent les auteurs du texte. Cette allusion au célèbre mot d’ordre qui conclut le Manifeste du Parti Communiste de Marx et Engels –« Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » – se veut sans doute un effet de style (le texte en regorge). Mais elle est en réalité une parfaite illustration de ce que nous venons d’expliquer : les « prolétaires », c’est-à-dire les salariés, ont disparu du tableau. Tout le monde, toute l’humanité – exploiteurs et exploités de tous les pays – sont appelés à « s’unir ». A quoi nous répondons : camarades de toutes les sections du PCF, unissons-nous pour défendre les idées fondamentales du communisme !

Les causes de la crise

Les militants communistes doivent avoir une analyse scientifique et rigoureuse de la crise que traverse l’économie mondiale depuis 2008. En comprendre la nature et les causes profondes est indispensable pour l’expliquer aux travailleurs et combattre les fausses solutions que prônent les apologues du capitalisme (de droite comme de « gauche »). En la matière, Il est grand temps de rallumer les étoiles mêle des idées justes à des idées fausses – et propose des solutions qui n’en sont pas.

Ses auteurs affirment que « l’austérité dévastatrice […] est la cause et la conséquence de la crise profonde du système lui-même ». Or, s’il est exact que les politiques d’austérité aggravent la crise en minant la demande, elles n’en sont pas la cause ultime. En effet, il s’agit en dernière analyse d’une crise de surproduction inhérente aux lois du mouvement de l’économie capitaliste. Karl Marx en a décrit en détail les mécanismes dans Le Capital. Il y a trop de moyens de produire des richesses par rapport à ce que le marché peut absorber. Les économistes bourgeois parlent de « surcapacité », ce qui revient au même. Par exemple, la capacité productive de l’industrie automobile mondiale est d’environ 20 % supérieure au marché. Pour sauvegarder leurs marges de profits, les capitalistes de ce secteur doivent donc fermer des usines et licencier des travailleurs par milliers. Et c’est ce qu’ils font. On trouve d’ailleurs une formulation se rapprochant de cette idée, dans le texte du CN : « la productivité augmente mais pas les débouchés ». Malheureusement, elle n’est pas développée et le reste du document n’en tient pas compte.

Les auteurs du texte affirment que « les véritables causes de cette crise majeure se trouvent dans la domination des forces de la finance. Les exigences de rentabilité des capitaux écrasent l’économie réelle […] ». Il n’est pas pertinent de distinguer et opposer ainsi les « forces de la finance » et « l’économie réelle ». En fait, les « forces de la finance » sont au cœur du système capitaliste. Elles font partie intégrante de« l’économie réelle » ; elles en sont même le moteur. Comme le disait Henry Ford : « je ne fais pas des voitures, je fais de l’argent ». Et bien sûr, les capitalistes veulent faire un maximum d’argent, donc ils exigent un maximum de rentabilité. Or la citation du texte ci-dessus ouvre la porte à l’idée réformiste que si les « forces de la finance » n’exigeaient pas autant de rentabilité, « l’économie réelle » s’en porterait mieux (et nous avec), car elle ne serait pas « écrasée ». C’est, au fond, l’idée qu’une « meilleure répartition des richesses » entre travail et capital permettrait de sortir de la crise, tout en conciliant les intérêts des travailleurs et ceux des capitalistes. Et on trouve en effet cette idée un peu plus loin dans le texte, formulée ainsi : « S’il faut un choc, c’est pour baisser le coût du capital et non la rémunération du travail ; c’est pour baisser les charges financières et non pas les cotisations sociales ; c’est pour en finir avec la précarisation et non pas pour l’augmenter ! Voilà les issues à la crise ! »

Bien sûr, le PCF doit lutter pour défendre tous nos acquis sociaux et si possible en conquérir d’autres. Mais premièrement, il n’est pas vrai que ces mesures aboliraient les lois économiques qui, sous le capitalisme, aboutissent à des crises de surproduction. Ces lois s’affirmeraient tout de même et déboucheraient tôt ou tard sur la situation absurde qu’on vit aujourd’hui : la société doit s’appauvrir parce qu’il y a trop de moyens de produire des richesses. Deuxièmement, il y a le petit problème suivant : les capitalistes, qui contrôlent l’économie, n’ont pas la moindre intention de « mieux partager les richesses », en particulier en période de crise. Il y va de leurs profits. Et tant qu’ils contrôleront l’économie, ils en useront pour saborder toutes les réformes qui affectent la rentabilité de leur capital. Ils chercheront à reprendre tout ce qu’ils ont concédé sous la pression des luttes. D’où la nécessité impérieuse d’exproprier les grands capitalistes et de placer les principaux leviers de l’économie sous le contrôle démocratique des salariés, dans le cadre d’une planification socialiste de la production. Or de cette nécessité – la nécessité d’un programme communiste –, il n’est jamais question dans Il est grand temps de rallumer les étoiles…

Des « solutions nouvelles » ?

« L’issue : rompre avec le capitalisme », affirme pourtant un intertitre du projet de base commune. Un peu plus loin, il explique que « le capitalisme est incapable d’offrir une autre perspective que l’asservissement de l’immense majorité des êtres humains ». C’est parfaitement exact. Mais hélas, ces idées sont immédiatement contredites par d’autres, dans le même passage – voire la même phrase. On lit par exemple : « Rompre avec le capitalisme en le dépassant est une urgente nécessité. La brutalité avec laquelle la crise est en train de précipiter l’humanité vers des abîmes exige la mise en œuvre de solutions nouvelles qui s’attaquent aux causes réelles. La domination insensée des forces de l’argent doit être renversée pour laisser place à un mode de développement humain durable. »

Tout d’abord, que peut bien signifier « rompre avec le capitalisme en le dépassant » ? Quel est le sens de ce tout nouveau concept : rompre-en-dépassant ? Ici, le militant communiste habitué à la vie interne du parti jouit d’un avantage décisif sur le lecteur moyen. En effet, cela fait des années que de nombreux militants du parti protestent contre l’expression « dépasser le capitalisme », qui figurait par exemple dans le document du CN du 34e congrès. Au terme ambigu de « dépassement », qui a une connotation gradualiste et réformiste, ces camarades demandent à juste titre qu’on substitue des termes plus clairs : « rupture », « abolition » ou « renversement ». Le concept inédit de « rompre-en-dépassant » est manifestement une concession de la direction du parti, qui, sans renoncer au « dépassement », veut bien nous donner un peu de « rupture ». Le résultat n’est pas très heureux – et nous ne doutons pas que si le texte de la direction l’emporte, lors du vote interne des 14 et 15 décembre, des amendements issus de nombreuses sections tenteront de balayer cette formulation. [1]

Venons-en aux « solutions nouvelles » que le texte du CN appelle à mettre en œuvre. Quelles sont, au juste, ces solutions nouvelles ? Par ailleurs, à quelles anciennessolutions le texte fait-il implicitement référence – et pourquoi devons-nous y renoncer ? Il est grand temps de rallumer les étoiles ne répond pas à ces questions. Il avance bien un peu plus loin une ou deux « solutions », mais elles n’ont rien de « nouveau » (et ne règleraient rien, comme nous le verrons). Ce silence est d’autant plus regrettable qu’il nous laisse un gros problème sur les bras : « rompre avec le capitalisme » n’est pas – mais alors pas du tout – une solution « nouvelle ». Cette perspective et ce programme ont été développés pour la première fois sous leur forme socialiste et scientifique au milieu du XIXe siècle, par Marx et Engels. Les auteurs du texte du CN proposent-ils de renoncer à cette ancienne « solution » ? Il faut croire que oui. La suite le confirmera.

Enfin, nous ne savons pas ce que c’est qu’un « mode de développement humain durable », qui revient à cinq reprises dans le document. C’est une expression à la mode qui veut tout et rien dire, ce qui est précisément sa fonction. Combien de temps ce « mode de développement » ferait-il encore « durer » l’espèce humaine ? Cela se compte en siècles, en millénaires ou en millions d’années ? La direction du PCF devrait se réunir en urgence, voter un objectif officiel et l’annoncer au monde entier ! Plus sérieusement, ce « mode de développement humain durable » reposerait-il sur des rapports de production capitalistes ou socialistes ? Les auteurs du texte ne se posent même pas la question. De grâce, laissons ce genre de formules creuses aux dirigeants écologistes et autres démagogues petit-bourgeois. Les communistes n’en ont pas besoin.

« Transformer les logiques du système » ?

Quelques lignes après avoir annoncé leur volonté de « rompre avec le capitalisme », puis de « rompre en le dépassant », les auteurs du texte renoncent à toute rupture et se contentent de vouloir « transformer les logiques » du système : « C’est pourquoi nous parlons de révolution. Une révolution citoyenne, pacifique, démocratique, et non pas la prise de pouvoir d’une minorité. Un processus de changement crédible et ambitieux, visant à transformer les logiques du système ».

On arrive ici à l’une des principales faiblesses des idées politiques des dirigeants du parti – non seulement dans ce texte, mais en général et de longue date. Ils proposent de laisser les fondements du capitalisme intacts, mais veulent en même temps « transformer ses logiques » pour qu’il cesse de condamner la grande majorité de la population à la pauvreté ou la régression sociale. Or c’est impossible. Le communisme découle précisément de cette impossibilité. La création du PCF en découlait aussi. Le capitalisme n’a qu’une « logique » : la logique capitaliste, avec toutes ses conséquences désastreuses.

Voyons plus concrètement quelles « transformations » des « logiques » du capitalisme les auteurs du texte proposent. Nous n’en avons repéré que deux dans tout le texte. Il y a la question de « nouveaux pouvoirs » des salariés dans l’entreprise et celle d’une nouvelle politique monétaire de la Banque Centrale Européenne. Commençons par les« nouveaux pouvoirs » : « Nous proposons une véritable démocratie économique et sociale, qui instaurera l’exercice de nouveaux pouvoirs pour les salarié-es dans les entreprises et transformera les structures juridiques qui fondent aujourd’hui la propriété du capital et son pouvoir absolu, en s’appuyant sur des formes diverses de propriété publique et sociale. La citoyenneté ne doit pas s’arrêter à la porte des lieux de travail. Sans attendre, nous voulons que les salarié-es et leurs représentant-es disposent de droits et pouvoirs d’intervention sur les choix qui président à l’organisation du travail, aux investissements, aux stratégies des entreprises et à leur financement. Nous voulons permettre aux organisations syndicales de tenir la place essentielle qui leur revient dans la démocratie sociale. »

Rien n’est moins démocratique qu’une entreprise capitaliste. Les travailleurs n’y ont bien souvent que le droit de souffrir et se taire. Lorsque des syndicats parviennent à s’y développer, malgré la répression patronale, leur action – indispensable – ne peut au mieux que limiter l’exploitation. Ils défendent des droits d’esclaves, qui restent des esclaves. Jamais les salariés ou leurs syndicats n’ont les moindres « pouvoirs d’intervention sur les choix qui président à l’organisation du travail, aux investissements, aux stratégies des entreprises et à leur financement ». Telle est la véritable « logique » du capitalisme, qui repose sur le fait que ce sont les propriétaires des entreprises – les capitalistes – qui décident de tout. Quel capitaliste investirait dans une entreprise où ce sont les salariés qui décident de ses investissements, de sa rentabilité et de sa stratégie ? La seule façon de vraiment donner de « nouveaux pouvoirs » – et même toutle pouvoir – aux salariés et leurs représentants, c’est d’exproprier les capitalistes et de placer leur capital sous le contrôle démocratique des travailleurs.

Le texte est dans ce domaine beaucoup trop vague. Il parle de « transform[er] les structures juridiques qui fondent aujourd’hui la propriété du capital et son pouvoir absolu ». Cette « transformation des structures juridiques » ira-t-elle jusqu’à l’expropriation des grands capitalistes – ou s’agit-il seulement de passer d’un « pouvoir absolu » du capital à un pouvoir… relatif ? Ce n’est pas précisé. La suite nous enfonce encore plus dans le brouillard, avec ses « formes diverses de propriété publique et sociale ». Lesquelles ? Des nationalisations, des coopératives ? D’autres « formes » encore ? Dans quelles proportions ? Selon quels critères ? Ce n’est pas davantage expliqué. Un peu plus haut, les auteurs du texte écrivent : « Des nationalisations doivent être opérées dans plusieurs secteurs stratégiques et pour reconquérir la gestion de biens communs. Nous voulons, sous de multiples formes, engager un grand mouvement d’appropriation sociale. » Il est positif que, pour une fois, le mot « nationalisation » figure dans un document de congrès de la direction du parti. Mais elle ne nous dit pas quelles entreprises et quels secteurs économiques il faudrait nationaliser. Ce silence n’est pas étonnant : on sait qu’elle s’oppose depuis de nombreuses années à l’idée de nationaliser l’ensemble des grands leviers de l’économie. C’est pourtant la seule façon d’en finir avec la crise du capitalisme et de donner le pouvoir aux travailleurs.

Venons-en à ce que le texte du CN propose au sujet de la BCE : « Parmi les changements majeurs, il est urgent de mettre fin à l’indépendance de la Banque Centrale Européenne, qui doit être placée sous contrôle démocratique et citoyen. Elle devra être enfin autorisée à battre monnaie pour financer les dépenses publiques et les investissements s’inscrivant dans les nouvelles priorités, aux conditions les plus favorables et dans une logique de long terme et contribuer à un essor concerté des services publics. »

« L’indépendance » de la BCE est toute relative : elle est un instrument des grands capitalistes européens, en particulier des capitalistes allemands. Elle est à coup sûr beaucoup plus « indépendante » des travailleurs européens que des dirigeants de la Bundesbank ! Par quel miracle la direction du PCF compte-t-elle, sur la base du capitalisme européen, arracher la BCE aux requins de la finance et la placer « sous contrôle démocratique et citoyen » ? Mystère. Par ailleurs, l’idée de « battre monnaie »pour financer les « dépenses publiques » – en clair, les dettes publiques colossales des Etats – ne constituerait pas une solution à la crise. Si elle se faisait dans des proportions susceptibles d’avoir un impact palpable, la création monétaire pourrait à très court terme constituer un « soulagement quantitatif », selon l’expression des économistes. Mais si l’on augmente ainsi la masse monétaire, la monnaie tendra à perdre de sa valeur, donnant lieu à une augmentation de l’inflation. C’est d’ailleurs pour cette raison que les capitalistes allemands s’y opposent (sous couvert « d’indépendance » de la BCE).

Tout ce passage du texte du CN dessine un capitalisme européen fantasmé, qui fonctionnerait suivant une « autre logique » (soucieuse des services publics, etc.) que la « logique » implacable de la course aux profits et des plans de rigueur. Cela n’a aucun sens. La seule façon de régler le problème des dettes publiques, c’est de nationaliser toutes les banques, sans indemniser les grands actionnaires, et de refuser de payer les dettes contractées auprès des parasites de la finance mondiale. Mais ces mesurescommunistes, malheureusement, ne font pas partie de la « logique » des rédacteurs d’Il est grand temps de rallumer les étoiles...

Le stalinisme et le carriérisme

La dernière partie du texte s’intitule Un nouvel élan pour le Parti communiste français. Elle s’ouvre sur ces histoires d’« appétit d’orge » et de « gourmandise » que nous avons déjà relevées en début d’article. Passons. Les auteurs évoquent ensuite l’histoire du PCF, en particulier la période du stalinisme. Ils écrivent à ce sujet : « nous avons choisi de ne pas fermer les yeux et d’en tirer, parfois péniblement, toutes les leçons ». Vraiment ? Quand ça ? Où ça ? Aurait-on raté un supplément de L’Huma ou un document de la direction du parti dans lequel rien moins que « toutes les leçons » du stalinisme auraient été tirées ? Mais non : on est ici dans le domaine du bluff le plus total. La vérité, qui est bien connue des militants du parti, surtout des plus anciens, c’est que la direction du PCF n’a jamais tenté de donner une explication scientifique du stalinisme, de son émergence, de son évolution et de sa chute. Au mieux, elle se contente de le « condamner ». Au pire, elle jette le bébé avec l’eau du bain : elle s’appuie sur l’expérience du stalinisme pour rejeter la propriété collective des moyens de production [2]. Et pourtant, l’expérience du stalinisme est l’un des principaux arguments des capitalistes et de leurs intellectuels lorsqu’ils cherchent à discréditer les idées du communisme. Il est donc urgent d’ouvrir une discussion sérieuse sur cette question à tous les niveaux du parti.

L’ensemble de cette partie du texte égrène ensuite différentes idées qui ne mangent pas de pain et n’appellent aucun commentaire. A une exception près : « Nous voulons être un parti différent, qui porte une autre conception de la politique que celle qui consiste à vouloir se réaliser personnellement dans la quête d’un destin politique personnel : celle de faire participer réellement le plus grand nombre au combat commun ». Nous sommes tout à fait d’accord : la « quête d’un destin politique personnel » – c’est-à-dire lecarriérisme – n’a pas sa place au PCF. Malheureusement, c’est un phénomène qui existe tout de même chez nous et qui est bien connu des militants communistes. L’attitude d’un certain nombre d’élus, en particulier, est une source d’irritation et de conflits permanents. Il faut le reconnaître ouvertement, plutôt que simplement vanter « l’action farouche des élu-es communistes dans toutes les institutions où ils sont présents. » Oui, beaucoup de nos élus accomplissent un travail remarquable. Mais d’autres se laissent impressionner par le prestige et les avantages divers qui peuvent être attachés à leur fonction, au risque de perdre contact avec la base du parti. Au-delà des bonnes intentions, le parti doit examiner les moyens concrets de contrecarrer ce phénomène, de façon à ce que ses militants exercent dans tous les cas un contrôle effectif sur ses élus. De même, le texte évoque la nécessité de démocratiser le parti, ce qui est en effet indispensable. Mais il n’avance aucune proposition concrète dans ce sens.

Notre texte alternatif

Il y a différents aspects du texte du CN que nous n’avons pas abordés, notamment sur le Front de Gauche et la politique internationale. Nous nous efforcerons d’y revenir dans un autre article. Mais la conclusion de cette analyse critique du projet de base commune nous paraît claire : ce document n’est absolument pas à la hauteur des grandes tâches qui attendent le PCF dans la période à venir, qui sera marquée par une aggravation de la crise et de grandes luttes sociales. Au fond, ce texte confus ne prend aucun engagement sérieux. Aussi appelons-nous les militants du parti à lire et signer le texte alternatif que nous allons déposer : Combattre l’austérité, en finir avec le capitalisme.


Signez le texte alternatif : Combattre l’austérité, en finir avec le capitalisme !


Notes

[1] Y parviendront-ils ? Rien n’est moins sûr. Lors du 34e congrès du parti, déjà, de très nombreuses sections avaient proposé des amendements dans ce sens. Cependant, les fameuses « commissions des amendements » – constituées de dirigeants du parti – sont de redoutables marécages dans lesquels d’innombrables amendements sont portés disparus, à chaque congrès. C’est l’un des aspects du fonctionnement interne du parti qu’il nous parait urgent de changer.

[2] Voir par exemple l’interview de Pierre Laurent dans Libération, le 15 août dernier.

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